Chez nous en pays tem il y a un proverbe qui stipule que « la récolte du haricot n´est jamais bonne là où on le consomme le plus. » Ce dicton illustre bien le caractère bizarre ou incompréhensible de la nouvelle qui nous vient de Cotonou. En effet, selon l´hebdomadaire Jeune Afrique, une nouvelle tentative de déstabilisation aurait été déjouée au Bénin dans la nuit du 25 au 26 juin 2020. Si l´information se confirme, ce serait la deuxième tentative de renversement du régime de Patrice Talon en moins de cinq mois; car en mars dernier les services de renseignements béninois affirmaient déjà avoir déjoué une tentative de déstabilisation. Pour beaucoup de Togolais qui n´hésiteraient pas un seul instant, s´ils avaient le choix, à choisir la situation politique du Bénin au lieu de l’enfer qu´ils vivent sur tous les plans depuis un demi-siècle, une question se pose: qu´est-ce qui fait courir nos frères béninois?
Bien sûr que depuis son élection à la Présidence de la République du Bénin, Patrice Talon a pris un virage autoritaire, voire dictatorial. Lui qui rêvait d´un seul mandat tout juste au lendemain de son arrivée au palais de la Marina, semble avoir pris goût au pouvoir et multiplie depuis lors des bévues aux allures anti-démocratiques pour léser et bâillonner l´opposition. Pour exemple, lors des législatives du 28 avril 2019 le président béninois avait fait voter des lois tellement anti-démocratiques que l´opposition fut obligée d´opter pour le boycott. Seuls les partis acquis au président Patrice Talon avaient participé au scrutin, et nous avons aujourd’hui au Bénin une assemblée monocolore ; un très grand contraste pour un pays qui se veut l´un des pionniers de la démocratie en Afrique noire.
Malgré ces dérives tyranniques de Patrice Talon et malgré ce recul des valeurs de la démocratie béninoise ces dernières années, dû justement aux comportements de l´ex-homme d´affaires devenu président, les situations béninoises et togolaises qui ressemblent au jour et à la nuit ne sont pas comparables. D´un côté, nous avons au Togo un régime cinquantenaire aux allures héréditaires et militaro-claniques qui a pris en otage son peuple et dont le vol systématique d’élections semble faire partie de son système de gouvernement. Ce qui se passe aujourd’hui au Bénin avec Patrice Talon peut être qualifiée de parenthèse malheureuse dans la démocratie de notre voisin de l’est, un peu comparable à l’intrusion non moins malheureuse d’un certain Donald Trump à la tête du pays le plus puissant du monde ;
Jusqu’au début des années ’90 nos deux pays étaient dirigés de façon autoritaire par respectivement Gnassingbé Éyadéma pour le Togo et Mathieu Kérékou pour le Bénin. Pendant cette période de dictature militaire, la situation économique togolaise était plus enviable que celle du Bénin que le choix du marxisme-léninisme par Kérékou avait plongé dans une situation des plus chaotiques. Fin 1989 l’ex-dictateur béninois accepte la tenue d’une conférence nationale à la fin de laquelle il en accepte toutes les conclusions. En 1991 les rues togolaises sont depuis au moins un an, à feu et à sang; une conférence nationale y fut également organisée pour mettre sur pied de nouvelles institutions censées placer le Togo sur les rails de la démocratie. Contrairement à Kérékou, qui reste indéniablement, même et surtout après sa mort, le père de la démocratie béninoise, c’est du bout des lèvres qu’Éyadéma accepta les décisions sorties de la salle Fazao. Enlèvements, disparitions, assassinats d´opposants, plasticages de leurs domiciles, massacres des populations et départs massifs en exil furent le lot que durent subir les Togolais, pendant que la démocratie était en marche au Bénin.
Depuis cette époque les chemins des deux pays voisins et frères se sont séparés, politiquement parlant. Pendant que le Bénin connaît l’alternance au sommet de l’État avec au moins déjà quatre présidents depuis l’avènement de l’ère démocratique, le Togo ploie toujours sous une dictature militaro-clanique pure et dure et ne connaît que le nom d´une seule famille à sa tête depuis l’assassinat de Sylvanius Olympio le 13 janvier 1963. Donc vu ce qui précède et sincèrement parlant, entre le Bénin et le Togo, quel pays a plus besoin d’un coup d’État salutaire pour remettre tout à plat? Bien sûr, notre pays est le plus malade, sinon le malade qui a besoin d’une intervention chirurgicale à la Jerry John Rawlings pour nettoyer les écuries et reconstruire une nouvelle société togolaise. Faure Gnassingbé, son gouvernement, l’Assemblée Nationale de figurants, l’Armée dans sa forme ethnique actuelle, la Justice, constituent aujourd’hui des institutions inutilement budgétivores qui doivent passer à la trappe pour faire place à des institutions et textes de loi acceptés par tous et largement représentatifs des populations togolaises dans leur ensemble.
Si par ces tentatives avérées ou non de déstabilisation, certains militaires béninois semblent rappeler à leurs camarades militaires togolais le devoir de tout soldat qui devrait consister à accourir et tenter le tout pour le tout pour sauver la nation en danger; nous ne croyons pas que cette méthode musclée soit applicable à la situation politique actuelle du Bénin. Si dans le cas du Togo, tous les remèdes essayés depuis des décennies ont montré leur limite à cause du caractère autiste, méchant et surtout tribal du régime en place, les problèmes politiques actuels chez nos voisins peuvent trouver des solutions apaisées pour que la démocratie béninoise continue à être une référence en Afrique, en Afrique noire surtout.
Non, le Bénin n’a pas besoin d’un coup d’État militaire pour régler ses problèmes politiques actuels. Avant de se plaindre, nos frères béninois doivent se tourner et regarder à l’ouest pour voir tous ces abus de toutes sortes qui planent comme une épée de Damoclès sur la tête de leus voisins immédiats:
- violations massives des droits de l’homme,
- armée non républicaine,
- caporalisation de toutes les institutions,
- corruption endémique,
- impunité totale pour tous les criminels et pour ces nouveaux milliardaires de la honte dans un océan de misère.
Nous ne disons pas que tout est rose au pays de Patrice Talon. Même dans les pays développés avec une longue tradition de démocratie, il y a toujours de temps en temps des abus propres aux républiques bananières. Mais nous disons que nos frères et voisins béninois n´ont pas le droit de contribuer à porter de l´eau au moulin des afro-pessimistes et à tous ces racistes de la trempe de Jacques Chirac qui croient que l´Afrique n´est pas mûre pour la démocratie.
Il y va de la démocratie au Bénin que nous admirons tous, et de sa durable implantation dans les pays encore bâillonnés comme le Togo.
Samari Tchadjobo
06 juillet 2020
Allemagne
Source : 27Avril.com