« On déjoue beaucoup de choses en feignant de ne pas les voir ». Napoléon Bonaparte
Le jour où le RPT/UNIR passa le Rubicon
Ce vendredi 30 novembre 2018 s’est écrit à l’Assemblée nationale du Togo une des pages les plus sombres de la crise que le pays traverse depuis le 19 août 2017. Ce jour, subrepticement, presque honteusement les députés de la majorité présidentielle s’étaient réunis en séance plénière « confidentielle » pour enterrer le texte de l’expert constitutionnaliste commis par la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cet avant-projet accepté par la C14 et approuvé par la communauté ouest africaine comme répondant aux standards et aux normes démocratiques internationaux avait aux yeux de la dictature de Lomé 2 le défaut majeur de ne pas consacrer la présidence à vie de leur « champion » Faure Gnassingbé. Il fallait absolument soit l’enterrer en y substituant son propre texte, soit tel Procuste, le charcuter au point de lui faire dire le contraire de la pratique au sein de la CEDEAO, soit le bloquer en renvoyant son adoption à des jours jugés meilleurs. Le RPT/UNIR a réussi ce jour-là à conduire la troisième hypothèse en organisant sa propre minorité à l’Assemblée. Seuls étaient donc présents 57 députés sur les 61 nécessaires à l’adoption du texte aux 2/3 en vue de son adoption par la voie référendaire. Il n’était bien évidemment pas envisageable une réforme constitutionnelle par voie parlementaire aux 4/5. L’Assemblée n’a même pas daigné convoquer ses membres de l’opposition. Loin d’y voir un quelconque doigt de Dieu, il s’agit bien prosaïquement d’une énième manœuvre dolosive concoctée par le régime pour bloquer le texte communautaire et les réformes constitutionnelles et institutionnelles qu’il porte. La visée étant de renvoyer les réformes aux delà des élections frauduleuses prévues pour le 20 décembre 2018 censées donner à la dictature, avec le concours de ses partis satellites, la majorité des 4/5 pour opérer les réformes à sa guise en vue d’assurer un pouvoir à vie à M. Faure Gnassingbé.
Le coup de force de trop ?
Pour l’observateur avisé, il s’agit là, du coup de force de trop. Celui qui impuissante non seulement la Coalition des 14 mais encore et surtout la CEDEAO. L’institution est mise au pied du mur. Elle est sommée de réagir en recadrant le pouvoir togolais avec fermeté et décision en crédibilisant sa médiation et le respect de la feuille de route qu’elle a édictée dans le cadre de son arbitrage ou d’avaliser la forfaiture, d’accepter l’opprobre et son désaveu par les peuples de son aire géographique qu’elle est censée protéger et défendre. Depuis longtemps, des voix de plus en plus autorisées, s’élèvent pour s’étonner et même fustiger le manque de fermeté et même la complaisance du comité de suivi face aux manquements et violations graves et répétés de la feuille de route par le pouvoir de Lomé 2. L’encouragement « diplomatique » des violations des autorités togolaises n’a d’égal que l’extrême promptitude et la sévérité des condamnations de la CEDEAO face aux moindres peccadilles langagières de la C14. Deux poids et deux mesures. Si la CEDEAO permet cette fois encore au régime de détricoter tout l’édifice de la facilitation, la rumeur deviendra alors clameur. La CEDEAO aura administré la preuve de son accompagnement de la dictature contre le peuple qui, comme en 2005, est mené droit à l’abattoir. La CEDEAO se doit de réagir dans les plus brefs délais ou abdiquer pour laisser la voie libre au peuple prêt à se libérer tout seul. À compter du mardi 4 décembre 2018, les leaders de la C14 doivent faire définitivement le deuil du dialogue et d’une quelconque action de la CEDEAO en vue de l’alternance et de la libération du Togo si la communauté ne donne pas les gages sérieux de sa neutralité et de son implication désintéressée aux côtés du peuple et de la démocratie. Quelque-soit l’évolution, Lomé 2 en subira le contrecoup.
Sortir de l’engrenage
Néanmoins, la feuille de route peut être lue à travers sa pusillanimité et ses demi-mesures comme un engrenage volontaire crée par la CEDEAO. Dès le départ, sa lecture était très malaisée tant ses imperfections étaient grandes. Il était bien surprenant que des chefs d’État fixent une date butoir pour des élections sans organigramme précis en face des tâches et aucune échéance ni organigramme pour les réformes nécessaires et préalables à toute élection démocratique, égale, libre et équitable. Il était tout aussi ahurissant que la CEDEAO ait jugé juste de confier au pouvoir togolais, protagoniste de la crise, la responsabilité de la mise en œuvre de la feuille de route. Une telle cécité ne manque pas d’interroger. L’erreur est humaine. Le niveau de la prise de décision la rend grossière. Quelque chose résiste cependant chez tout observateur doté d’un minimum de bon sens et suggère un autre niveau de lecture. Une attention soutenue fait vite apparaître les contraintes diplomatiques dont le texte du 31 juillet 2018 porte les stigmates. Elles sont sans conteste dues aux menaces de violation de souveraineté du Togo que le pouvoir a fait lourdement peser dans la balance des négociations pour édulcorer le texte au maximum et emporter la « victoire » de sa mise en œuvre. Il ne fait aucun doute non plus que M. Gnassingbé a assuré ses pairs de sa capacité à y réussir pour éviter la mise en place d’une véritable transition que la bonne conduite d’une mise en œuvre sérieuse appelait. Il est clair cependant qu’une dictature ne saurait se réformer. Lomé 2 ne peut se résoudre à faire les réformes sans se saborder. Les autorités de la CEDEAO le savaient. L’attentisme de la CEDEAO et ce qui apparaît comme sa complaisance peuvent donc être lus comme un processus de comptage des points de chute du régime. Lomé 2 a désormais atteint ses limites. Il a franchi la ligne jaune en faisant la preuve de son incapacité à mettre en œuvre la feuille de route. La CEDEAO doit impérativement et très fermement reprendre la main dans les meilleurs délais. Un sommet extraordinaire devrait idéalement être convoqué dans les jours qui viennent pour tirer les conclusions qui s’imposent et administrer la prophylaxie complémentaire que les considérations diplomatiques ont jusque-là empêchée. Il s’agira pour les chefs d’État de la communauté de constater les difficultés de la mise en œuvre de la feuille de route en tirant les conclusions suivantes :
— l’arrêt du processus électoral engagé unilatéralement et le renvoi des élections législatives à une date ultérieure devant se situer entre 6 et 12 mois.
— la mise en place d’un gouvernement de transition doté des pleins pouvoirs pour mettre en œuvre les recommandations de la feuille de route.
— la réaffirmation de l’inclusivité des acteurs politiques togolais parties au dialogue en vue de participer sous l’impulsion des instances de la transition aux réformes constitutionnelles, institutionnelles, électorales y compris la reprise du découpage électoral et les modalités de mise en place du vote des Togolais de l’étranger.
— la conduite en dernier ressort d’élections démocratiques, apaisées, égales et libres en vue de dégager une majorité légitime susceptible de présider aux destins d’un Togo réconcilié.
— Le confinement de l’armée togolaise avec le déploiement de forces régionales chargées, sous un commandement communautaire, de sécuriser la transition et le bon déroulement des opérations de mise en œuvre de la feuille de route.
Refonder la facilitation de la CEDEAO
Aux seules conditions précédemment envisagées, l’on pourra encore parler d’utilité de la facilitation de la CEDEAO dans la marche du peuple togolais vers sa libération d’une tyrannie cinquantenaire.
La course folle de M. Gnassingbé et de ses nervis semble prendre fin. La mascarade du 30 novembre 2018 indique à tout le moins le point de rupture nécessaire à un retour plus ferme et plus décisif de la CEDEAO dans le jeu politique du Togo en vue de la résolution de la crise. Les temps sont favorables. Il s’agit symétriquement pour le peuple de la soudure de confiance en une CEDEAO des peuples en lutte pour leur liberté ou celui de la consommation définitive du divorce amorcé en 2005 dont les affres demeurent vivaces dans la conscience collective des Togolais. La balle est dans le camp de la CEDEAO : crédibiliser son ancrage dans et aux côtés des peuples ou se décrédibiliser en renforçant sa réputation de syndicats de chefs d’État coalisés en annexe tropicale du Quai d’Orsay français.
Reste aux leaders de la C14 à lire avec justesse dans l’air du temps pour éviter de fourvoyer à nouveau l’élan du peuple vers sa liberté et les aspirations de la nation togolaise à la démocratie ou simplement au bonheur promis à tous les peuples.
Jean-Baptiste K.
27Avril.com