La folle course vers des élections législatives le 20 décembre prochain continue. Ces élections qui, dans les conditions dans lesquelles elles se préparent aujourd’hui, risquent de basculer le Togo dans une crise plus grave, semblent un recours de survie pour le régime de Faure Gnassingbé. Après un simulacre de recensement électoral boycotté massivement par les populations, avec en toile de fond l’enrôlement massif des mineurs et étrangers dans la zone 2, les experts de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’apprêtent à auditer le nouveau fichier électoral.
Dans une correspondance envoyée au président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), le Représentant permanent de la CEDEAO au Togo, Dr Garba Lompo a informé ce dernier de la prise de fonction des experts et du début de l’audit du fichier. « Dans le cadre de la mission de la CEDEAO visant à apporter un appui technique au déroulement du processus électoral, il est prévu de faire procéder à un audit du nouveau fichier électoral, récemment établi afin d’en assurer une totale fiabilité. Aussi la Commission de la CEDEAO a-t-elle procédé au recrutement de Madame Kari Sahli-Majira et Monsieur Mamady Conde, consultants, spécialistes en la matière. Lesdits consultants sont arrivés à Lomé le 29 octobre 2018 et ont pris fonction ce jour, le 30 octobre 2018. Nous avons donc le plaisir de vous les présenter et de les introduire à votre institution. Nous vous remercions des dispositions que vous voudriez bien faire prendre pour faire mettre à leur tout document, texte, information, support et acte qu’ils solliciteraient et dont ils auront besoin pour mener à bien le mandat à eux confié », a adressé Dr Garba Lompo à Kodjona Kadanga. Une correspondance qui vient surprendre plus d’un dans la mesure où l’une des parties prenantes, la Coalition des 14 partis de l’opposition n’est pas encore représentée dans l’institution chargée d’organiser et de superviser les élections, comme l’a indiqué la feuille de route de la CEDEAO.
La CEDEAO contredit-elle ses propres recommandations ?
Bien avant même la publication de la feuille de route pour une sortie pacifique, définitive et durable de la crise politique togolaise le 31 juillet dernier par les chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO, les Facilitateurs ont demandé à la CENI de suspendre ses travaux, afin de régler d’abord sa composition inclusive. Les recommandations de l’institution sous-régionale ont réitéré cela. A la deuxième réunion du Comité de suivi et de la mise en œuvre de la feuille de route de la CEDEAO le 23 septembre dernier, le relevé de conclusion de cette rencontre entre les protagonistes de la crise et les membres de ce comité a décidé de la composition paritaire de la CENI : 8 représentants pour la Coalition des 14 partis de l’opposition et 8 pour la majorité au pouvoir. Mais contre toute attente, le président de la CENI, Kodjona Kadanga, soutenu par le régime de Faure Gnassingbé a lancé les opérations de recensement électoral, sans la Coalition des 14. Cette dernière a appelé le peuple à boycotter les opérations dans les deux zones, un boycott qui a été suivi à 90%, selon le Parti national panafricain (PNP), membre de la Coalition. Aujourd’hui, c’est ce fichier élaboré unilatéralement par la CENI controversée que les experts de la CEDEAO s’apprêtent à auditer.
D’entrée de jeu, on peut ne rien reprocher à l’institution communautaire, surtout aux experts. Puisque ce fichier, après audit, peut être rejeté, compte tenu des graves manquements qu’on a observés tout au long de ce recensement. Cependant, le fait pour la CEDEAO de fermer les yeux sur ce simulacre de recensement et de laisser poursuivre les travaux à la CENI avec les experts qui viennent de prendre fonction, sans les représentants de la Coalition des 14, surprend de nombreux observateurs qui se demandent si l’instance communautaire ne se contredit pas dans ses décisions. Si la C14 n’est pas encore représentée à la CENI, c’est compte tenu de la volonté du régime de Faure Gnassingbé à opérer un coup de force électoral, en impliquant sa complice qu’est l’Union des forces de changement (UFC). Les aberrations intervenues à l’Assemblée nationale il y a quelques jours, avec le refus du parti de Gilchrist Olympio de quitter la CENI devraient normalement interpeller la CEDEAO. Mais cette dernière ne réagit visiblement pas à la situation. On attend que le Comité de suivi et de la mise en œuvre de la feuille de route se prononce sur le sujet, afin de décanter la situation et permettre à la Coalition de siéger à la CENI, puisque selon les responsables de l’UFC en conférence de presse mercredi dernier, seul ce comité pourrait leur demander de quitter l’institution organisatrice des élections au Togo.
La lettre du Représentant permanent de la CEDEAO au Togo, Dr Garba Lompo, annonçant la prise de fonction des experts pour l’audit du nouveau fichier sonne comme une faiblesse de l’institution vis-à-vis de ses propres décisions. Mais dans tous les cas, l’opposition (C14) et la société civile attendent de voir le travail que vont produire ces experts.
Le peuple debout attend le rapport des experts
A la Coalition des 14 partis de l’opposition, on continue de croire que la CEDEAO ne peut remettre en question la décision qu’elle-même a prise le 31 juillet dernier, réitérée le 23 septembre par le Comité de suivi et de la mise en œuvre de la feuille de route pour une sortie de crise au Togo. On ose croire que l’institution sous-régionale est consciente de l’enjeu de l’absence de l’une des parties prenantes au dialogue à la CENI. Pour Nathaniel Olympio, président du Parti des Togolais (membre de la Coalition des 14), il est très tôt pour se prononcer sur le travail des experts. « C’est après la publication du rapport d’audit des experts de la CEDEAO que nous pouvons nous prononcer sur cette situation », a-t-il laissé entendre au téléphone à la Rédaction.
Pascal Adoko, Secrétaire général adjoint de la Convention démocratique des peuples africains (CDPA, membre de la Coalition), quant à lui, pense que la CEDEAO doit prendre ses responsabilités et éviter de tourner une fois encore le peuple togolais en bourrique. Quoi qu’on dise, selon ces leaders, le peuple togolais veille au grain et ne se laissera pas duper cette fois-ci. « La CEDEAO veut nous montrer que le Togo nous concerne nous-mêmes d’abord. Elle veut nous montrer que c’est aux Togolais de régler leur problème. On verra bien ce que ces experts vont nous produire », a indiqué Pascal Adoko.
A en croire les informations, la Coalition des 14 partis de l’opposition va réagir dans les jours qui viennent à la prise de fonction des experts pour l’audit du nouveau fichier électoral. Un communiqué sera publié à cet effet. Le regroupement politique demande au peuple de rester debout, mobilisé et de maintenir la pression, en attendant le rapport des experts électoraux sur le fichier électoral.
Source : L’Alternative No.749 du 02 novembre 2018
27Avril.com