Les phraséologies –pour emprunter les propres termes du ministre de la Justice Pius Agbetomey- ne doivent plus détourner les regards de l’essentiel au sein du corps judiciaire. Les litiges fonciers ont toujours existé et existeront toujours.
D’ailleurs, au commencement de la justice togolaise, était la justice du foncier. Et les deux premiers responsables ont plus intérêt à s’attaquer à la racine du mal plutôt qu’à se rivaliser en déclarations qui, au final, entretiennent le flou et se concentrent sur l’ombre plutôt que sur la proie, laquelle proie porte un nom : l’impunité au sein du corps judiciaire.
Des maux profonds aux tentacules multiples
Un magistrat rompu à la tâche en matière foncière est clair sur le mal qui ronge la justice togolaise. L’impunité qui règne au sein de l’appareil judiciaire a fait le lit à toutes sortes de dérives. Et pour que le nouveau président de la Cour suprême arrive à panser cette plaie béante, il lui faut cesser de plaire.
Le juge doit revendiquer le droit de déplaire. Car, à force de plaire surtout à sa hiérarchie, il finit presque toujours par rendre des décisions tronquées, biaisées, intéressées.
Pendant trop longtemps, trop de supérieurs hiérarchiques ont participé à ternir l’image de la justice togolaise. Or, il existe justement au sein de ce corps la notion de « jurisprudence ».
Sans prétendre détenir la science infuse de la chose juridique, certains définissent la jurisprudence comme « une source du droit. En effet, la loi est parfois incomplète, imprécise, muette et les juges doivent trancher et décider au moyen d’une règle de droit qui ne résulte d’aucun texte, ou qui est issue d’une interprétation de ce texte ». Communément, on applique une décision déjà rendue dans une autre situation similaire, mais antérieure à celle à laquelle on fait face. On parle souvent d’appliquer la jurisprudence.
Aujourd’hui, le ministre de la Justice et le président du Conseil supérieur de la magistrature et président de la Cour suprême tentent de redresser la barre de ce corps qui est en perdition. Tant et si assurément qu’on en vient même à convoquer en conseil de discipline le responsable d’un syndicat de magistrats pour avoir rendu publique une réponse sans langue de bois suite aux courriers du ministre de la Justice. Syndicalisme mis en danger par le ministre de la Justice lui-même !
Qu’il est loin, le temps où un ministre de la Justice instruisait ses collaborateurs à diligenter une enquête sitôt un article paru sur un magistrat ! L’ancien Garde des Sceaux, Koffi Esaw donnait trois jours pour avoir les résultats des enquêtes. Et lorsque les faits relayés dans la presse étaient avérés, ou bien le mis en cause se confondait en excuses avec la promesse de non répétition, ou alors il passait en conseil de discipline. Mais c’était il y a longtemps.
A quoi assiste-t-on depuis ? Des dossiers, des plaintes, des décisions auxquels on ne donne plus de suite. Si ce n’est pas un notaire qui refuse de se dessaisir d’un dossier d’héritage qu’il dit gérer pendant une dizaine d’années alors que la loi prescrit un délai pour ce genre de gestion, c’est un avocat suspendu, mais qui arrive à obtenir un sursis à exécution de la décision, qui continue d’exercer comme si de rien n’était, narguant les victimes auxquelles il doit des sommes non négligeable. Ou encore, plus grave, des procureurs convaincus de collusion ou de corruption, mais qui ne sont jamais convoqués devant le conseil de discipline. Ou même du summum de la magistrature qui prend des libertés avec des lots d’autrui, sans que le ministre en fonction ne lève le petit doigt, au nom d’une certaine amitié entre lui et le fautif. Ou encore d’autres dossiers plus puants les uns que les autres, mais pour lesquels la hiérarchie judiciaire semble frappée de paralysie.
On assiste dans les cours d’appel à des arrêts sans que les magistrats y siégeant ne voient les jugements de tribunaux ayant fait l’objet d’appels. A la Cour suprême, des magistrats jugent des arrêts des cours d’appel et décident de prendre des sursis à exécution sans avoir pris connaissance des arrêts contre lesquels les pourvois sont formulés.
Des juges ont aussi pris l’habitude de vider des dossiers sans rendre de décision ; et les avocats doivent courir derrière eux pendant des années pour obtenir gain de cause ; et contre des intéressements parfois.
Comment alors, sans que de tels dossiers, de tels faits ne soient corrigés, on veuille s’en prendre à de jeunes juges également fautifs ? Ne dit-on pas que « c’est au bout de l’ancienne corde qu’on tisse la nouvelle » ?
Les supposés défenseurs des justiciables ne sont pas exempts charges. Des avocats, parlons-en !
Hier, c’était l’ancien Bâtonnier Alexis Aquereburu qui faisait la fierté du barreau togolais. Mais le temps a passé et de l’eau semble avoir coulé sous les ponts. Des avocats tiennent un nouveau langage : le suivi des dossiers, entendez le marchandage des décisions, un phénomène qui a gangréné l’appareil judiciaire, avec à la clé, l’intervention de « démarcheurs ».
Des avocats demandent à leurs clients de délier leur bourse pour qu’il y ait suivi du dossier auprès de tel ou tel juge. Parfois, ce sont des magistrats qui se permettent d’appeler directement des justiciables à venir les voir. Et les avocats informés, gardent au mieux un silence sur la forfaiture. Au pire, ce sont eux qui vont voir les juges pour savoir à peu près combien leur client doit débourser. Il arrive même qu’une fois la somme remise par le client, l’avocat soustrait une partie pour ses propres besoins. Ça se passe dans le corps.
Que faire ?
Un corps malade a besoin de catharsis, de remède. Pour redorer le blason ô combien terni de l’appareil judiciaire, il faut que le juge revendique le droit de déplaire, même à sa hiérarchie. Mais dans le bon sens du terme, afin qu’en conseil de discipline, le juge ait le courage de dire les pressions hiérarchiques ou extérieures qui troublent sa quiétude d’esprit. Les juges des tribunaux reçoivent trop de pressions de leurs hiérarchies. Le dernier cas en date devrait faire l’objet de passage devant le conseil de discipline, mais l’auteur des pressions a été affecté vers la Cour suprême sans que des poursuites ne soient engagées contre lui.
Le président de la Cour suprême doit faire en sorte qu’il n’y ait plus d’impunité au sein du corps, que les décisions prises soient de bonnes décisions, sous peine de sanctionner les magistrats véreux, et que toute pression venant de quelqu’hiérarchie que ce soit dénoncée ; avec la garantie de protéger le juge victime de pression.
Comment les justiciables qui ont aussi une part de responsabilité dans les litiges fonciers peuvent-ils se prémunir ? En revoyant les voies d’achat des terrains. Dans la majorité des cas, la procédure la plus sécurisée est galvaudée. Mais si tout acquéreur s’en remet à un cabinet de notaire pour l’aider à cerner les contours d’un terrain qui l’intéresse, les risques de se faire gruger seraient minimisés. Et, en cas de problème, l’acquéreur sait à qui s’adresser, le cabinet du notaire.
Il est vrai que cette pratique nécessite des frais, mais comparée aux tribulations engendrées par les multiples litiges qui se succèdent dans les tribunaux, c’est un moindre mal.
La maladie du corps des magistrats ne date pas d’hier. « Malgré les efforts du gouvernement pour garantir une justice équitable, indépendante et efficace à travers son programme national de modernisation, force est de constater que le système judiciaire est toujours affecté par de nombreux dysfonctionnements », avouait Koffi Esaw déjà en 2014. Pour inverser la tendance, les autorités ont annoncé le lancement d’une Politique nationale de la justice (PNJ) en coopération avec les partenaires techniques et financiers.
Bientôt huit ans depuis cette déclaration. Un autre ministre a pris fonction. Mais pour quel bilan ? Un autre président du CSM est récemment nommé. Celui-ci se contente des déclarations. Et ensuite ? Le jour où ce duo commencera à dépoussiérer les dossiers puants qui sont connus des autres juges, pour être soldés avec professionnalisme et sans état d’âme ni accointances, les citoyens en général et les différents corps de la justice sauront qu’une autre ère est en train de se lever. Autrement, « le chien de l’injustice aboie, la caravane de l’impunité passe ».
Sanctionner un magistrat pour inobservation des règles hiérarchiques est possible. Mais quand le magistrat en question est couvert par le manteau syndical, alors on fait dos rond et on laisse l’orage passer. Mieux, on analyse avec détachement les griefs soulevés par le magistrat.
Et que dire des magistrats qui sont comme vissés à leur poste depuis près de 10 ans ? Les affectations constituent aussi un moyen de prévenir les aises que prennent certains juges pour avoir duré à leur poste. Le ministre en est bien conscient, puisqu’il avoue que le magistrat n’a pas de plan de carrière. Mais ce n’est pas en affectant deux ou trois juges qu’on parle de vaste mouvement au sein de la magistrature.
Godson K.
Source : Liberté / libertetogo.info
Source : icilome.com