La désintégration du système politique togolais, la perte des valeurs morales et des principes élémentaires qui régissent la gestion d’un État affectent tous les secteurs la société.
Au Togo, le secteur de la santé confronté à des problèmes structurels, est totalement à l’abandon. Et depuis, c’est la porte ouverte à tous les aventuriers, des cupides qui ne s’embarrassent pas de scrupules pour se faire de l’argent en jouant avec la santé de leurs concitoyens. S’il est vrai que les hôpitaux et centres de santé sont dans un calamiteux calamiteux en termes d’infrastructures et de matériels, d’où le procès qui est régulièrement fait au régime ; il est aussi vrai que certains praticiens hospitaliers (médecin, sage-femme, assistant, infirmier) prennent des libertés et posent des actes attentatoires à la déontologie et à l’éthique de leur profession.
Par les temps qui courent (crise économique parlant), on peut comprendre même si on n’est pas loin de l’approuver, que des praticiens hospitaliers volent des médicaments des malades, leur vendent les produits à la place des pharmaciens ou encore détournent les malades des hôpitaux publics vers les cliniques privées. Mais lorsque des praticiens hospitaliers se mettent en réseau avec des ramifications depuis l’extérieur et dans les cliniques privées, pour opérer des malades avec des produits périmés qu’ils leur vendent à prix d’or, cela relève purement et simplement d’un acte criminel. Les résultats de la longue investigation qui suivent, doivent interpeller le ministre de la Santé qui doit cesser de distraire l’opinion avec son histoire de contractualisation bidon alors qu’il se passe des choses gravissimes dans les hôpitaux.
Le Directeur Général du CHU-SO, dont la présence se résume à arracher les micros et les baffles des grévistes, doit se rendre plus utile afin de limiter des dégâts. Enfin, le gouvernement doit rapidement définir un cadre juridique pour réglementer la pratique de la santé au Togo et surtout une réglementation stricte sur les fameuses missions humanitaires qui cachent d’autres réalités beaucoup plus sombres. Les missions humanitaires ne sont pas une mauvaise chose en soi, si elles contribuent à pallier les insuffisances du système de santé par exemple avec des spécialistes qui manquent cruellement sur le terrain. Mais elles ne peuvent en aucune manière se dérouler comme si nous étions dans un pays en guerre où tous les individus véreux viennent faire leurs affaires sous le manteau de la santé.
Les faits
CHU-SO, service de Traumatologie Orthopédique sous la direction du Professeur Abalo médecin miliaire. Le 24 juillet 2018, une équipe s’active pour une intervention chirurgicale au bloc central. Tous les acteurs devant intervenir sont prêts, à savoir le médecin chirurgien, le médecin anesthésiste, l’instrumentiste (infirmier de bloc), le surveillant général du bloc opératoire. Au moment de passer à l’action, le médecin anesthésiste remarque que les produits destinés à endormir le malade sont périmés. Il refuse de s’en servir, provoquant la colère du chirurgien. Le ton monte entre les deux médecins et tourne vite à l’altercation, les insultes et propos dégradants fusent de partout. La discussion était tellement explosive qu’un médecin qui n’était pas de l’équipe, est intervenue pour sermonner le chirurgien qui, non seulement a introduit les produits périmés dans le lot, mais aussi tenait des propos discourtois envers son collègue anesthésiste. Ce dernier a insisté qu’un nouveau produit soit acheté séance tenante, sans quoi il ne prendra pas part à l’opération. Le surveillant du bloc s’est exécuté et l’opération a pu se dérouler.
Le reste des produits qui ne relevaient pas de la compétence de l’anesthésiste et qui étaient périmés, ont été utilisés au cours de l’opération. Ce qui parait comme un simple incident, est en fait une pratique qui a cours depuis quelques années dans nos hôpitaux, avec au cœur un réseau bien organisé qui se partage après les dividendes, après avoir introduit dans le corps des malades des produits périmés vendus à des prix très élevés. Notre investigation nous a conduit à interroger l’ensemble des acteurs de cette nébuleuse, en premier lieu le chirurgien en question, Docteur Guy Alovor; le Professeur Abalo Anani Grégoire, chef de service traumatologie orthopédique ; l’anesthésiste, Docteur Egbohou Jacques; un autre médecin de l’équipe Docteur Bakriga Moïse; et enfin l’instrumentiste Coco Goyitor.
Le chef d’orchestre de cette nébuleuse a pour se nomme Guy Kodzo Alovor chirurgien orthopédiste et traumatologue. Il a trois (03) spécialités : (spécialité chirurgicale consacrée aux opérations des os, des articulations, des muscles, des tendons, des ligaments, des ménisques, des troncs nerveux, périphériques et aussi des téguments. En médecine légale : (domaine médicale consacré aux constatations de coups et blessures avec ou sans ITT « incapacité totale de travail » et la recherche des causes de la mort en cas de décès suspect « thanatologie avec ou sans autopsie, examen de corps, lever de corps ») ; enfin une dernière spécialité : Expertises médicales (évaluation des dommages corporels « accident sur la voie publique, ou domestique », détermination de responsabilité médicale, expertises judiciaires). Il vit en France particulièrement à Péronne en Picardie. Selon plusieurs sources, il serait à son propre compte. Il a mis en place, depuis trois ans, un système qui consiste à récupérer des prothèses totales de hanche et de genoux périmés en France qu’il achemine à Lomé. Une fois sur place, ses amis au CHU-SO et dans les cliniques privées qui sont dans le même réseau organisé, opèrent des malades à qui ils vendent très chères ces prothèses, le tout sous le couvert d’une opération humanitaire.
Outre les prothèses, il achemine également au pays d’autres produits périmés, comme celui que le médecin réanimateur a récusé au bloc. Une recherche rapide en France a permis d’avoir une idée sur les coûts des prothèses. La prothèse totale de hanche entre 1500 et 4000 euros (entre 1 million de franc cfa à 2 millions 600 francs), la prothèse du genou entre 1700 euros à 2250 (1million 100 à 1 million 500). Une fois à Lomé, les prothèses périmées, présentées comme une œuvre sociale, coûtent entre 1 et 3 millions aux malades dans les hôpitaux publics, et jusqu’à 6 millions 500 dans les cliniques privées. A ceci, il faut ajouter les honoraires d’opération perçus par Guy Kodzo Alovor à hauteur de 500 000 f cfa dans le privé. Au CHU –SO, les patients payent cash sans aucun reçu. La dernière mission dite humanitaire (sic) s’est déroulée du 23 au 29 juillet 2018. Au CHU-SO, il a opéré au pavillon militaire et au bloc central et dans une clinique privée. Il est retourné en France depuis.
Pour mieux cerner le rôle de ce médecin, nous l’avons joint en France en lui posant la question que voici : « Bonjour Doc. Je suis Pierre-Claver du journal L’Alternative. Nous avons été informés que vous auriez livré des matériels jugés périmés au CHU Sylvanus Olympio de Lomé et à d’autres cliniques privées de la place. Nous aimerions par la présente votre version ». La réponse du Docteur Guy Kodzo Alovor se décline en ces termes : « Merci pour votre aimable message. Je vous rappelle dans la journée, mais sachez qu’il s’agit d’implants stérilisés aux rayons gamma et pour lesquels le fournisseur à qui je fais entièrement confiance pour travailler avec lui depuis 10 ans, réalise dans le cadre de mes missions quasi humanitaires des modifications exprès de la date de péremption de manière à justifier les prix particulièrement bas auprès des services commerciaux. Ceci permet à bien des malades togolais d’accéder à des prothèses de hanche depuis 3 ans Je ne perçois généralement pas d’honoraires chirurgicaux du reste. Depuis 3 ans, et Dieu merci, il n y a eu aucune infection ni détérioration des implants posés. Les malades les plus indigents ne payent pas plus d’un million FCFA. J’en ai même offert jusqu’à 800 000fcfa. De surcroît, je fournis tous les accessoires chirurgicaux et les médicaments y compris d’anesthésie qui, eux, ne présentent aucune ambiguïté et ce, gratuitement, pour les avoir récupérés auprès de mes amis pharmaciens en France. On aurait pu penser re-stériliser les implants avant de les poser, mais connaissant la fiabilité du produit, cela n’est pas nécessaire et pour «preuve, les résultats sont là. Vous pouvez faire votre enquête auprès du Prof Abalo avec qui les patients sont opérés et qui les suit. A bientôt ». Une réponse qui constitue un véritable aveu. Non seulement, il confirme que les implants sont périmés et qu’il fait cette pratique avec son fournisseur, ce qui est peu probable, connaissant la réglementation en France, mais aussi il déclare que ces opérations se font en collaboration avec le Professeur Abalo. Quant au coût des implants et ses honoraires, naturellement, il dit le contraire de ce qu’il fait sur le terrain.
Quelques minutes après cette réponse, se rendant compte qu’il a eu la langue trop pendue, le Docteur Guy Kodzo Alovor contacte de nouveau la Rédaction, cette fois-ci sur un ton d’intimidation : « Pourriez-vous m’écrire par mail à [email protected] pour m’indiquer le ou les auteurs d’une pareille accusation ? Je compte porter plainte auprès d’un tribunal européen à compétence internationale pour : 1-au pénal : diffamation. 2-au civil : atteinte à la réputation et mon image. Naturellement, veillez à écrire officiellement avec l’en-tête de votre journal ou votre en-tête professionnel personnel si vous agissez en free-lance. J’attends les résultats de vos investigations et vous serez au courant de la suite juridique. Permettez-moi de ne pas être d’accord avec vos méthodes d’investigations. Je vous invite à m’écrire officiellement par courrier et sur mon mail. Pour info, la CPI n’est pas compétente pour les problèmes de diffamation et désinformation. C’est au pénal. Personne ne cherche à vous faire peur. Mais la vérité doit pouvoir confirmer vos écrits et analysez votre rôle à partir de faits que je vous demande d’exposer par écrit. L’Alternative avait toujours eu de bons journalistes. Vous devriez arrêter le radio trottoir et répondre à ma demande de courrier écrit. C’est pourtant si simple ».
Nos investigations nous ont conduit vers le chef service Traumatologie Orthopédique du CHU-SO puisque selon les propres aveux du Docteur Guy Kodzo Alovor, c’est sous son autorité que les interventions se font et c’est lui qui fait le suivi des patients opérés. Voici en intégralité la version du Professeur Abalo Anani Grégoire : « Quand j’ai vu votre message, j’étais surpris. Moi je ne veux pas rentrer dans cette histoire. Je voudrais dire que vous pouvez sortir le dossier pour voir. Cela m’étonnerait quand même que cette information soit vraie. Je ne suis même pas au courant. Je suis surpris. Moi je suis un homme de loi, un médecin militaire. Un truc comme ça, je n’ai jamais laissé passer ça. Ça m’emmerde. Je ne suis pas au courant. Je ne suis pas au courant, je n’étais même pas là, présent. Il m’a dit qu’il va opérer un de ses parents, moi je lui ai facilité la prise en charge. C’est un de mes collaborateurs qui l’a aidé lors de l’opération. Je n’étais même pas là. Il n’exerce pas à l’hôpital ; il n’exerce pas dans la livraison du produit. Peut-être que c’est un service qu’il veut rendre à un parent ; je le connais depuis son stage en France. Je n’étais même pas au bloc, je n’étais pas disponible la semaine-là. Si c’est pour aider ses parents, moi je ne peux pas refuser. Mais si c’est pour nous faire du mal, je ne suis pas d’accord. Je vous promets que je vais faire la lumière sur cette affaire. Je vais faire l’enquête à mon niveau aussi et je vais vous informer ».
En comparant les deux déclarations c’est-à-dire celle du Docteur Guy Kodzo Alovor et du Professeur Abalo Anani Grégoire, on voit bien que l’un ou l’autre, sinon les deux prennent des libertés avec la vérité. En interpellant le chef service Traumatologie du CHU-SO, ce dernier ne savait pas que son ami en France s’était déjà confié à la Rédaction en relatant un peu trop vite le mode opératoire de leur action. La réalité est que contrairement à ce qu’il dit, le professeur Abalo Anani Grégoire était bel et bien présent ce jour-là. Selon plusieurs témoignages recueillis, il est intervenu au bloc pendant l’altercation avant de ressortir sans mot dire. Ces deux personnes sont en train de se couvrir dans le mal, tout comme le troisième larron du groupe que nous avons aussi interrogé sur la même affaire. Présent dans la salle d’opération ce jour-là, alors que plusieurs témoignages font état de ce qu’il est aussi dans le réseau et que c’est lui d’ailleurs qui gère les patients et encaisse les fonds cash qu’il reverse à leur collègue venu de France pour le partage, le Docteur traumatologue Bakriga Moïse déclare : « C’est quelqu’un que je connais bien. Et la dernière fois, je l’ai invité à opérer avec nous dans le cadre d’aider des malades ; en fait il y a des malades qui n’ont pas de moyens pour s’acheter les intrants. Et on a opéré. Moi j’ai mon reçu à l’hôpital, quand il a opéré, moi j’ai mis ce qu’on a mis. Moi je n’ai pas vu des implants périmés dans le cas des malades qu’on a opérés, donc moi je ne peux pas répondre à cette question par l’affirmatif. En tout cas, pour le malade pour lequel moi je l’ai invité à opérer, le matériel n’était pas périmé ».
C’est normal qu’il n’ait pas vu de produits périmés puisqu’il semble couvrir le réseau dont il est membre. Lui aussi ignorait que le sieur Alovor avait confirmé que les implants étaient périmés et qu’il percevait un prix social de 1 million de francs cfa auprès des patients. Vendre aux patients un produit périmé à un million de francs voire plus et prétendre leur venir en aide c’est purement cynique et même criminel. Poursuivant les investigations, nous avons tenu à avoir la version de l’instrumentiste (infirmier du bloc) qui joue un rôle essentiel avant, pendant et après l’opération. En dehors du chirurgien, c’est à lui que revient la responsabilité de faire l’inventaire des produits et vérifier la date de péremption avant toute intervention chirurgicale. Nous l’avons soumis à une rafale de questions sur le sujet. Très paniqué, mal à l’aise, Coco Goyitor, puisque c’est de lui qu’il s’agit s’est mélangé les pinceaux, multipliant les contradictions dans ses déclarations.
Première question « Dans la semaine du 23 au 29 juillet, le compatriote docteur Guy Kodzo Alovor a opéré au CHU-SO. Il a été constaté que les matériels livrés et utilisés sont périmés. En tant qu’instrumentiste, êtes-vous au courant » ? La réponse de Coco Goyitor : « Franchement non, je ne crois pas vraiment. Moi-même j’ai eu ces informations, mais par après. Les étiquettes qui étaient dans les trucs ne sont pas périmées. Je ne crois pas. Puisque moi j’étais seul, de gauche à droite, franchement, je n’ai pas pu vérifier si les trucs étaient périmés. C’est après l’intervention que c’était sorti que c’est périmé; mais bon malheureusement, moi je n’avais pas vraiment vu, et je n’avais pas les trucs-là pour savoir si c’est effectivement périmé ou pas ». Deuxième question : « Est-ce que c’est le rôle de l’instrumentiste de vérifier les matériels, leur qualité avant toute opération » ? Réponse : « Généralement oui. J’étais seul, au four et au moulin ; il fallait qu’on soit deux ou trois. Pour que quelque joue un rôle et l’autre joue un autre. Moi seul je devais m’habiller, moi seul je devais préparer le matériel, moi seul je devais courir de gauche à droite, c’est assez compliqué ».
Troisième question : « Etes-vous au courant de l’altercation qui a eu lieu entre Guy Alovor et le Docteur Egbohou au sujet d’un produit périmé ? » Réponse : « Pour l’altercation oui, je suis au courant. J’étais au bloc opératoire bien sûr. Le matériel n’était pas au complet, il y avait des insuffisances. Egbohou n’a pas vite commencé et le chirurgien était pressé alors que du côté de l’anesthésie, tout n’étais pas prêt. C’est l’origine de l’altercation ». Voilà la ligne de défense contradictoire et bancale du sieur Coco Goyitor dont le rôle est beaucoup plus sombre et subversif. Il se trouve que cet instrumentiste est l’un des cerveaux du réseau.
Après les interventions chirurgicales, un registre de compte rendu opératoire et un dossier médical du patient sont tenus à disposition. Dans ces deux documents, sont consignés tous les rapports et les étiquettes des produits utilisés sont collées à l’intérieur de telle sorte que lors des contrôles ou d’une éventuelle complication, tout médecin puisse, en les consultant, se faire une idée de ce qui a été fait et des produits utilisés. Puisque les étiquettes des implants collés dans les dossiers indiquent que ces produits sont périmés, l’instrumentiste, selon plusieurs sources, se charge de les enlever et de coller d’autres étiquettes des mêmes produits non périmés utilisés pour d’autres patients dans d’autres interventions. C’est en réalité celui qui passe l’aspirateur pour effacer toutes les traces du faux réalisé par ses patrons, avec bien évidemment sa complicité.
Enfin, l’anesthésiste ou médecin réanimateur, celui qui a découvert le faux produit au bloc, ce qui a provoqué une terrible altercation entre lui et Guy KodzoAlovor. Que s’est-il vraiment passé au bloc central du CHU –SO ce 24 juillet 2018 ? Les produits étaient-ils périmés ou non ? Voici la version des faits du Docteur Egbohou Jacques, médecin réanimateur : « Moi je n’ai pas utilisé de matériel périmé, je lui ai ramené. Moi je suis un médecin anesthésiste. Le matériel ne concernait pas trop ma spécialité, même si j’ai des informations. Ce n’est pas moi qui l’avais découvert et je ne pourrai pas vraiment vous renseigner tellement parce que ce n’était pas de matériel anesthésiste. Moi je n’ai pas utilisé le médicament périmé. Je le lui ai ramené. J’ai constaté que c’est périmé. Moi j’ai demandé qu’on lui ramène le médicament et qu’on le change. Ce qui a été fait. Moi je ne veux pas rentrer dans les détails. Ce qui est sûr, moi je ne suis pas rentré dans ce jeu. J’ai demandé du bon matériel, je l’ai obtenu pour ce qui est de l’anesthésie. On a ramené le matériel périmé, nous avons reçu un nouveau matériel payé sur place. C’est clair qu’il (Guy Kodzo Alovor) n’a pas aimé, mais nous on n’est pas rentré dans ce jeu ». Même si l’intéressé n’a pas voulu faire un déballage sur la question et l’incident, en parcourant sa version, on comprend aisément le fond du scandale.
Avant d’interroger tout ce beau monde (Guy KodzoAlovor, Professeur AbaloAnani Grégoire, Bakriga Moïse, Egbohou Jacques et Coco Goyitor), une collecte minutieuse des preuves accablantes a été faite par la Rédaction. Nous publions en fac-similé les étiquettes des implants utilisés avec les dates de péremption qui sont visibles. Les mêmes étiquettes périmées sont collées dans le registre de compte rendu opératoire et le dossier médical, en attendant que l’instrumentiste vienne les substituer par d’autres en passant l’aspirateur. Nous passons également ces étiquettes du registre en fac-similé.
Cette pseudo mission humanitaire génère une sacrée fortune qui profite certainement à l’ensemble du réseau. Lors de la dernière mission du 23 au 29 juillet, plus d’une demi-douzaine de patients ont été opérés au CHUS-SO au bloc opératoire central et au pavillon militaire. Il en est de même dans une clinique privée de la place où un seul implant, de surcroit périmé a été vendu au patient à 6 439 000 f cfa (six millions quatre cent trente-neuf mille francs), selon les chiffres d’un rapport confidentiel consulté par la Rédaction. Les honoraires du chirurgien dans ce rapport sont de 500 000 f cfa par patient.
A l’heure où nous bouclions la première partie de cette investigation, plusieurs compatriotes ont dans leur corps des prothèses périmées après avoir déboursé des millions pour les soins. Parmi ces compatriotes, figurent les parents de deux éminents professeurs de médecine qui ont été opérés lors de la dernière mission de Guy KodzoAlovor. Ils sauront se reconnaitre.
Les conséquences de l’usage des implants périmés
L’usage des produits et implants périmés entraine nécessairement de graves conséquences pour les malades. Selon des spécialistes en France consultés lors des investigations, les conséquences peuvent être de plusieurs ordres. « Les prothèses de hanche et de genou sont des dispositifs médicaux implantables (DMI) ; en raison de leur degré de risque élevé, elles font partie de la classe III où le risque est dit potentiellement sérieux. Leur durée d’utilisation est la plus longue car elles restent en contact continue avec le patient, c’est-à-dire plusieurs dizaines d’années », ont indiqué les spécialistes et d’ajouter : « Lorsqu’elles sont périmées, leurs composants peuvent se détériorer, c’est-à-dire perdent le bénéfice de leur utilisation. Il s’ensuit une désagrégation précoce avec les risques de relargage d’ions qui y proviennent. Elles peuvent être source d’infections et de complications particulièrement redoutables. C’est pour toutes ces raisons qu’il existe une législation très précise sur la traçabilité de ces DMI et la matériovigilance ».
Les médecins qui prennent des libertés en introduisant dans le corps des patients depuis 3 ans des implants périmés sont-ils conscients des conséquences de leurs actes par rapport non seulement à la législation, mais aussi au code de déontologie et d’éthique de leur profession ?
La responsabilité de l’État est engagée
Ce scandale est une preuve que le fameux processus de contractualisation tant vanté par les autorités mais décrié par les praticiens hospitaliers, n’est pas une panacée. Dans un pays en quasi faillite où le secteur de la santé est totalement à l’abandon, c’est la porte ouverte à tous les aventuriers à la recherche du gain facile. Un pays normal avec un système de santé efficace n’a pas besoin de mission humanitaire. Il faut désormais avoir un regard rigoureux sur ces initiatives qui cachent parfois d’autres motivations.
Peut-on organiser une mission humanitaire sans avoir l’aval de l’ordre des médecins? Visiblement non. Les failles sont partout du fait que le système de santé au Togo n’a pas de base juridique. Il n’existe aucune structure, aucun organe, aucune institution de contrôle en dehors du ministère de la Santé qui se trouve dans les mains des mêmes acteurs pourris. Il existe un laboratoire de qualité pour le contrôle des produits logé dans les parages de l’INH (Institut National d’Hygiène). Cette structure financée par un pays étranger avec une formation des agents et une acquisition du matériel, n’a jamais fonctionné. Voilà le paradoxe de la gouvernance au Togo. On abandonne l’essentiel pour des futilités. Si l’Etat avait mis les moyens qu’il faut pour créer les structures, former les médecins qu’il faut, nos populations ne seraient pas aujourd’hui livrées à des vautours déguisés en « missionnaires » de la santé qui viennent introduire dans les corps de leurs compatriotes des prothèses et produits qui servent à faire des simulations sur les cadavres en occident.
La responsabilité du CHU-SO Olympio où ces opérations se déroulent depuis 3 ans est aussi engagée. Un hôpital est un établissement public, et c’est à l’Etat et aux collectivités de réparer un dommage créé par son mauvais fonctionnement. Le médecin qui y exerce est un agent du service public de la santé. Il va de soi, au regard des responsabilités pour faute et des conséquences judiciaires qui peuvent en découler, que les administrateurs de l’hôpital aient un droit de regard sur les actes des médecins. Au CHU-SO, tout a l’air d’un moulin où on fait tout et n’importe quoi. Le Directeur Général du CHU-SO est-il au courant de cette mission humanitaire et du scandale qui a suivi ?
Interrogé ce jeudi 30 août, le Colonel Adom Wiyao Ekpao surpris, dit ne pas être au courant d’une telle opération. « Est-ce que vous avez interrogé celui qui a opéré ? », nous a-t-ilrétorqué au téléphone, l’air furieux. A l’en croire, il a été constaté que 80% des dons souvent offerts au CHU sont constitués de matériels périmés, raison pour laquelle la direction est exigeante et très regardante pour ne plus autoriser quoi que ce soit. « L’hôpital n’est pas un lieu où tout rentre et sort, où n’importe qui vient faire ce qui lui plaît », a-t-il laissé entendre en substance. Après avoir demandé du service où l’opération a eu lieu, il a laissé entendre qu’il ferait ses propres « enquêtes». « Je vais moi-même interroger les gens pour avoir des informations sur cette affaire ». Le premier responsable du CHU-SO affirme ne pas être au courant d’une telle opération qui pourtant, se déroule dans l’établissement dont il a la responsabilité depuis 3 ans. Est-il possible qu’une mission humanitaire puisse se dérouler dans l’enceinte d’un hôpital sans l’autorisation des premiers responsables ? Selon les dires du Directeur Général, « L’hôpital n’est pas un lieu où tout rentre et sort, où n’importe qui vient faire ce qui lui plaît ».
Mais de toute évidence, c’est ce qui se passe dans son établissement, et depuis longtemps.
Ce scandale objet de cette investigation n’est que la partie visible de toutes les activités clandestines et dangereuses qui se déroulent dans nos hôpitaux et centres de santé. C’est la conséquence d’un système de santé à l’abandon dans un pays totalement en faillite sur tous les plans, y compris celui des valeurs et de la morale.
Maintenant que nous avons bouclé nos investigations et rendons publics les résultats, nous attendons la suite judiciaire que nous réserve le Docteur Guy Kodzo Alovor au «Tribunal européen à compétence internationale au pénal pour diffamation et au civil pour atteinte à sa réputation et image». Bon à suivre !
Source : L’Alternative No.731 du 31 août 2018
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