Togo, Arcanes du pouvoir: Curieux Mouvements Bancaires et Transferts de Propriété de barons

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Togo, Arcanes du pouvoir: Curieux Mouvements Bancaires et Transferts de Propriété de barons

Les pontes du pouvoir cinquantenaire sont-ils en train de sentir le vent du changement à la tête du pays et de prendre des précautions pour protéger leur fortune en prévision d’une suite défavorable ? La question a tout d’être farfelue à première vue et ne manquera pas de faire couler de la bile et de l’adrénaline dans certains milieux. Mais elle est fort légitime lorsqu’on prend en compte les indiscrétions faisant état de mouvements bancaires et transferts de propriété suspects et à grande échelle dans les rangs des barons du régime ces derniers temps.

Opérations bancaires et transferts de propriété à grande échelle

Les mouvements sur les comptes bancaires relèvent de la routine. C’est d’ailleurs le droit le plus absolu des propriétaires. Mais lorsque cela sort de l’ordinaire et se passe à grande échelle dans les rangs des pontes du pouvoir, il y a de quoi être animé de suspicion. Il nous revient en effet que ces derniers temps, nombre de barons du pouvoir « rapatrient leurs fonds » cachés dans des comptes à l’étranger ou plutôt « vident ces comptes ». D’autres s’illustrent sur le plan social par de grands mouvements, non pas dans le sens des versements, mais des retraits fréquents de fortes sommes d’argent. Et parmi eux, des thuriféraires du pouvoir qui ont donné leur vie au clan, des ministres en fonction…

Selon toujours nos sources, d’autres pontes – surtout au féminin -s’illustrent par des achats de bijoux onéreux de plusieurs millions de FCFA qu’ils vont cacher dans des coffres-forts dans les banques. Pour brouiller les pistes et ne pas éventuellement éveiller les soupçons, certains usent de précautions, comme le fait d’antidater ou de postdater les factures de paiement – on se retient juste de citer un nom. Pourquoi cette pratique ? « Vous savez, c’est très intelligent de la part de ces gens (…) C’est très facile de transporter par exemple un bijou de 10 millions sans qu’on ne te fasse des problèmes, mais si c’était l’argent liquide d’un tel montant, tu auras tous les problèmes du monde. Déjà lorsque tu viens retirer un certain montant sur ton propre compte bancaire, tu deviens suspect, on te suit (…) Ces bijoux peuvent être revendus plus tard aisément et chèrement à travers des canaux appropriés et les propriétaires peuvent en tirer des fortunes », nous confie une source très calée dans le milieu bancaire.

Il nous revient par ailleurs que parallèlement, d’autres barons procèdent à des transferts fréquents de propriété ou des immatriculations de biens immobiliers, mobiliers et autres de fortes valeur marchande au nom de tierces personnes dont des proches parents ou simplement des connaissances.

Le confrère L’Alternative, dans sa parution de vendredi dernier, ébauchait déjà le sujet, avec focus sur le cas de Mathias Latta, le fils de l’ancien ministre et patron de l’aviation civile nationale Gnama Latta. « On assiste depuis un certain temps à une pratique généralisée du côté des barons du régime. Officiers supérieurs, ministres en fonction, directeurs de sociétés d’Etat, ils sont nombreux à immatriculer leurs biens (immeubles, voitures de luxe, terrains) au nom d’un tiers, parfois avec des actes notariés sous seing. « Ces derniers temps, nous avons remarqué que plusieurs barons du régime immatriculent leurs voitures de luxe au nom d’un frère, d’un cousin, d’un fils, d’une maitresse ou carrément d’une inconnue », a déclaré sous anonymat un agent des services de transport routier. Une information confirmée par un autre employé des services d’immatriculation. Au Cadastre, c’est le même constat inquiétant. Le phénomène prend de l’ampleur ces temps-ci au point qu’on se pose des questions sur ce que les gens redoutent. L’achat des bijoux mis en sécurité dans les coffres-forts en banque aussi a pris de l’ampleur, sans oublier ceux qui se mettent à acquérir des nationalités étrangères, surtout européennes et américaines, par le biais de mariages arrangés. Un compte bancaire bien garni peut susciter plus de curiosité que des bijoux dans un coffre-fort dans la même institution. Les assurances qui pullulent aujourd’hui dans la capitale sont aussi sollicitées pour la dissimulation de l’argent voire le blanchiment », a écrit le confrère…

Simple dissimulation de fortune, présage d’alternance au pouvoir…?

C’est un secret de Polichinelle, les petits Crésus se comptent par centaines au Togo. En l’espace de 13 ans au pouvoir, le Prince en a suffisamment fait. Des individus autrefois pauvres comme des rats d’église sont devenus fortunés en un rien de temps, avec un simple séjour au gouvernement. On le sait, ces fortunes sont le fruit des détournements de deniers publics, des retro-commissions sur des marchés publics, des trafics illicites et autres crimes économiques. Les indiscrétions font état d’une bonne vingtaine de milliardaires fabriqués par le pouvoir cinquantenaire. Et, le plus curieux, ce sont non pas des hommes d’affaires, mais des gens qui ont juste occupé des fonctions de ministre, directeur de société d’Etat, etc.

A certains qui ont dilapidé des fonds publics mis à leur disposition, s’adjoignent d’autres qui ont même ponctionné des milliards sur des chantiers de route. Les scandales ont toujours été révélés sur la place publique, mais les responsables n’ont jamais été inquiétés, aucun compte ne leur a été demandé et ils sont toujours dans les bonnes grâces de qui on sait. La plupart de ces Crésus fabriqués par le pouvoir ont toujours brandi ces fortunes de façon ostentatoire, sans aucune peur. Le Prince qui leur sert de parapluie a lui-même reconnu l’existence d’une minorité qui fait dans le pillage à grande échelle et l’accaparement des ressources ; mais tout est resté à l’étape du constat dans un discours.

Ces mouvements bancaires massifs, transferts de propriété et immatriculations de biens au nom des tiers répondent-ils à une simple dissimulation de fortune ? On peut légitimement s’étonner que des pontes qui ont toujours brandi ostentatoirement leur richesse et biens issus des pillages et de la rapine, aient subitement senti la nécessité de les dissimuler, mieux, de les « sécuriser ». Oui, c’est manifestement d’une sécurisation de biens qu’il est question.

Ces mouvements ont-ils un rapport avec le temps brumeux sur le plan politique ? Les concernés redoutent-ils un changement de main du pouvoir et cherchent-ils ainsi à dissimuler des fortunes, en prévision d’éventuelles poursuites ? « C’est fort possible parce que des poursuites à l’encontre de partisans ont eu lieu dans bien de pays après la chute des régimes qui leur offraient l’impunité. C’est comme si les gens pressentent quelque chose et cherchent à cacher leur fortune pour que demain, on ne la leur arrache pas (…)», répond un observateur.

Ces soupçons méritent crédit lorsqu’on sait que certains petits zélateurs du régime tentent des rapprochements avec d’anciens barons qui ont rompu et/ou rejoint l’opposition et qui pourraient éventuellement être sollicités dans le cadre d’une éventuelle transition politique, et bien d’autres optent ces derniers temps pour des nationalités occidentales…

Tino Kossi

Source : Liberté No.2713 du 16 juillet 2018

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