Dans la presse d’hier, 08 mars 2021, il est publié une déclaration de satisfecit par une mission de contrôle intermédiaire conduite par une délégation de l’Ordre National des Ingénieurs du Togo (ONIT) sur le chantier de réaménagement en cours de la voie nationale no 5, route de Lomé-Kpalimé.
Nous voulons signaler ici que ce satisfecit laisse gravement dans l’ombre les désolations économiques et la déprime mentale que subissent les riverains de cette voie à cause d’une planification et/ou exécution des mesures d’impact humain direct qui paraît défectueuse. Nous nous concentrons ici sur le cas de la portion Apedokoé-Zanguera qui s’étend d’un point situé juste à quelques centaines de mètres après Molo-molo jusqu’au point de péage près de UCAO.
La mal-information
Les désagréments des riverains ont commencé dès le mois de juin 2020. En cette date les propriétaires des maisons le long de la voie à ce niveau avaient été informés par tracts (feuilles volantes indiscriminées) provenant de mairies de la zone et indiquant à « …tous les usagers qui occupent les emprises de ladite voie de les libérer dans un bref délais… » avant le début des travaux.
Le vocabulaire utilisé, le destinataire ciblé et son action requise avait prêté à confusion. Car aucune différence n’a été faite entre les installations mobiles ou temporaires d’activités de micro commerce ou d’artisanat informelles, d’une part, et les unités résidentielles et/ou entrepreneuriales pérennes règlementairement bâties d’autres part. Toutes étaient mises dans le même sac.
Beaucoup de propriétaires d’unités d’habitation ou d’entreprise règlementairement bâties ont reçu à domicile ce document volant. Mal instruits, craignant le pire de la force publique aveugle, certains habitants ont décoiffé eux-mêmes une partie de leurs propres toits d’habitations, enlevé portes et fenêtres, démoli équipement d’activités professionnelles et commerciales intégrées. Pour sauvegarder ce qui peut l’être »avant l’ouragan »
Il y a donc eu destruction de biens privées et cessation d’activités génératrices de revenus en beaucoup d’endroits le long de la voie sous l’injonction d’une information mal formulée et mal transmise. C’était depuis juin 2020.
Ce qui aurait été juste serait d’adresser des lettres administratives officielles d’information nommément adressées à chaque propriétaire de bien immobilier règlementaire pré-identifié pour leur expliquer le processus d’expropriation, les procédures saines et nécessaires à entreprendre si et seulement si leurs propriétés légalement acquises étaient réellement affectées par la nouvelle emprise augmentée dans le cadre des prévisions du projet de réaménagement de la voie.
Cette mesure de communication administrative adéquate n’ayant pas été prise, les biens autodétruits et rendus inutiles sous l’effet d’une mauvaise information publique, des propriétaires vivent depuis plus de 9 mois en perte de revenus et en inconfort sans être compensés à ce jours. Si elle était prise, cette mesure administrative adéquate n’aura rien coûté en ressources par rapport à l’ampleur de l’investissement matériel mis dans les travaux et aura surement évité les désagréments humains actuels que continuent de subir les riverains.
Un déni de droit d’association
Dès juillet 2020 les riverains de cette portion Apedokoe-Zanguera, vue la confusion et l’incertitude particulière qui entoure l’atteinte à leurs propriétés privées pour besoin d’utilité publique, se sont organisés en un collectif des riverains en vue des démarches d’informations appropriées à la source officielle et pour des procédures adéquates au bénéfice de tous. Mais lorsqu’ils se sont présentés devant les services publics en charge de la procédure d’expropriation, Comité d’Expropriation (COMEX), il leur a été signifié que l’autorité publique ne reconnaît pas un tel regroupement de riverains unis pour la défense de leurs droits. Ils leur a été précisé contre leur gré que toute question les concernant sera traitée au cas par cas, individu par individu.
Donc pas de reconnaissance d’un porte-parole désigné par eux, pas d’actions collectives, pas d’organisation autour du problème commun réel et reconnu. Rien, tout cela est dénié. Ainsi chacun de ces citoyens affectés, devient un interlocuteur isolé au risque de se retrouver comme une victime impuissante éventuellement. Divisés, ils sont mieux malléables et plus facilement traitables voire mal traitables au besoin.
La maltraitance
La maltraitance a commencé d’ailleurs depuis le mois de mai 2020 lorsque les services concédés (canalisation d’eau courante, câbles etc.) de la TDE et de la CEET devraient être exécutés. Certains propriétaires avaient vu une partie des murs de leurs constructions défoncée pour y faire un trou suffisant à niveau de sol par lequel est creusé une canalisation continue qui traverse leurs cours d’habitation. Ceci fut fait sans qu’aucun pourparlers et entente préalable aient eu lieu entre propriétaires et services publics. C’était fait dans la désinvolture.
La seconde pilule amère, les riverains d’Apedokoe-Zanguera l’avaleront en juillet après le début des travaux par EBOMAF sur le terrain avec les prises de dimensions en topographie. À cette phase des travaux quelques-uns des riverains à Zanguéra étaient convoqués par appel au téléphone à une mairie de la zone. Ils se sont vus instruits verbalement par la mairie de s’apprêter à libérer une partie ou la totalité de leur propriété d’habitation selon les cas. Il leur était, de là, indiqué de se rendre individuellement au ministère du plan au bureau du COMEX pour la suite des démarches. Ceux-là étaient presqu’une demi douzaine en nombre sur plus de la soixantaine de personnes se sentant concernées par l’expropriation dans cette zone.
Aucun critère objectif n’a permis aux riverains de comprendre sur quelle base certains parmi eux étaient convoqués et informés tandis que d’autres étaient laissés de côté dans le flou. À la suite, des coups de fil isolés individuels provenant du Comex convoquaient d’autres riverains en nombre restreint.
Jusqu’à présent en ce mois de mars 2021, dans ce contexte d’incertitude, certain des riverains propriétaires d’habitation n’ont jamais été contactés ou reçu quelque note que ce soit les invitants auprès des services publiques pour leurs notifier le sort de leur biens. Alors que les travaux sur le terrain ont commencé depuis juillet 2020 et ont atteint 27% d’avancement selon l’ONIT. Beaucoup de riverains dans cette situation de laissés à la marge sur un critère inconnu avaient dû s’obliger eux mêmes de se rendre individuellement de leurs propres initiatives au Comex au cours du mois de décembre 2020 pour exposer leurs inquiétudes d’être laissés pour compte. Suite à cette démarche le Comex envoie des techniciens sur le terrain pour faire des prélèvements de dimension des propriétés. Puis c’est tout. On demande aux intéressés d’attendre, de patienter. L’attente continue depuis…
Le Valeur est à Rabais et l’Attente parait très Longue
Sur l’aspect financier les personnes concernées dans cette zone et convoquées, selon la logique interne du Comex, se voient proposées un document d’accord d’expropriation à l’amiable de leurs biens immobiliers déjà évalués. Et c’est au niveau de l’attribution de la valeur financière des biens immobiliers que le gros morceau amer est administré. De façon arbitraire il est imposé au riverain une estimation à 33.335 francs le mètre carré pour la parcelle de terrain expropriée. Or le prix actuel de la parcelle de terrain sur le marché dans la zone indiquée le long de la voie est évalué au minimum à 50.000 francs et en moyenne à 65.000 francs par mètre carré selon les opérateurs immobiliers. Les 33.335 francs, une valeur imposée à prendre ou à laisser, les concernées s’y plient en se consolant à défaut sur l’estimation additionnelle du bâti s’il y en existe.
Qu’à cela ne tienne, lorsque le modeste citoyen se plie impuissant à la volonté publique d’être dédommagé à rabais, pourquoi doit-il souffrir encore une longue attente des mois durant, voire une demi révolution terrestre entière sans recevoir son dû pour lequel il a signé un papier d’accord depuis des mois?
Quand on observe de près le déroulement des faits on se rend compte qu’il est mis en place un scenario de libération du magot à compte goute suivant une fantaisie du régent financier. Exemple, Ebomaf, un jour, sans crier gare rue un de ses engins dans les murs d’un riverain. La clôture est dévastée, les fosses septiques et autres défoncées. Ce riverain crie sa désolation auprès des compagnons d’infortune. Comex appelle nuitamment au téléphone ce riverain et lui paye le lendemain le dû marchandé pour son bien endommagé en toute surprise. Après des jours, un autre riverain annonce qu’il a été convoqué au Comex et qu’il a été payé selon l’accord qu’il a signé depuis plus de 3 mois passés. Un autre encore isolement y va après des jours voire des semaines d’intervalle.
Dans la longue attente, lorsque certains riverains devenus démunis à l’extrême et exaspérés face à des besoins sociaux et des soucis de santé appellent pour adresser des supplications au niveau des services publics, la pandémie du Covid-19 devient l’argument évoqué par les services publics pour justifier la rétention interminable des indemnisations. Le Covid-19 obligerait donc à limiter le nombre de personnes convoquées pour le retrait de leurs compensations dues. Mais alors si c’est une limitation de nombre à une dizaine de personnes par jours, combien de jours faudra-t-il pour payer une centaine de personnes ? Signalons que les premiers documents d’accord d’expropriation à l’amiable dans cette zone auraient été signés depuis Août 2020.
Aux dernières nouvelles, suite à la publication dans la presse de la déclaration de satisfecit par l’ONIT après sa mission de contrôle intermédiaire, des échanges de messages fébriles ont eu lieu entre les riverains. Du mécontentement et des désirs d’action collective ont été exprimés. Puis par enchantement le lendemain, c’est à dire ce jour du 09 mars, une dizaine de riverains se sont vus rapidement convoqués au Comex pour se voir remettre une somme d’argent conclu dans ledit accord amiable que chacun avait signé depuis des mois déjà et retenus dans les tiroirs publics. Tout parait évoluer dans l’aléatoire dans le plan de payement si on peut l’appeler ainsi. Aucun ordre dans un sens chronologique, ni quantitatif, ni sensitif n’est visible aux yeux des riverains dans la procédure. Tout paraît incertain ; chaque propriétaire attend comme un élève face au maitre d’école durant l’appel des noms sur la liste des admis à l’examen. C’est l’anxiété totale en continuation.
Nul ne peut nier que cette atmosphère est moralement stressant et socialement dévalorisant pour les citoyens résidents règlementaires qui sont expropriés dans cette zone pour utilité publique. Face à une épreuve de destin quand on est mal informé, sous évalué et mis à la traines, cela se vit comme un supplice.
Ajuster l’Équité sociale à la Sureté matérielle des infrastructures
Les présentes trois pages écrites expriment le narratif sincère de riverain concerné. Si les autorités publiques se voudraient d’obtenir une idée juste et plus approfondie de cette réalité sociale relatée, elle pourraient, à la suite de la mission de contrôle de sureté matérielle du chantier fait par les ingénieurs de l’ONIT, envoyer une autre mission, cette fois-ci, de spécialistes de la santé mentale et de l’équilibre social (psychologues, économistes et sociologues) pour faire un contrôle intermédiaire de l’impact humain direct des opérations sur le terrain. Le satisfecit risque très fort de n’être pas au rendez-vous. Car il y a eu négligence ou perversion dans l’approche humaine de cette action d’utilité publique.
Pour finir, nous rappelons que le magistrat public , sa délégation de pouvoir, doit toujours veiller à ce que l’intérêt général national dans sa mise en œuvre n’écrase pas ou ne déchoit pas les intérêts privés légitimes directement impliqués face à une action d’utilité publique. Il s’agit simplement de rendre à chacun son bien dû, en quantité due et en temps dû. C’est l’équité, règle très importante en justice.
Michel Kinvi
Le 09 Mars 2022
Source : 27Avril.com