C’était le nième scandale de la semaine passée en matière de droits de l’homme dont Faure Gnassingbé aurait bien pu se passer. Le Président du Réseau des jeunes africains pour la démocratie et le développement (REJADD) a été arrêté dans des conditions rocambolesques, dans le cadre du rapport co-élaboré par son organisation sur la répression des manifestations de contestation et faisant état de plus de 100 morts, puis déféré depuis ce vendredi à la prison civile de Lomé. Flash sur les dessous et les grandes manœuvres de l’ombre qui ont entouré cette affaire.
Assiba Johnson déféré à la prison civile de Lomé
Le commun des Togolais devrait croire à une simple manœuvre de la part du pouvoir, pour juste intimider le premier responsable du REJADD qui a eu le culot (sic) de mener des investigations et élaborer un rapport sur la répression des manifestations de contestation du pouvoir depuis août 2017, puis le relâcher. Mais que non. Le régime n’a pas été réceptif aux appels tous azimuts réclamant sa libération pure et simple. Après 48 heures de garde-à-vue dans les locaux du Service des recherches et d’investigation (SRI), Assiba Johnson, contre toute attente, a été déposé à la prison civile de Lomé. Ce sont trois (03) chefs d’inculpation qui sont retenus contre lui : propagation de fausses nouvelles, outrage à autorités et appel au génocide. Des accusations manifestement fantaisistes.
Le rapport querellé a pourtant recommandé une enquête indépendante pour vérifier les faits allégués. Au-delà, plusieurs voix ont relevé que la meilleure façon pour le pouvoir de s’innocenter est de mener des contre-investigations et élaborer un contre-rapport pour permettre à l’opinion de mieux apprécier. Mais il est resté opaque à toutes ces exhortations et a préféré bâillonner le jeune responsable du REJADD. On peut se demander pourquoi le pouvoir s’est empressé d’arrêter le défenseur des droits de l’Homme et de le déposer alors qu’il a la possibilité de vérifier ces allégations. « Sur le rapport, c’est bien précisé que c’est un rapport préliminaire, cela veut dire que les enquêtes seront poursuivies concernant ce rapport et peut-être que d’autres publications sortiraient par la suite. On aurait pu lui laisser le temps de peaufiner ou terminer ses recherches, de donner une suite au reste de ce rapport, mais tel n’a pas été le cas», s’est désolé son avocat, Me Claude Amegan.
Marchandages, trafics d’influences, deals…
C’est l’élaboration du rapport préliminaire sur la répression mortelle des manifestations d’août 2017 à janvier 2018 qui cause ces ennuis à Assiba Johnson. Mais ce que le commun des Togolais ignore, c’est que ce rapport a été l’objet de beaucoup de marchandages et le responsable du REJADD aurait pu être épargné s’il avait accepté le deal qui lui était proposé.
En effet selon les informations de sources crédibles, un peu en amont de la publication en février du rapport qui fâche, une certaine organisation de défense des droits de l’Homme autrefois très appréciée de l’opinion, mais qui a viré à 180° à cause de la cupidité de ses premiers responsables jeunes mais à l’ambition vorace – suivez nos regards -, aurait proposé un deal au responsable du REJADD. « Cette fameuse ODDH avait proposé au jeune homme de l’associer à la publication du rapport. Elle voulait en fait récolter les dividendes du travail minutieux fait par Assiba Johnson qui était l’un des seuls défendeurs des droits de l’Homme qui était sur le terrain de la répression, notamment au Nord du pays souvent ignoré, avec tous les risques que cela comporte. Mais la condition posée était qu’il devrait édulcorer le rapport en enlevant certaines parties sensibles. Mais le jeune homme a refusé le deal, et c’est ce qui lui vaut des ennuis », confie une source bien informée du dossier.
Toujours dans la continuité de ces manœuvres, il nous revient que suite à l’arrestation du responsable du REJADD mercredi dans les conditions que l’on sait, les responsables de l’organisation sus-indiquée sont revenus à la charge, cette fois-ci pour demander à une autre ODDH partenaire du REJADD dans l’élaboration du rapport, de « désavouer Assiba Johnson et le rapport ». Un autre pacte que le responsable de cette association a refusé…
Le bon sens peut légitimement se demander pourquoi c’est maintenant que le pouvoir procède à l’arrestation du responsable du REJADD, alors que le rapport a été rendu public depuis la mi-février, bientôt deux mois donc. La raison est toute simple : l’empêcher de porter haut le contenu. Il nous revient en effet que le REJADD et ses partenaires à l’échelle internationale devraient animer une conférence de presse à Genève en Suisse le 27 avril prochain au siège des Nations Unies sur ledit rapport. Et Assiba Johnson devrait y être…
Curieux silence de la CNDH et des ODDH du pouvoir
C’est un principe pour les membres d’une confrérie professionnelle de se soutenir dans le malheur. Qui plus est, dans le secteur de la défense des droits de l’Homme, c’est à une levée de boucliers que l’on assiste sous les cieux normaux lorsqu’un membre est persécuté. Il est souvent enregistré des « condamnations de principe » de toutes les organisations. Mais tout porte à croire qu’Assiba Johnson n’est pas de cette famille.
En effet, c’est un curieux silence de cimetière que l’on observe dans les rangs des ODDH, aussi sinon plus nombreuses que les formations politiques au Togo. Seule une poignée d’organisations, d’ailleurs partenaires traditionnelles ou sympathisantes du REJADD ont osé fustiger ce harcèlement ostentatoire contre Assiba Johnson. Mais le mutisme qui interpelle dans tout ça, c’est celui de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH).
La CNDH est censée être le phare des organisations de défense des droits de l’Homme au Togo. On se rappelle qu’Alilou Dja-Cissé, son Président s’était donné la peine de mener des investigations (sic) sur le passage à tabac sur les populations de Kparatao dans la nuit du 24 au 25 février dernier, pour infirmer les faits que les victimes ont confirmés à la mission ghanéenne de vérification dépêchée dans la localité par le Facilitateur Nana Akufo-Addo. Et à travers un communiqué daté du 16 mars 2018, la CNDH a parlé de « contrôle de routine » par rapport à la présence des militaires dans la localité, qualifié le passage à tabac de rumeurs, bref nié les faits. Personne n’est dupe, l’objectif était simplement de venir au secours d’un pouvoir acculé. Mais le patron de la CNDH n’a pas cru devoir réagir face au cas de son collègue Assiba Johnson du REJADD, ne serait-ce que pour condamner les conditions dans lesquelles il a été appréhendé. Même silence de la part des ODDH maison.
Tino Kossi
Source : Liberté No.2651 du 09 Avril 2018
27Avril.com