Sur les traces de l’« ami personnel » des Gnassingbé, Chirac au Togo

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Sur les traces de l’« ami personnel » des Gnassingbé, Chirac au Togo

Le monde entier a appris le décès de l’ancien président français, Jacques Chirac ce jeudi 26 septembre 2019. Celui qui a été le « grand ami » de beaucoup de chefs d’Etat africains durant sa carrière politique, a quitté le monde des vivants à l’âge de 86 ans. Depuis hier donc, Chirac dort avec ses ancêtres les Gaulois. Les hommages d’éminentes personnalités à travers le monde ne cessent de pleuvoir.

« Jacques Chirac était un destin français », déclarait Emmanuel Macron, l’actuel président français lors de son discours d’hommage hier soir. Et Faure Gnassingbé, le chef d’Etat togolais de renchérir en disant de Jacques Chirac qu’il est « un humaniste, un homme de conviction et de vision, un fidèle ami du Togo et du peuple togolais… ».

On peut comprendre Faure Gnassingbé dans ses déclarations, puisqu’il hérite d’un pouvoir que l’illustre disparu a concouru à garder par sa famille. Mais dans le monde entier, c’est l’éloge qu’on fait de cet homme, oubliant les traces qu’il a laissé surtout en Afrique, qui est au cœur des débats.

En Afrique, plus précisément au Togo, lorsque quelqu’un meurt, l’on s’en tient au respect de la mémoire du disparu au point d’oublier son passé, les actes répréhensibles qu’il a peut-être commis. C’est de bonne guerre. Mais lorsque, même après son départ, les actes du regretté continuent de hanter la mémoire de tout un peuple ou de tout un continent, il importe de rappeler un tant soit peu ce passé sulfureux pour devoir de mémoire à la jeune génération. Ces lignes vont seulement s’arrêter sur les traces, au Togo, de celui que tout le monde entier pleure aujourd’hui.

C’est vrai, Jacques Chirac était le grand ami de Gnassingbé Eyadéma, comme c’est d’ailleurs le cas pour presque tous les chefs d’Etat d’Afrique. Ils se sont connus depuis que le premier était maire de Paris et ambitionnait briguer la magistrature suprême. A l’époque, le maire de Paris tissait des relations avec ces chefs d’Etat qui le soutenaient surtout financièrement. C’est le cas d’un certain Etienne Gnassingbé Eyadéma qui, pour garder son pouvoir, se voyait obligé de graisser les pattes du futur président des Français.

En 1995, Eyadéma a beaucoup soutenu Chirac dans sa campagne pour la présidentielle. Dans les sondages, Edouard Balladur était largement en avance sur Jacques Chirac. Mais c’était finalement ce dernier qui avait remporté la présidentielle au détriment de son adversaire. L’argent et les marabouts étaient passés par là. Et Gnassingbé Eyadéma a joué un grand rôle à l’époque. L’ouvrage « La sorcellerie au cœur de la République » de Sylvie Jumel, explique bien comment les féticheurs et autres sont sollicités à la Présidence française au temps de Chirac.

Jacques Chirac n’a pas bonne presse auprès de l’opinion togolaise, en tout cas pas auprès de la majorité marginalisée, oppressée qui croupit dans la misère. Il a soutenu Gnasingbé Eyadéma jusqu’à sa mort le 5 février 2005.

En 1999, Gnassingbé Eyadéma avait donné sa « parole de militaire » selon laquelle il ne se présentera pas à l’élection présidentielle de 2003. Mais avec la signature de l’Accord Cadre de Lomé, le « militaire » revenait progressivement sur sa parole. On le voyait venir jusqu’à ce qu’il ne modifia la Constitution en décembre 2002. Il était soutenu par Jacques Chirac contre le peuple togolais qui dénonçait ce tripatouillage qui offrit un mandat de plus au « Timonier », même s’il ne l’a pas terminé, la mort ayant eu raison de lui.

Jacques Chirac a énormément contribué au maintien de son fils, Faure Gnassingbé au pouvoir en 2005 à la mort de l’« ami personnel de la France ». Le rapport de l’Organisation des Nations Unies (ONU) sur les violences de 2005 sur les populations togolaises, a fait état de plus de 500 morts. Et dans le document, des noms sont cités et bien connus de tous. Mais si l’ONU n’a plus insisté pour que ces personnes soient traduites en justice et punies conformément à la loi, c’est parce que la France de Jacques Chirac a décidé de fermer les yeux sur ces tueries.

Ces quelques faits de l’histoire montrent bien le rôle trouble qu’a joué Jacques Chirac, surtout au Togo lorsqu’il était aux affaires. Il a plus marqué les Africains négativement, surtout les Togolais qui cherchent encore les moyens de se débarrasser du régime cinquantenaire qu’il a aidé à maintenir au pouvoir.

« On oublie seulement une chose. C’est qu’une grande partie de l’argent qui est dans notre porte-monnaie vient précisément de l’exploitation, depuis des siècles, de l’Afrique. Pas uniquement. Mais beaucoup vient de l’exploitation de l’Afrique. Alors, il faut avoir un petit peu de bon sens. Je ne dis pas de générosité. De bon sens, de justice, pour rendre aux Africains, je dirais, ce qu’on leur a pris. D’autant que c’est nécessaire, si on veut éviter les pires convulsions ou difficultés, avec les conséquences politiques que ça comporte dans un proche avenir », avait-il déclaré en février 2007 au sommet franco-africain de Cannes. Et il avait ajouté : « Nous avons saigné l’Afrique pendant quatre siècles et demi. Ensuite, nous avons pillé ses matières premières ; après, on a dit : ‘Ils ne sont bons à rien.’ Au nom de la religion, on a détruit leur culture et maintenant, comme il faut faire les choses avec plus d’élégance, on leur pique leurs cerveaux grâce aux bourses. Puis, on constate que la malheureuse Afrique n’est pas dans un état brillant, qu’elle ne génère pas d’élites. Après s’être enrichi à ses dépens, on lui donne des leçons ».

Un mea culpa ? Un testament laissé aux Africains ? En tout cas, que « ses œuvres l’accompagnent ».

I.K

Source : www.icilome.com