Le système permanent d’enquête est en panne ! De Djankassé à Cinkassé, ils sont plus de 200 agents à être déployés sur le terrain à travers toutes les régions du Togo, par le gouvernement. Leur mission : interviewer les chefs d’exploitations agricoles et les responsables des parcelles, mesurer les parcelles à l’aide du GPS, poser les carrés de densité et de rendement, effectuer les récoltes dans les carrés de rendement, procéder à l’inventaire du cheptel et consigner les résultats sur les questionnaires sur le terrain. Permettre la conception, la mise en œuvre, le suivi de projets et programmes de développement du secteur rural, contribuer au calcul du PIB national dont l’agriculture occupe 40%, tels sont aussi leurs objectifs. Eux, ce sont des agents enquêteurs agricoles chargés de collecter toutes les informations, auprès des exploitants agricoles et sur les marchés ruraux.
Recrutés, certains en 1995, d’autres en 2012, par l’Etat, ils travaillent dans le cadredu Système Permanent d’Enquête (SPE), un service de la de la Direction des Statistiques Agricoles de l’Informatique et de la Documentation (DSID) placé sous la tutelle du ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche. « Le Système Permanent d’Enquête (SPE) pour lequel les agents enquêteurs agricoles sont recrutés, est une opération de collecte des données statistiques postérieures au Recensement national de l’Agriculture (RNA) permettant au ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche (MAEP), d’avoir un dispositif intégré de collecte et de suivi des campagnes agricoles et de l’élevage capable de fournir des informations fiables, riches et variées sur le secteur agro-pastoral. Vu le caractère complexe de l’opération, l’agent enquêteur doit être en contact permanent avec les exploitants agricoles pendant toute la période que dure la campagne agricole », indique-t-on.
Colère. Les opérations (y compris des enquêtes spécifiques ponctuelles), s’étendent sur une campagne agricole et couvrent treize (13) mois sur douze (12). Mais sur des coups de tête, Komi Djeguema, directeur de la DSID dont le SPE est une activité principale, réduit le contrat des enquêteurs de 1 mois et demi. Un contrat qui, à vrai dire, ne permet pas à ces derniers de capter les données de façon exhaustive pouvant servir la fiabilité des statistiques.
« Tout comme les critères et profils de recrutement, les contrats aussi varient et ont évolué de façon régressive. Il s’agit des Contrats à Durée Déterminée (CDD) évoluant de sept (07) mois dans les années 80, 90 et 2000 à six (06) mois en 2012 à 2014 et un mois et demi à partir de 2015 jusqu’à nos jours », pestent les enquêteurs qui dénoncent aussi leurs mauvaises conditions de vie et de travail. « Au départ à pied, ensuite à vélo et de nos jours à motos pas très adaptées, le matériel de travail à l’instar du profil et du contrat, aussi a connu des fortunes diverses. Certes, les agents disposent de matériels et équipements mais très peu adaptés : les motos sont de type Accès AC125-16, immatriculées RTG, sont mises en circulation depuis octobre 2012, les GPS sont distribués dont la plupart est obsolète. Le reste du matériel, notamment les piles des GPS, les sacs de protection des documents, les raglans, les bottes et les crédits de communication sont à la charge de l’agent », nous confient-ils. Les conditions de travail ne sont pas roses ; elles sont précaires et se dégradent, elles aussi, avec des contrats à durée déterminée d’un mois et demi. Sans garantie de sécurité, exposés à tous les risques, ces agents enquêteurs qui bravent les dangers du terrain dans les zones profondes broient du noir. «Pas de couverture sociale pour les cas de maladies ni accidents professionnels, non déclaration à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS). Ce qui prouve le caractère d’insécurité, d’instabilité et de précarité du travail. Les nombreux cas de décès, d’accidents professionnels, de maladies sont à la charge des agents eux- mêmes, de leurs familles ou de leurs proches.
Chaque agent a en moyenne, une dizaine d’exploitants agricoles actuellement à visiter dans un laps de temps d’environ un mois au lieu de toute la campagne agricole pour mesurer toutes les superficies emblavées et produire des fiches récapitulatives retraçant les superficies cultivées pour chaque culture, les différentes spéculations, les variétés, la qualité et la quantité de semences utilisées, l’itinéraire technique des cultures de chaque parcelle, la quantité d’engrais utilisé ou non et le coût de mise en valeur de chaque parcelle. Le même parcours se fait au moment des récoltes afin d’évaluer la production de chaque parcelle récoltée au cours de la campagne agricole. Et chaque agent doit en moyenne visiter une dizaine d’exploitants agricoles dans le but d’avoir des informations liées à leurs activités jusqu’à la mesure des parcelles», crient-ils.
Suspension. A toutes leurs doléances, la DSID oppose un refus. Face au dilatoire, en 2015, un mouvement est suscité. Ces agents ont décidé de se constituer en syndicat « pour mieux défendre leur intérêt ». Le Syndicat des Agents Enquêteurs Agricoles Contractuels de la Direction des Statistiques Agricoles de l’Informatique et de la Documentation (SYACO-DSID), est donc né.
A Atakpamé, un atelier qui s’est déroulé du 31 janvier et du 1er février derniers à l’initiative de la DSID a regroupé les acteurs nationaux et les enquêteurs agricoles. Les recommandations sont relative à l’«amélioration des conditions de travail des agents et proposition de mécanismes pour une meilleure valorisation du personnel de la DSID en vue de mieux se préparer à aborder les échéances à venir, d’assurer l’efficacité et l’efficience dans la réalisation de toutes les activités ». Mais depuis, c’est le statu quo. Les recommandations des différents ateliers ne sont toujours pas appliquées.
Menace. Les doléances n’étant toujours pas satisfaites, les enquêteurs agricoles ont refusé de reprendre les travaux tant que leurs contrats ne sont pas revus. « Les agents enquêteurs agricoles contractuels, à l’unanimité dans les cinq (05) régions, exigent sous forme de pétition adressée au Directeur: la signature d’un Contrat à Durée Indéterminée (CDI) de douze (12) mois ; rémunération mensuelle de cent cinquante mille (150 000) francs cfa payable à temps ; la couverture sociale maladies et accidents professionnels ; la déclaration à la CNSS ou la CRT ; la dotation mensuelle de cinquante (50) litres de carburant ; les frais d’entretien mensuel des engins (motos) à dix mille (10 000) francs cfa ; la mise à disposition de tous les agents une copie des contrats dûment signés par toutes les parties ; la notification des invitations aux agents enquêteurs soixante-douze (72) heures avant, pour tout déplacement en région et l’allocation de primes de déplacement, d’hébergement et de restauration ». Ce sont là les « seules conditions pour tout démarrage ou reprise des activités de terrain du Système Permanent d’Enquête (SPE) », selon eux. Il faut noter que sur la liste des propositions de la direction, mis à part le Système Permanent d’Enquête (SPE), qui normalement doit occuper les agents durant toute la campagne agricole est réduite à deux (02) mois, pour la grande saison et deux (02) mois pour la petite saison, pour les régions Maritime et Plateaux. Par contre, pour les régions Centrale, Kara et des Savanes, la même campagne agricole, elle ne couvre que deux (02) mois non renouvelable. Ce qui fait que tout bien jugé, l’agent enquêteur peut rester par moment sans salaire pendant environ huit (08) mois, selon qu’il soit de la région Maritime ou des Plateaux, voire dix (10) mois, selon qu’il soit de la région Centrale, de la Kara ou des Savanes », ont-ils avancé. En réalité, il a été proposé à ces derniers un contrat d’un mois et demi. Après 22 ans pour les uns et 6 ans pour d’autres, convient-il de maintenir ces agents au titre de temporaires ?
En réponse au mouvement de cessation du travail, le Directeur de la DSID, Komi Djeguenou ne compte pas céder. Il évoque un déficit budgétaire. Dans ce dossier, la Synergie des travailleurs du Togo (STT), la centrale à laquelle ces agents sont affiliés, a cherché à rencontrer le directeur pour un dénouement de la crise. Mais sa demande d’audience n’a pas pu trouver de suite favorable.
Actuellement, les agents ne sont pas sur le terrain. Alors qu’ils devraient rendre leurs chiffres le 15 juillet pour faire des statistiques agricoles annuelles. Le rapport du traitement des données prend alors du retard et le risque est grand et le financement de l’agriculture par les partenaires extérieurs est dans l’impasse. Puisque bientôt, les partenaires techniques et financiers, notamment la FAO et le FMI vont réclamer ces données en vue du financement de la prochaine campagne.
Joint hier au téléphone par L’Alternative, le Directeur parle de coup monté et de « manipulation ». A l’en croire, les enquêtes du SPE n’ont jamais dépassé 2 mois. « Le SPE n’a jamais fait 12 mois ou un an d’enquête. Le SPE fait seulement 2 mois d’enquête. Il arrive de faire plusieurs enquêtes pendant 6 mois, mais l’enquête du SPE dure toujours 2 mois. Ça n’a jamais dépassé ce délai », confie-t-il.
Selon lui, cette période de 2 mois couvre la phase de mesure de superficie et celle de rendement de mesure de récolte. Il ajoute que dans la plupart des régions, à l’instar de celle Maritime, le déploiement des enquêteurs est effectif sur le terrain, sauf dans certaines zones où les gens sont manipulés.
Estimant qu’ils ne sont pas en retard en ce qui concerne le rapport annuel, le Directeur explique qu’il ne pense pas que la situation actuelle va compromettre le financement de la part des partenaires. Toutefois, il relativise : « on verra ».
Source : L’Alternative No.718 du 13 juillet 2018
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