Alors que les forces de sécurité burkinabè sont sorties affaiblies de la transition, le pays est une cible toute trouvée pour les jihadistes. Le 13 août, 19 personnes ont ainsi perdu la vie à l’Aziz Istanbul.
De MMS en MMS, le cliché a circulé sur des dizaines de téléphones portables burkinabè. Au milieu des débris, à même le sol terreux, on y voit un individu allongé, bras et jambes désarticulés. Son manteau noir ouvert laisse apparaître un gilet kaki rempli de munitions. Son visage est juvénile, son teint d’un noir clair, mais on ne sait rien d’autre de cet homme dont la photographie a fuité du dossier d’enquête : ni son identité ni ses commanditaires. Il est pourtant l’un des deux auteurs de l’attaque qui a semé la terreur sur l’avenue Kwame-Nkrumah, en plein cœur de Ouagadougou, le 13 août. Un attentat qui, dix jours plus tard, n’avait toujours pas été revendiqué.
Arrivés à motos, les deux tireurs ont ouvert le feu sur la terrasse de l’Aziz Istanbul, un café-restaurant prisé des Burkinabè aisés et de certains expatriés, notamment issus de la communauté turque, faisant 19 morts et une vingtaine de blessés. Sur l’une des artères principales de la capitale, ils ont défié pendant cinq heures les forces de sécurité les plus expérimentées du pays.
Un pays endeuillé
Même avenue, même modus operandi, même type de cible… C’est à seulement quelques centaines de mètres de l’Aziz Istanbul que, le 15 janvier 2016, Ouagadougou était frappé pour la première fois de son histoire par un attentat terroriste.
Une nouvelle fois encore, tout le pays en est sorti sonné. Il ne s’était pas encore relevé lorsque, le 19 août, il apprenait la mort de Salif Diallo, le président de l’Assemblée nationale et du parti au pouvoir, l’un des plus anciens compagnons de route de Roch Marc Christian Kaboré.
Les auteurs figurent parmi les groupes jihadistes opérant au Sahel
De deuil en deuil, les drapeaux sont restés en berne durant six jours, rappelant à tous les défis auxquels le Burkina fait désormais face.
Le Faso était menacé depuis plusieurs semaines
L’attentat du 13 août n’était pas vraiment une surprise. « Depuis plusieurs semaines, nos services étaient en alerte », confie un haut responsable sécuritaire.
« Nous vivons désormais en permanence avec la menace d’une attaque. La seule chose que nous ne savons pas, c’est où et quand elle aura lieu », reconnaît une source diplomatique occidentale à Ouaga. Dix jours après, les enquêteurs n’excluaient « aucune hypothèse, pas même la piste politique », d’autant que l’absence de revendication intrigue.
Fragile depuis la chute de Blaise Compaoré, le pays apparaît comme une proie de choix pour la pieuvre terroriste
Mais pour les experts de la zone, il y a peu de doute. Les auteurs figurent parmi les groupes jihadistes opérant au Sahel. « Cette fois-ci, nous avons décidé de ne pas publier de photos des terroristes. C’est ainsi plus difficile pour ces mouvements d’avoir la certitude qu’il s’agit d’un de leurs hommes », avance un haut gradé de l’armée. La cible – un café halal – et la présence de plusieurs dignitaires musulmans parmi les victimes – deux Koweïtiens, dont l’imam de la grande mosquée de Koweït City, et un imam burkinabè, Issa Amadou Tanon – pourraient aussi dissuader les groupes jihadistes de revendiquer l’opération.
Le Burkina ciblé
Entre l’autoproclamé Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) – regroupement récent d’Al Mourabitoune, Ansar Eddine et de la katiba Macina sous la bannière d’Aqmi –, l’État islamique au Sahara ou encore le mouvement local Ansarul Islam, nombreuses sont les organisations concurrentes en capacité de frapper.
« Elles veulent montrer qu’elles peuvent agir hors du Mali, analyse Cynthia Ohayon, spécialiste de la région au sein de l’International Crisis Group. Le Burkina Faso est ainsi devenu une cible prioritaire. » Fragile depuis la chute de Blaise Compaoré, le pays apparaît comme une proie de choix pour la pieuvre terroriste.
À chaque fois, les attaques ont lieu dans le nord du Burkina, et les assaillants semblent venir du Mali voisin
Jusque-là considéré comme un îlot de tranquillité en Afrique de l’Ouest, il a en effet subi ses premières attaques six mois seulement après le départ contraint de l’ancien président.
En avril 2015, un employé roumain travaillant sur un site de manganèse est enlevé près de la frontière avec le Mali et le Niger. Quatre mois plus tard, non loin de là, une gendarmerie est attaquée à Oursi et un des hommes de la brigade est tué, ouvrant la voie à une macabre série.
À chaque fois, les attaques ont lieu dans le nord du Burkina, et les assaillants semblent venir du Mali voisin.
Depuis le début de l’année, une dizaine d’attaques
La situation n’a ensuite cessé de se dégrader. Depuis le début de l’année, on recense au moins une dizaine d’attaques. Les cibles sont souvent des membres des forces de sécurité, mais parfois aussi des civils.
Le 3 mars, l’assassinat d’un directeur d’école, dans le Soum, a épouvanté le monde enseignant. Des établissements ont fermé, certains instituteurs ont fui. Le nord du Burkina Faso, devenu le pré carré d’Ansarul Islam, le nouveau venu des mouvements jihadistes au Sahel, est désormais une zone de non-droit semblable à certaines régions maliennes.
L’héritage de Blaise Compaoré
« Le Burkina paie les conséquences du deal douteux et précaire conclu entre Blaise Compaoré et les groupes jihadistes », explique Cynthia Ohayon.
À la tête du pays pendant vingt-sept ans, médiateur – rarement impartial – dans la sous-région, l’ancien chef de l’État entretenait des relations avec tous les acteurs, même les plus infréquentables. « Iyad Ag Ghali [le chef d’Ansar Eddine] avait pignon sur rue à Ouagadougou, où il se rendait régulièrement avec ses hommes.
On les laissait se livrer à leurs trafics mafieux. En échange, ils ne s’en prenaient pas au Burkina. Lorsque Compaoré a quitté le pouvoir, ils ont perdu leur protecteur », analyse le colonel (en retraite) Jean-Pierre Bayala.
Blaise Compaoré entretenait des relations avec tous les acteurs de la région, même les plus infréquentables
Ces liens étroits étaient entretenus notamment via le Mauritanien Moustapha Limam Chafi, l’influent conseiller de l’ombre de Compaoré, qui œuvrait en tant qu’émissaire pour les libérations d’otages.
Tout le système de renseignement burkinabè était alors piloté par Gilbert Diendéré, l’ex-chef d’état-major particulier du président. « Ils avaient des indics dans chaque village, dans chaque mosquée. Même au milieu du désert, les bergers leur faisaient remonter ce qu’ils voyaient. »
Un système d’information efficace, quoique artisanal, qui s’est écroulé avec le départ de Blaise Compaoré et l’incarcération de son fidèle bras droit, en 2015, pour son rôle présumé dans la tentative de coup d’État.
Pour tenter de reconstruire un réseau, une Agence nationale de renseignement (ANR) a été créée en mars 2016. Censée être pleinement opérationnelle depuis le mois de juin, elle n’a « toujours pas atteint sa vitesse de croisière », estiment plusieurs sources.
Le Burkina refuse l’aide formulée par Paris
« La transition a tout désossé. Et la reconstruction prendra des années », regrette un ancien diplomate basé à Ouagadougou.
Certains avaient plaidé pour une simple réforme du Régiment de sécurité présidentielle, le corps d’élite le mieux équipé et le plus choyé sous Compaoré, et non pour sa dissolution pure et simple.
Mais, après la tentative de coup d’État menée en septembre 2015 par une partie de ses éléments, l’ancienne garde prétorienne du « Beau Blaise » a été jugée trop dangereuse par les nouvelles autorités.
Ces dernières ont mis du temps à prendre conscience de l’absence de moyens. Il aura fallu l’attentat de janvier 2016, puis celui de Nassoumbou, en décembre 2016 (où douze soldats des forces armées antiterroristes avaient été tués à la frontière nord), pour qu’un réel tournant s’opère.
Lors de la première attaque ouagalaise, l’armée burkinabè avait dû faire appel aux forces spéciales françaises. Le 13 août, le Burkina a estimé être en mesure de décliner la proposition d’aide formulée par Paris.
Toute la nuit, les gendarmes d’élite de l’Unité spéciale d’intervention de la gendarmerie nationale (USIGN) sont donc intervenus seuls.
Dans le nord du pays, les militaires se plaignent aussi régulièrement d’un déficit d’équipement
Une évolution notable, qui ne fait pas oublier pour autant certaines lacunes : les éléments burkinabè ne disposent ni de matériel d’effraction de porte, ni de lunettes de vision nocturne, ni d’armes de tir de précision… et leur unique bouclier a été détruit lors de l’opération.
Manque d’organisation
Dans le nord du pays, les militaires se plaignent aussi régulièrement d’un déficit d’équipement. Prégnant depuis de longues années, le malaise social au sein de l’armée n’a pas encore été pris à bras-le-corps.
« Il règne une désorganisation et un manque d’efficacité qui sont du pain bénit pour les terroristes, regrette le colonel Jean-Pierre Bayala. Pour le moment, on se contente de solutions d’urgence, mais on ne dresse pas son chien le jour de la chasse ! » Ces derniers mois, la présence militaire a été régulièrement renforcée.
Désormais, plus de 1 500 hommes (sur les quelque 12 000 que compte l’armée nationale) patrouillent dans cette zone à hauts risques. Un ministre de la Défense a été nommé en février, une première depuis six ans – le portefeuille était jusqu’alors détenu par le chef de l’État.
Roch Marc Christian Kaboré a choisi Jean-Claude Bouda, l’un de ses plus fidèles lieutenants, pour former un tandem avec l’influent Simon Compaoré, qui règne en super-ministre de la Sécurité.
5000 hommes du G5 Sahel attendu au nord du pays
La vulnérabilité du Burkina Faso, qui fit longtemps office de verrou, inquiète aujourd’hui dans toute la sous-région. C’est ainsi autour de la frontière entre le Burkina, le Mali et le Niger que la force de 5 000 hommes du G5 Sahel doit être déployée dès la fin août.
Une initiative qui a le mérite d’être africaine, mais qui ne parvient pas à rassurer : sur les 423 millions d’euros nécessaires, un peu plus de 100 millions seulement ont été réunis.
Chacun sait pourtant que le péril est omniprésent. Au lendemain de l’attentat de l’Aziz Istanbul, la Côte d’Ivoire a renforcé son niveau de vigilance et mis ses services sécuritaires en alerte. En 2016, Grand-Bassam avait été frappé deux mois seulement après Ouagadougou.
Jeune Afrique