L’affaire dite de « Tigre Révolution » n’est pas close. Dans un communiqué, L’Association des victimes de la torture au Togo (ASVITTO) en parle. L’ASVITTO évoque les conditions de détention des personnes arrêtées dans le cadre cette scabreuse affaire. Très préoccupée par la situation des personnes détenues dans le cadre de cette affaire, ASVITTO formule quelques recommandations à l’endroit des autorités togolaises. Lisez plutôt !
COMMUNIQUÉ DE PRESSE DE L’ASSOCIATION DES VICTIMES DE LA TORTURE AU TOGO (ASVITTO) RELATIF À L’AFFAIRE D’INSURRECTION ARMÉE DITE “TIGRE RÉVOLUTION” DEUX (2) ANS APRÈS L’ÉVÉNEMENT
I-L’HISTORIQUE DES FAITS
L’affaire dite de “Tigre révolution” a défrayé la chronique au Togo en novembre 2019. Tout a commencé par une information relayée par les médias officiels selon laquelle une “tentative d’insurrection armée” aurait été déjouée dans la capitale. À la suite, des arrestations ont eu lieu jusqu’en janvier 2020 avec plusieurs dizaines de personnes encore en détention sans jugement et cinq (5) décès selon des sources sérieuses.
II- SUR LES CONDITIONS DE DÉTENTION
Les personnes interpellées dans l’affaire d’insurrection armée ont été détenues par une unité spéciale au Camp du Groupe d’Intervention de la Police Nationale (GIPN) jusqu’en septembre 2020 avant d’être transféré dans les prisons civiles à la suite de l’intervention du Groupe de travail de l’ONU sur les disparitions forcées ou involontaires qui a été saisi sur le cas de M. Akohsi Sakibou dit Ibrahim.
Des allégations de tortures et des traitements cruels inhumains ou dégradants ont été faites par les personnes détenues au camp GIPN où cinq (5) personnes auraient trouvé la mort suite aux mauvais traitements. Selon des témoignages recueillis sur les conditions de détention dans ce camp, on retient : « deux bouteilles d’eau de 1,5 litre sont réservées à 18 personnes dans la cellule pour une journée. On dormait toujours menottés par derrière. Des coups de cordelettes par ci, des coups de planches par là. J’étais parfois menottés la main gauche contre le pied gauche ou la main droite contre le pied droit. Je ne cessais de crier à la mort pendant 9 jours. Depuis ces traitements, j’ai régulièrement des douleurs au niveau de ma colonne vertébrale, des maux d’yeux et les maux du cœur ».
Dans un autre témoignage, on lit: « lors de mon arrestation, ils m’ont couché à plat ventre et sont tous assis sur moi. Arrivé à un endroit ils m’ont sorti de la voiture et me disent que si je ne leur montre pas la cachette d’armes ils vont me tuer. Je ne comprenais rien du tout de ce qui se passait, et comme c’était la nuit je ne savais pas où j’étais. Ils m’ont serré les menottes et m’ont violenté. Je leur disais que je ne connais rien des armes mais ils ne cessaient pas de me violenter. Quand je criais je les entendais dire que si je mourrais ils vont me jeter quelque part pour partir. Entre temps, il faisait un peu jour et la voiture s’est arrêtée quelque part dans une grande clôture. Ils m’ont mis dans une cellule où je suis resté dans les menottes pendant quatre jours. Dans cette cellule j’étais avec d’autres personnes et on devait nous-mêmes donner l’argent qu’on nous achète à manger une fois par jour. Quelques jours après, on nous a conduits à un endroit où il y avait des journalistes et des gens avec des caméras sur nous ».
Dans un autre témoignage, on lit encore : « arrivé au camp GIPN, les militaires m’ont mis à genoux et me disent de marcher sur mes genoux. Après ils me demandent où se trouve l’arme? Je réponds que je ne connais rien de l’arme puis il y a un parmi eux qui m’a donné un coup violent de pied et je suis tombé par terre, ils me frappaient partout sur mon corps. J’ai reçu des coups violents sur ma poitrine, et quelqu’un cognait ma tête violemment contre le sol. Après ils m’ont mis en cellule et ils ont versé de l’huile de vidange dans la cellule où j’étais avec d’autres personnes. Nous étions 30 dans la cellule et on avait une bouteille vide dans laquelle tous on urinait et une bouteille d’eau à boire par jour ». En considérant les témoignages recueillis, ces personnes auraient subi des mauvais traitements allant de la diète, aux sévices corporelles et aux simulacres de peloton d’exécution qui sont des formes les plus graves de tortures.
III- SUR LE PLAN DES DROITS HUMAINS
En février 2020, l’ASVITTO reçoit la première plainte d’un cas de disparition. La plainte est venue de madame Akohsi Fousséna qui se plaignait de la disparition de son frère cadet Akohsi Sakibou dit Ibrahim qui a disparu depuis de son lieu de résidence à Djarkpanga, chef-lieu de la préfecture de Mô où il vivait avec sa femme enceinte et ses six (6) autres enfants au moment de sa disparition.
Toutes les démarches entreprises par l’ASVITTO pour aider la madame à retrouver son proche ont été vaines de février à août 2020. Ainsi, le 16 septembre 2020, l’ASVITTO appuyé par Amnesty International a saisi le groupe de travail de l’ONU sur les disparitions forcées par rapport à ce cas avec le consentement de la famille. Suite à cette plainte portée au niveau de cette procédure spéciale, madame Fousséna reçoit un appel anonyme en Octobre 2020 lui annonçant que son frère recherché est gardé au service Cabano du CHU Sylvanus Olympio de Lomé. Elle s’y est rendue mais avait du mal à reconnaître son frère parce qu’il serait méconnaissable selon elle.
Dans une grande émotion, elle disait : « Je ne reconnaissais plus mon petit frère, lui aussi ne me reconnaissait plus. Je lui ai demandé comment s’appelle sa femme, et c’est quand il m’a donné le nom de sa femme que j’ai compris que c’était vraiment mon petit frère. Aussitôt après, les infirmiers m’ont remis un lot d’ordonnances médicales me demandant d’aller vite acheter les produits pharmaceutiques pour soigner mon frère alors que je n’ai pas de moyens car je ne vends que des oranges. J’ai dû recourir à certains membres de la famille qui ont cotisé pour m’aider ».
En novembre 2020, madame Fousséna fait comprendre, qu’au fil des visites, elle a constaté que son frère Akohsi Sakibou ne raisonne plus bien et qu’il n’y aurait plus de cohérence dans ses propos. Selon elle, il serait devenu fou et la dégradation de sa santé mentale serait bien connue des agents pénitenciers qui auraient fait le même constat. En juin 2021, madame Fousséna dépose une plainte à la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) par rapport à ce qui est arrivé à son frère car dit-elle : « je veux comprendre ce qui est arrivé à mon frère au camp GIPN ».
Tout comme elle, l’ASVITTO a accompagné plusieurs autres détenus de l’affaire ‘’Tigre révolution’’ à déposer des plaintes contre les présumés auteurs à la CNDH au regard des allégations d’actes de tortures et mauvais traitements qu’ils auraient subis dans ce camp.
IV- SUR LE PLAN JUDICIAIRE
Sollicité par l’ASVITTO dans le cadre de son accompagnement judiciaire, un collège de trois (3) avocats assistent bénévolement les détenus dans ce dossier. Ainsi, la procédure judiciaire de ce dossier comme bien d’autres relatifs aux allégations de tortures et mauvais traitements, se trouve être bloquée par le fait que le juge d’instruction en charge du dossier ne veut pas enquêter sur les allégations d’actes de tortures des détenus. Il affiche une indifférence, une insouciance et une insensibilité notoire et tente de faire passer la question de la torture par pertes et profits. On se demande si la lenteur de la procédure ne serait pas intentionnelle afin de faire disparaitre les traces et impacts des mauvais traitements sur les détenus. Cette situation met en danger les détenus face aux présumés bourreaux et encourage l’impunité qui continue par nourrir le crime de la torture. Il est impérieux, pour les autorités gouvernementales et judiciaires, de manifester pour une fois, une bonne volonté dans la prévention de la torture et des mauvais traitements dans tous les lieux de privation de liberté par des mesures efficaces.
V- RECOMMANDATIONS
Au regard de ce qui précède, l’ASVITTO est vivement préoccupée par la situation de ces détenus interpellés dans l’affaire d’insurrection armée ou ‘’tigre révolution’’ et formule quelques recommandations à l’endroit des autorités gouvernementales :
- l’ouverture d’une enquête sur les allégations de tortures dans cette affaire
- Assurer un procès équitable pour les personnes interpellées, y compris le droit d’être jugé dans des délais raisonnables.
- autoriser les parents qui le souhaitent à visiter leurs proches détenus dans le respect des mesures liées à la pandémie.
Fait à Lomé, le 1er novembre 2021
Pour l’ASVITTO
Le Président M. ATCHOLI KAO Monzolouwè
Source : icilome.com