Togo, Delato Agbokpè au cœur de la pagaille : Yark interpellé pour arrêter le permis de «tuer»

0
528

Togo, Delato Agbokpè au cœur de la pagaille : Yark interpellé pour arrêter le permis de «tuer»

Plus les années Gnassingbé passent, plus la gouvernance fiction se développe et dépasse par endroits le seuil du tolérable. Cette gouvernance fiction se caractérise par une sorte d’aboulie et des décisions très peu mûries et réfléchies dont les conséquences sont plus dramatiques que la situation de départ. La dernière illustration de cette gouvernance par rêverie est cette affaire de permis obligatoire des motocyclistes enfermée dans un délai suicidaire. Une véritable bombe à retardement.

Yark aux avant-postes

Comme il en a l’habitude depuis quelques années qu’il est en poste, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile Yark Damehame a présenté le 09 août dernier à son Cabinet à Lomé, le bilan des accidents de circulation des sept premiers mois de l’année 2019. Entre le 1er janvier et le 31 juillet 2019, 3178 accidents se sont produits sur les routes togolaises, ayant occasionné 354 décès et 4483 blessés.

Pour le ministère de la Sécurité et de la Protection civile, les causes de ces accidents sont le non-respect du code de la route notamment l’excès de vitesse, des dépassements mal faits, la distraction en circulation en raison de l’utilisation du téléphone portable, la conduite en état d’ébriété et/ou sous l’influence de stupéfiants.

Les conducteurs de moto ont une connaissance assez limitée du code de la route, soutient Yark Damehame.

« Le permis de conduire concerne beaucoup l’apprentissage du code de la route. Malheureusement, nos compatriotes motocyclistes ont encore, je dirai, du caillou dans le pied. Parce qu’ils se disent permis ou sans permis, je peux piloter ma moto, avec les conséquences que nous venons de voir », déplore le ministre Damehame, qui annonce que dès le 20 septembre le permis de conduire sera exigé à tout motocycliste. »On arrête un motocycliste, il n’a pas de permis, sa moto est en fourrière », a dit en substance Yark Damehame le 9 août dernier, lors d’une conférence de presse à Lomé.

Des statistiques du ministre Yark, il ressort que des 354 décès, 157 ont été occasionnés par les motos soit 44,35%, 121 par les véhicules de transport en commun soit 34,18%, les gros porteurs 76 morts soit 21,47%. Et pour le ministre de la Sécurité et de la Protection Civile, c’est le temps de décision : Permis de conduire des motocyclistes obligatoires en plus de l’alcooltest et la mise en place des radars.

De toutes les décisions, celle relative au permis des motocyclistes obligatoire à partir du 20 septembre a suscité plus de polémique du fait que cette date est irréaliste et illusoire. Et quelques jours après, le Général ministre Yark a procédé à une rallonge et annonce le 1er décembre comme dernier délai. Dans la foulée, une réunion a été organisée le 28 août au ministère de la Sécurité avec pour objet comment faire pour respecter le délai du 1er décembre.

A cette réunion des techniciens avec les différents ministères concernés en l’occurrence les ministères des Finances, des Transports, de la Justice, de la Sécurité, l’Administration Territoriale, les problèmes de naissance, de nationalité et de carte d’identité ont été abordés. Des pièces dont la plupart des conducteurs de motos ne disposent pas pour avoir leur permis. Selon nos informations, le Directeur des Transports Routiers et Ferroviaires (DTRF) David Delato Kokou Agbokpe a plaidé pour que les prix des actes de naissance, de nationalité et de carte d’identité soient revus de moitié. Pour M. Agbokpè, cela permettra à l’Etat d’avoir des moyens et aux usagers de pouvoir faire leur permis. Une proposition qui n’a pas reçu l’approbation des responsables des Services concernés qui disent n’avoir pas de pouvoir de décision.

A partir de là, il a décidé de réfléchir et commencer avec ceux qui ont les pièces à jour. Le Directeur de la DTRF qui a plus parlé lors de cette réunion a indiqué que la formation sera assurée par son service en plus de l’examen. Le tout à huit mille (8000) francs CFA soit 2500 F pour la formation et 5500 F pour la redevance.

Pendant que le flou persiste au sein de la population qui n’a aucune information officielle, plusieurs conducteurs de motos se sont inscrits dans les centres de formation.

Dans la confusion, Agbokpè met les pieds dans les plats

Dans une note d’information en date du 04 septembre, le Directeur Agbokpè interdit aux auto-écoles de recevoir les inscriptions de formation du permis Catégorie A.

« Le Directeur des transports routiers et ferroviaires porte à la connaissance des Promoteurs d’Auto-écoles que dans le souci de permettre aux conducteurs des véhicules à deux (02) roues et assimilés d’avoir une formation de qualité gage de la réduction des accidents sur nos axes routiers, le gouvernement togolais a pris la décision de procéder d’abord à la définition et à l’élaboration du contenu de cette formation avant de confier cette noble et lourde responsabilité aux moniteurs. A cet effet, pour compter de ce jour, il est formellement interdit aux Auto-écoles de recevoir les inscriptions relatives à la formation pour l’obtention du permis de conduire catégorie A. Le Directeur attache du prix au respect scrupuleux de cette décision» indique la note. Dans la journée de vendredi, un communiqué de la ministre des Infrastructures et des Transports en date du 03 septembre apporte quelques précisions. « Le ministre des Infrastructures et des Transports porte à la connaissance des conducteurs de véhicules à deux roues et assimilées, qu’en prélude à la date de mise en vigueur de l’application de la mesure sur la répression de la conduite sans permis de conduire de la catégorie A, il sera procédé à des sessions de formation en vue de l’examen dudit permis. Les inscriptions pour la formation se dérouleront du 2 au 20 septembre 2019 dans les services ci-après : Lomé : à la Direction des transports routiers et ferroviaires ; à la direction des affaires communes des départements ministériels ; à la Délégation à l’organisation du secteur informel (DOSI) ; au niveau préfectoral dans les bureaux de chaque préfecture ; à la DOSI de chaque préfecture. Au niveau régional dans les subdivisions de la Direction des transports routiers et ferroviaires; à la DOSI de chaque région. Les inscriptions se font sur présentation des pièces suivantes : la photocopie non légalisée de l’acte de naissance ; la photocopie non légalisée de la Carte Nationale d’Identité ; deux photos passeports sur fond blanc ; la photocopie du permis de conduire des autres catégories en cours de validité pour ceux qui en disposent. Des dispositions sont prises pour faciliter aux conducteurs ne réunissant pas les pièces exigées à les obtenir dans les meilleurs délais en vue de s’inscrire pour ladite formation. La ministre des Infrastructures et des Transports compte sur le civisme et la bonne compréhension de tous pour la réussite de ces opérations», a indiqué la ministre Zouréhatou Kassah-Traoré.

Du Communiqué de la ministre Kassah-Traoré à la note d’information de Kokou Agbokpè, il apparaît une sorte de légèreté déconcertante préjudiciable à la formation des motocyclistes. Pendant que le Directeur de la DTRF annonce que « le gouvernement a pris la décision de procéder d’abord à la définition et à l’élaboration du contenu de cette formation avant de confier cette noble et lourde responsabilité aux moniteurs », la ministre Kassah-Traoré indique que les inscriptions pour la formation se dérouleront du 02 au 20 septembre dans les services susmentionnés. Un gros mensonge mal habillé puisque les centres de formation ne sont pas concernés par les inscriptions et Agbokpè leur interdit carrément de recevoir les inscriptions. Les inscriptions du 02 au 20 septembre après l’élaboration du contenu de formation seront redistribuées aux moniteurs ? Comme il l’a déclaré à la réunion du 28 août, Agbokpè a décidé que la formation sera faite par la DTRF. Et qu’en est-il des auto-agréées pour la formation ?

La Rédaction a rencontré le Directeur Agbokpè dans la matinée du vendredi 06 septembre pour comprendre davantage ses motivations. Pour lui, il n’y a qu’une seule auto-école notamment FCAM qui a reçu l’agrément Catégorie A pour la formation des motocyclistes au Togo. « Par erreur, l’administration a donné l’agrément à 9 autres centres. Ces centres ne sont pas techniquement outillés pour assurer cette formation. Moi je raisonne techniquement. Les gens ne vont pas à la formation. C’est comme un commerce que la plupart des centres développent. Ils n’ont pas le niveau pour former. Ils ne font que du commerce. Je vous dis que ces centres font du charlatanisme et non la formation », a-t-il indiqué. Pour lui, « Ce n’est pas le code pour le code. Exemple : la courtoisie. Il faut déterminer le contenu de la formation. En tant que régulateur de ce secteur, il nous revient de faire ce travail », soutient-il.

A notre question de savoir, si ce n’est pas suffisamment grave que l’administration donne par erreur l’agrément à des centres qui forment depuis plus de cinq ans, il estime que même s’il y avait une erreur, rien ne les empêche de revenir et corriger cette erreur. Et que peut on dire de ceux qui se sont fait former dans ces centres et ont déjà obtenu leur permis ?

Ensuite, comment la DTRF qui organise les examens peut-elle assurer en même temps la formation, n’est-elle pas juge et partie ? M. Agbokpè estime que cette comparaison ne tient pas la route et qu’il va associer certains moniteurs des centres de formations qui ont le niveau à la formation. Quel sort sera alors réservé à tous ceux qui se sont inscrits dans les auto-écoles ? Pour tout, Agbokpè déclare que après la vague de formation annoncée pour respecter le délai du 1er décembre, les auto-écoles peuvent reprendre la formation. Que de la cacophonie !

De nos longues discussions, nous n’avons simplement retenu que des contradictions notoires qui montrent clairement des desseins cachés autour de cette affaire de permis Catégorie A. Ses arguments sont plus fragiles que la toile d’araignée.

Sur toute la ligne, la décision de Yark n’a pas été mûrement réfléchie et la proposition de revoir les prix des pièces d’identité pour ratisser large telle que rejetée à la réunion du 28 août montre qu’aucun travail au préalable n’a été fait.

Et aucun gouvernement sérieux ne peut s’illustrer par cette improvisation. Plus loin, David Kokou Agbokpè trouve une opportunité pour démontrer son zèle destructeur.

En réalité, le fondement de la décision de Yark repose beaucoup plus sur la sensibilisation et la formation des conducteurs de motos et non un permis pour un permis.

En clair, la formation est beaucoup plus primordiale que le permis qui doit être l’aboutissement du processus. Malheureusement, la position de la DTRF montre clairement que tout le processus sera bâclé au grand dam des populations.

En quoi la formation pour la catégorie A, A1 est-elle différente de la Catégorie B par exemple ? Le code de la route est-il différent pour les motocyclistes ? Ailleurs en France, la politique de sécurité routière a pris en compte la catégorie A dans les établissements scolaires à partir de la classe de 6ème.

Au Togo, la Catégorie A concerne les moteurs au-delà de 125cm3 et la catégorie A1 pour les moteurs au-delà de 50 cm3. Comme tel une moto comme la marque Mate50 et d’autres moteurs inférieurs à 50 cm3 n’ont pas besoin de permis mais d’une autorisation officielle de circulation. Mais dans la confusion actuelle, tout passe.

En plus, le Directeur Agbokpè parle de deux semaines de formation. Comment peut-on former sur le code de la route en deux semaines si lui-même estime que ce n’est pas le code pour le code ?

Encore que dans la réalité, la plupart des formations foraines assurées par la DOSI ne se font qu’en 24 heures ou 48 heures au plus. Et tout ce monde a déjà son permis en circulation.

Et c’est ce qu’il va se passer dans les manœuvres en cours. Tout ça parce que certains individus ont flairé l’opportunité des affaires.

Il est temps qu’on arrête cette pagaille. Cette histoire de la définition et l’élaboration du contenu de la formation est un faux problème. D’ailleurs, selon nos informations, Agbokpè s’est déjà joué de certains experts sur l’élaboration d’un contenu accessible dans le cadre des formations antérieures de DOSI. Et c’est le même contenu qui est utilisé pour les formations expresses et bâclées de la DOSI et de la DTRF jusque-là.

Dans cette situation, il faut trouver un moyen pour une formation sérieuse des conducteurs de taxi-motos qui constituent la masse à l’origine des accidents. Ensuite, il faut les assister à avoir les pièces pour ceux qui n’en ont pas pour qu’enfin la réduction des accidents de la circulation soit une réalité.

Si effectivement, les centres de formation n’ont pas la capacité, il revient au gouvernement à travers la DTRF de mettre à niveau les centres agréés par l’Etat pour une formation de qualité. Il ne s’agit pas d’organiser le folklore qu’on est en train de constater.

Dans cette situation, le silence coupable de l’Union des Auto-Ecoles Agréées du Togo (UNAEATO) inquiète dangereusement. Ce syndicat attendrait-il des ristournes du folklore enclenché pendant que la vie de la population est plus que menacée par le phénomène d’insécurité routière ?

Figurez-vous, un zémidjan qui obtient son permis de conduire dans le cafouillage en cours, comment va-t-il se comporter sur nos routes ?

Pendant qu’il est encore possible de rectifier le tir, que le ministre Yark mette fin à la pagaille généralisée qu’il a déclenchée. Des permis délivrés dans cette chienlit ne seront ni plus ni moins que des permis de «tuer».

(A suivre)

Kokou Agbemebio

Source : Le Correcteur

27Avril.com