L’un âgée de 50 ans est spécialiste d’histologie, de biologie moléculaire, embryologie, génétique de la santé de reproduction, le seul en activité au Togo pour une population de 7 millions. Le second, 57 ans, est aussi professeur agrégé spécialiste de la Pédiatrie, allergologie, également le seul spécialiste au pays dans ce domaine. En deux mois, le corps médical et la Nation ont perdu ces deux valeureux et brillants professeurs de médecine par la faute de ceux qui, depuis des années, refusent tels des démons d’équiper nos hôpitaux de plateaux techniques conséquents.
Dans les hôpitaux au Togo, que ce soit à Lomé ou sur l’ensemble du territoire, les gens meurent comme des mouches dans l’indifférence totale. L’état catastrophique de nos structures sanitaires, la presse en parle tous les jours et personne ne s’en préoccupe. Comme il fallait s’y attendre ce sont des éminents professeurs de médecine qui laissent à leur tour leur vie faute de structure. Lorsque le prof. Follygan a eu son malaise c’est dans un taxi qu’il a été acheminé de son domicile au CHU Sylvanus Olympio, le Togo ne disposant pas de voiture médicalisée à ne pas confondre avec une ambulance qui reste aussi une denrée rare au pays. Il a laissé sa vie. Moins de deux mois plus tard, lorsque son collègue le prof Bakonde fait un AVC, les conditions de son acheminement au CHU Sylvanus Olympio étaient des plus pittoresques. L’ambulance du CHU campus n’étant pas équipée, il a fallu transporter à bout de bras un gros obus d’oxygène dans la vieille ambulance pour lui permettre de respirer durant le transfert. Il n’a pas survécu non plus. Il faut plus de 15 ans pour former un prof agrégé de médecine mais quelques minutes pour le laisser mourir à cause de l irresponsabilité des gouvernants.
Dans ce pays où on meurt de tout ou rien, le regime en place a débloqué 95 milliards de francs CFA en 2013 pour acheter du matériel d’écoute auprès d’Israël alors qu il faut à peine 15 milliards pour remettre nos hôpitaux aux normes et sauver des milliers de vie. Faure Gnassingbe peut s’offrir des soins à coups de centaines de millions en Israël et en Italie, les Togolais, eux, peuvent mourir comme des mouches. Dans ce pays se déroule un génocide silencieux qui ne semble préoccupé personne même pas ceux qui se disent « intellectuels ». Faire gazer les étudiants et justifier la bêtise sur les médias est devenu la norme et pourtant nous sommes tous profs agrégés ou simples citoyens victimes du même vieux système.
Je suis encore plus en colère quand je vois le curieux silence des députés à l’Assemblée nationale. Eux non plus ne semblent guère se préoccuper par la situation de nos hôpitaux. Même ceux qui sont élus à Lomé ne se sont jamais rendus au deux CHU ou à l’hôpital de Bè pour y constater l’état de délabrement complet de nos hôpitaux. Depuis qu’ils profitent de leurs missions parlementaires pour aller se faire soigner aussi à l étranger, ils se foutent pas mal des Togolais. On est tous en sursis dans ce pays!
Un colonel à peine admis à la retraite est mort il y a quelques jour d’AVC; un commissaire de police en fonction a failli laisser sa vie la semaine dernière. Voila pourquoi il ne faut plus attendre un quelconque « Messie » mais s’organiser pour mettre fin à ce système odieux qui profite à une minorité de tout bord. Les Togolais doivent se surpasser pour arrêter l’hémorragie auquel cas nous qui avons encore la chance de vivre, on peut déjà commander nos cercueils. Un peuple déterminé et prêt à reprendre sa liberte est une vague irrésistible qui emporte tout sur son passage.
Une pensée profonde pour ces grands médecins profs agrégés Frederic Koue Folligan et Bakoe Bakonde qui sont partis par la faute des gouvernants. Des pertes énormes pour le pays. Avec ces réalités catastrophiques qui n’épargnent personne il se trouve encore des quidams pour défendre un tel système.
D’ailleurs la perte de ces médecins et le système de santé en panne dans ce pays suscite la colère d’un médecin, Dr Kofi Takali, qui adresse une lettre ouverte sans langue de bois au ministre de la Santé Mijiyawa dont voici l’intégralité.
Lettre ouverte à Monsieur le ministre de la Santé et la Protection civile
Votre nomination, le 23 juin 2015, à la tête du Ministère de la Santé et de la Protection Sociale, a suscité un grand espoir au sein de la communauté médicale. Votre réputation d’excellent médecin, votre connaissance du milieu hospitalier dont vous êtes issu, la confiance de vos pairs, ont permis de penser que vous aviez les capacités nécessaires pour réussir dans cette mission ardue de redynamisation du système de santé en complète déliquescence.
Monsieur le Ministre, à l’inverse de vos prédécesseurs, vous avez eu deux années d’accalmie; le Syndicat National des Praticiens Hospitaliers du Togo (SYNPHOT) a respecté votre rang au sein de la corporation médicale et n’a pas souhaité porter ombrage à votre mandature. Aucune action n’a été menée par ce grand syndicat depuis votre nomination. Vous aviez donc deux années d’accalmie à mettre à profit pour réussir votre mission et entretenir l’espoir.
Aujourd’hui, que retenir de vos deux années à la tête du ministère? Personnellement, en dehors de votre projet de contractualisation, qui tarde à voir le jour (il fallait s’y attendre), je n’ai rien vu. Les hôpitaux sont toujours aussi mal équipés, les malades toujours autant démunis devant l’annonce de leur maladie et de tout ce qu’il leur faut débourser avant de se faire soigner, il n’y a pas de transport médicalisé digne de ce nom, les laboratoires sont obsolètes, les appareils de radiologie en panne, les services des urgences démunis, les réanimations n’existe que de nom. Bref, deux ans après, l’espoir a tour à tour laissé place à l’inquiétude, à l’interrogation, à la désolation et à la consternation.
Et cette consternation, le corps médical l’a encore vécue ces dernières semaines à travers l’histoire tragique de notre collègue, votre collègue, professeur d’histologie embryologie, de génétique et de santé de la reproduction, le seul d’ailleurs qui était encore en activité au Togo (une grande perte pour la nation), mort le 29 mai dans sa 50e année. Lorsqu’il a eu son malaise aucun transport médicalisé n’était disponible pour son acheminement à l’hôpital. Il fut transporté en taxi depuis son lieu de malaise jusqu’au CHU Sylvanus Olympio. Comprenons-nous, lorsque je parle de transport médicalisé, je fais référence à un véhicule de transport sanitaire muni du minimum pour commencer une réanimation (oxygénation, prise de voies veineuses etc…). Je ne parle pas des véhicules des sapeurs pompiers qui ne sont guère plus équipés que ma voiture personnelle. L’accident vasculaire cérébral (AVC) qui a frappé quelques jours après un autre collègue, professeur de pédiatrie, a encore mis en lumière cette défaillance des transports médicalisés. Son transfert du CHU Campus au CHU Sylvanus Olympio était des plus pittoresques : l’ambulance du CHU Campus n’étant pas équipée, il a fallu transporter à bout de bras un gros obus d’oxygène dans la vieille ambulance; pour lui permettre de respirer durant le transfert. Les ambulances, contrairement à ce que vous semblez penser, ne servent pas au Togo qu’à « transporter du charbon »… (le ministre déclare souvent que le secteur de la santé n’a pas besoin de financement et que le problème est exclusivement un problème de gestion. Et de citer l’exemple d’un hôpital de l’intérieur du pays dont l’ambulance servait à transporter du charbon).
Au CHU SO, la réanimation médicale ne disposait d’aucun matériel de monitoring pour surveiller les fonctions vitales du 1er confrère, aucune ampoule d’adrénaline pour soutenir sa fonction cardiaque (les collègues se promenaient de service en service à la recherche d’ampoule d’adrénaline). Et son cœur a fini par s’arrêter, à jamais…
Le 2e confrère, lui, a eu « le privilège » d’être opéré par les collègues de neurochirurgie qui lui ont mis une valve pour drainer et décomprimer son cerveau inondé par une hémorragie. Faut-il préciser que cette valve est introuvable dans le circuit officiel ? Les collègues en disposent grâce au soutien de partenaires extérieurs. Une fois opéré, impossible de faire un scanner de contrôle, celui du CHU SO est en panne. Impossible de surveiller sa pression intracrânienne, il n’y a pas d’appareil de mesure de la pression intracrânienne, pas de neuro-réanimation. Quelle désolation. Quelles options s’offraient à ses médecins traitants pour le sauver ? L’évacuer dans un pays où la réanimation est accessible parce que l’équipement disponible, ou continuer à lui prodiguer des soins sans possibilité de surveiller ses paramètres, car notre réanimation est rudimentaire. Notre maître a rendu l’âme le dimanche 18 juin au CHU Sylvanus Olympio.
Les collègues annoncent que sur les 12 respirateurs de la réanimation polyvalente seuls 4 sont aujourd’hui fonctionnels. La maman d’une consœur qui a été opérée d’une péritonite et qui avait besoin d’un respirateur pour soutenir sa fonction respiratoire est même décédée la semaine dernière, faute de respirateur. Un enfant de 16 ans chez qui un diagnostic d’infarctus du myocarde a été posé est mort aussi parce que dans notre pays nous n’avons pas la possibilité de faire une coronarographie et de poser des stents. Un drame pour la famille et pour le corps des soignants… Faut-il préciser que sous d’autres cieux cet enfant aurait été sauvé ? Sous d’autres cieux, des médecins togolais font des coronarographies tous les jours et sauvent ce genre de patients tous les jours avec un matériel adapté et en état de marche.
Monsieur le Ministre, les morts évitables, nous les subissons chaque jour et cela devient de plus en plus insupportable. Au-delà de vos discours qui sont toujours très captivants et pleins de créativité, il est temps de penser à solutionner les maux du système de santé de notre pays. Soit, votre système de contractualisation peut constituer une piste si cela vous plaît, mais en attendant que cette réalité impacte positivement et durablement le système de santé, trouvez, de grâce, les moyens pour faire avancer la machine. Les Ghanéens ont un nouvel hôpital moderne, les Tchadiens, les Burkinabé, les Maliens, les Nigériens, les Sénégalais…. Actuellement ce sont les Ghanéens, ou les Maliens qui soignent nos patients souffrant de cancer (ils ont les appareils de radiothérapie). Ils ont tous hérité d’infrastructures hospitalières datant des indépendances (le CHU Sylvanus Olympio date des années 50) mais ont eu l’ambition pour leurs nations de mettre en place des structures dignes de notre époque. Quelle est votre ambition monsieur le Ministre, quelle est l’ambition du gouvernement ? Sommes-nous incapables de monter une nouvelle structure de 20 milliards FCFA pour sauver nos malades ? Pourtant, votre gouvernement construit une nouvelle Assemblée Nationale qui verra le jour en 2018 et qui va coûter 12 milliards FCFA aux contribuables… Certes, je vous le concède, vous n’êtes pas seul responsable. Pour des intérêts personnels, d’autres maîtres, professeurs de médecine ou chefs de service sont complices de ce système et refusent d’en dénoncer les nombreux manquements. Ils ferment les yeux et, en dépit du bon sens, acceptent cet état de déliquescence avancée. Par leur silence, ils mettent parfois en danger la vie des malades, violant ainsi le serment qu’ils ont un jour prononcé. Ils oublient que la roue tourne et qu’un jour ils pourraient à leur tour pâtir de cette situation inqualifiable.
Je lance alors ce cri du cœur aux honorables députés, aux collègues et à vous-mêmes monsieur le Ministre : « de grâce, ne laissez pas ce mandat social se terminer sans la décision de construction d’un vrai hôpital pour soigner nos populations et sauver des vies. De grâce pensez au peuple… »
Dr Kofi Takali
Source : Ferdinand Ayité et Autres
27Avril.com