Ayant vu une partie de ses opérations de marketing politique en ligne dévoilées le mois dernier par le think-tank américain Atlantic Council, le communicant franco-tunisien Lotfi Bel Hadj est déjà ailleurs : il a signé le mois dernier des contrats de communication et d’influence avec la présidence togolaise.
Le communicant franco-tunisien Lotfi Bel Hadj
Le 24 juin, c’est dans un Embraer Legacy 600 immatriculé 9H-WFC et opéré par la société AirX que le communicant franco-tunisien Lotfi Bel Hadj a atterri à Lomé avec quatre personnes. L’équipe a immédiatement pris résidence dans l’hôtel Le Patio, ouvert tout spécialement pour eux puisque officiellement fermé pour cause de pandémie de Covid-19.
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Quelques jours plus tard, l’homme d’affaires franco-tunisien et sa société Ureputation signaient avec la présidence des contrats de communication, ainsi que de valorisation de l’image de marque du Togo. Ce type de mission, qualifiée de Nation Branding, est l’une des spécialités d’un ancien associé de Bel Hadj, le communicant Philippe Lentschener (voir encadré), qui avait mené en 2013 une mission sur la “marque France” sous la présidence de François Hollande. Contacté, Bel Hadj n’a pas répondu à nos questions.
Jean-Yves Ollivier en entremetteur
L’idylle entre Bel Hadj et la présidence togolaise a débuté mi-janvier 2020. L’ancien journaliste français et collaborateur de Bel Hadj Frédéric Geldhof est alors sous contrat avec la Fondation Brazzaville de Jean-Yves Ollivier (Geldhof est également le rédacteur en chef du Muslim Post, un site d’information détenu par Bel Hadj en Tunisie). Sa mission au Togo : coordonner la mise en place de l’Initiative de Lomé, un sommet consacré à la lutte contre les faux médicaments qui a eu lieu les 17 et 18 janvier dans la capitale togolaise.
Pour l’occasion, le président ougandais Yoweri Museveni et son homologue sénégalais Macky Sall ont fait le déplacement, tout comme plusieurs personnalités françaises proches d’Ollivier, tels l’ex-juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière, l’ancien ministre de la coopération Michel Roussin et l’ex-ambassadeur de France à Washington Gérard Araud, qui fut ces derniers mois l’éphémère vice-président du groupe d’événementiel Richard Attias & Associates.
Une petite délégation de la société de communication parisienne Vae Solis, dirigée par Arnaud Dupui-Castérès, autre proche d’Ollivier, s’est également rendue à Lomé.
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Venu lui aussi assister aux débats, Lotfi Bel Hadj rencontre à cette occasion Faure Gnassingbé en tête à tête. Sous contrat avec le Qatar et un temps responsable de la riposte numérique de Tariq Ramadan (les deux hommes sont aujourd’hui brouillés), Bel Hadj déroule pour le président togolais son action sur les réseaux sociaux en faveur des présidentiables Salim Saadi aux Comores et Nabil Karoui en Tunisie (ces opérations et d’autres ont été détaillées début juin dans le rapport “Opération Carthage” du think-tank américain Atlantic Council). Ses arguments portent puisqu’il quitte le palais présidentiel avec une mission d’un mois et demi pour renforcer la communication digitale de la campagne de Faure Gnassingbé.
Il doit plus précisément éclipser l’action de la diaspora togolaise, très active sur internet, et donner une caisse de résonance virtuelle à tous les impairs de l’opposant Agbéyomé Kodjo. C’est Frédéric Geldhof et un ancien militant du printemps tunisien de 2011, Skander Ben Hamda, qui sont chargés sur place de gérer les cyber-activistes. Opérant sous le pseudonyme de Bullet Skan, Skander Ben Hamda est le fondateur de l’agence tunisienne Digital Kevlar, dont Lotfi Bel Hadj est actionnaire.
Avant de se tourner vers le communicant franco-tunisien, la présidence togolaise avait d’abord sollicité l’agence de communication parisienne Publicis, qui dispose d’un contrat d’accompagnement de quatre ans du Plan national de développement (PND) togolais, pour lequel l’entreprise a empoché environ 400 000 euros la première année.
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A la demande de la présidence togolaise, Publicis avait organisé en mai et juin 2019 des formations réseaux sociaux au Togo. Cependant, les conseillers de Faure Gnassingbé ont jugé les services offerts par Publicis trop timides, et ont signé avec Bel Hadj pour disposer d’une communication virtuelle agressive.
Commando cyber
Un mois après avoir signé son premier contrat avec la présidence togolaise, la mission de l’équipe de Bel Hadj prend un virage drastique le 18 février, à quatre jours de l’élection. Les services togolais sont alertés de la présence de trois militants du National Democratic Institute, ONG liée au Parti démocrate américain, venus pour observer le déroulement de l’élection.
Les autorités s’inquiètent de l’équipement amené par les Américains – ils sont venus avec une quinzaine d’ordinateurs – et les accusent de ne pas avoir fourni à la douane togolaise les bonnes informations sur leur hébergement. Ils sont interpellés et expulsés. Leur traitement fait immédiatement réagir la diplomatie américaine, qui s’émeut de leur renvoi par communiqué officiel. La pression est alors à son maximum, et l’équipe de Bel Hadj est étroitement associée à la riposte pour minimiser l’incident. Réélu avec 70 % des suffrages, Faure Gnassingbé reste persuadé que les trois Américains expulsés faisaient partie d’une opération de déstabilisation.
Quatre mois plus tard, le 10 mai, un tweet – depuis supprimé – d’un ancien conseiller Afrique de Ronald Reagan, Herman J. Cohen (88 ans), vient attiser la paranoïa présidentielle. Agé de 88 ans mais toujours actif et très renseigné, Herman Cohen annonce ni plus ni moins qu’un coup d’Etat en cours au Togo (“In Togo, military pressure has forced President Faure to flee the country. European Union and governments are discussing recognition of Agbéyomé Kodjo as the true winner of recent presidential election”).
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En quelques heures, contre-tweets et interpellations du State Department par des comptes pilotés par les équipes de Bel Hadj obligent Washington à se désolidariser de son ancien diplomate par communiqué officiel. Ce nouvel épisode conforte Faure Gnassingbé dans sa méfiance envers les Etats-Unis et, quand le think-thank américain Atlantic Council publie un long rapport sur Bel Hadj en juin 2020, vite suivi de la suppression de centaines de pages par Facebook, la présidence togolaise y voit confirmation de ses intuitions. Au lieu de se détourner de Bel Hadj, elle s’empresse au contraire de resigner avec un communicant si détesté par Washington.
Guerre de palais
Fort de la publicité paradoxale que lui fait l’Atlantic Council, Lotfi Bel Hadj est donc reparti pour des missions de lobbying, relations presse et valorisation de marque-pays (nation branding) avec le Togo. Mais son OPA sur les opérations de communication et d’influence de la présidence togolaise reste fragile. Dans ces domaines stratégiques, Faure Gnassingbé garde plusieurs fers au feu. Si Bel Hadj a les faveurs de Victoire Tomégah Dogbé, la directrice de cabinet du président, et du conseiller Kanka Malik Natchaba, la conseillère béninoise Reckya Madougou, qui gérait les contrats de Publicis, reste influente, même si elle est provisoirement éclipsée.
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Entré par le trou de souris de l’e-influence, Lotfi Bel Hadj s’est fait beaucoup d’ennemis en se positionnant au cœur du Palais. Et lorsque le Covid-19 permettra aux visiteurs internationaux de se présenter à nouveau, la place sera plus difficile à tenir. Les super-consultants comme Dominique Strauss-Kahn et Tony Blair, qui tous disposent d’un contrat avec le Togo, vont jouer des coudes pour regagner leur influence aux dépens du communicant franco-tunisien.
Incontournable à Tunis, tranquille à Bruxelles et Barcelone
Malgré ses incursions répétées sur le marché africain, c’est dans son pays natal, la Tunisie, que Lotfi Bel Hadj reste le plus actif sur le créneau de la communication politique. S’il a défendu le candidat malheureux Nabil Karoui à l’élection présidentielle de 2019, il bénéficie d’excellents relais au sein d’ Ennahda, barycentre de la scène politique nationale.
Il avait ainsi aidé le président du parti islamiste, Rached Ghannouchi, à trouver les termes d’un accord de coexistence pacifique avec son adversaire Béji Caïd Essebsi (“BCE”) avant le scrutin présidentiel de 2014. Cet “accord de Paris” avait permis à “BCE” d’accéder au palais de Carthage et à Ennahda de truster l’Assemblée, dans une improbable cohabitation qui perdura pratiquement jusqu’au décès du chef de l’Etat, en juillet 2019.
C’est aussi Lotfi Bel Hadj qui assurait les relations presse de Ghannouchi lors de son dernier déplacement à Paris, en mai 2019. Au sein d’Ennahda, Lotfi Bel Hadj peut particulièrement compter sur Lotfi Zitoun, l’un des ténors du parti, qui partage certaines de ses vues sur le nécessaire recentrage de la formation, au nom d’un islam politique de gouvernement.
Les réseaux de Lotfi Bel Hadj s’étendent jusqu’à la sphère des nostalgiques du bourguibisme. Le chanteur Bayrem Ben Kilani, alias Bendir Man, qui fut directeur de la campagne présidentielle de l’ex-ministre de la défense Abdelkrim Zbidi, a ainsi domicilié sa société de communication, Satoshi Lab, chez Lotfi Bel Hadj, dans le quartier des Berges du Lac, à Tunis. Lotfi Bel Hadj aurait directement participé à la campagne d’influence online en faveur de Zbidi, qui avait réalisé une percée spectaculaire dans les sondages.
Cependant, parmi la myriade de sociétés contrôlées par Lotfi Bel Hadj, seuls Ureputation et le site d’actualité Muslim Post sont effectivement basés à Tunis. La principale, Repu7ation, est établie à Bruxelles. Lotfi Bel Hadj en est seul actionnaire depuis qu’il l’a rachetée en 2017 à ses fondateurs, l’agence Image 7 de la baronne de la communication française Anne Méaux, et le groupe Rentabiliweb du pionnier de l’internet français Jean-Baptiste Descroix Vernier.
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Cette joint-venture avait été créée en 2013 pour combiner le savoir-faire d’Image 7 en matière de relations publiques et l’expertise technique de Rentabiliweb. C’est là que Lotfi Bel Hadj a fait ses premières armes dans l’influence en ligne, aux côtés notamment de Philippe Lentschener, ex-patron de Publicis Worldwide France et désormais à la tête de Reputation Age.
Un autre pan des activités de Lotfi Bel Hadj est géré depuis Barcelone, où sont implantées deux de ses sociétés de production audiovisuelles, Digital Big Brother SL et Don Diego Production SL.
En revanche, ses deux sociétés londoniennes, Zamarat Mining et Alternative Carbon, ont fait long feu. Celles-ci s’activaient dans la prospection aurifère et la compensation carbone en Afrique.
Lettre du Continent
Source : Togoweb.net