Au soir du 31 Juillet 2018 la feuille de route proposée par les chefs d’état de la CEDEAO aura laissé un goût d’inachevé chez beaucoup de togolais. Mais dans l’ensemble la plupart des revendications qui avaient fait sortir Tikpi Atchadam et ses amis du PNP dans la rue le 19 Août 2017 sont satisfaites. Reste à en concrétiser la réalisation, et c’est là où le comité de suivi mis en place trouve toute son importance. Mais quelle que soit la perfection ou l’imperfection des recommandations contenues sur la feuille de route, les vrais écueils résident dans la manière de pouvoir contenir, oui ou non, ces théoriciens de la stratégie de la terreur au sein du régime que nous avons en face. À quoi serviront les plus beaux textes de loi si on continue à laisser faire impunément une armée pas trop républicaine qui n’a pour but que d’aider à la conservation d’un pouvoir et des intérêts claniques par la terreur?
Nous savons tous qu’au Togo ce ne sont pas les bons textes ou les bonnes lois qui font défaut, mais c’est le régime Gnassingbé qui a fait du pouvoir politique une question de vie ou de mort, qui est le vrai problème.
Le pouvoir politique, la gestion de la cité, des ressouces et richesses de tous les togolais, on en a fait une affaire de clan, ou même d’ethnie dont il faut défendre les intérêts, même s’il faut pour cela perpétrer un génocide. C’est la racine du problème togolais. Et si la CEDEAO veut vraiment aider les togolais à résoudre leurs problèmes elle devrait se débarrasser de toute hypocrisie et dire la vérité au pouvoir de Lomé, lui faire savoir qu’il est à la base du gros du problème togolais. Mettre par exemple dans la feuille de route que „les armes saisies“ doivent être remises aux forces de sécurité, donne comme l’impression que la CEDEAO se fait le porte-parole du gouvernement togolais en reprenant des allégations sans en vérifier le sérieux et la véracité. Une telle légereté nous surprend et ne devrait pas venir d’une organisation sous-régionale qui se veut sérieuse.
Rappel des faits avant le 31 Juillet 2018
19 août 2017
Début des manifestations contre le pouvoir de dictature pour des réformes politiques initiées par le Parti National Panafricain (PNP). Très vite ces manifestations que le régime Gnassingbé n’avait pas vues venir, se transforment en un soulèvement généralisé sur toute l’étendue du territoire. Le pouvoir de Lomé, comme à son habitude, répond par la violence en envoyant des unités d’élite de l’armée clanisée bastonner sauvagement et tuer même dans les domiciles privés. Selon le dernier rapport de la LTDH (Ligue Togolaise des Droits de l’Homme), au moins 22 togolaises et togolais ont été assassinés jusqu’à ce jour. Au moins 53 personnes, arbitrairement arrêtés ou kidnappées, croupissent en prison à travers le pays, sans oublier les membres de la société civile, au dossier vide, mais que le régime refuse de libérer.
Des villes ou villages entièrs sont militairement occupés.
19 Février 2018
Acculé par les manifestations à répétition organisées par la coalition de l’opposition dans une grande partie du pays, voyant son pouvoir, de plus en plus contesté, Faure Gnassingbé, jusqu’ici arrogamment silencieux, dut réclamer un dialogue avec son opposition plus unie que jamais.
Le dialogue commence sous l’auspice d’un médiateur de la CEDEAO, en la personne du Président ghanéen Nana Akuffo-Addo. Mais avant le début effectif des pourparlers les leaders de l’opposition exigent que certaines conditions soient remplies. Des personnes arrêtées ou kidnappées lors des manifestations ou à domicile, des dizaines à travers le pays, doivent recouvrer la liberté. Les militaires de l’armée au service de la dictature qui occupent depuis Août 2017 des villes comme Sokodé, Bafilo, Mango et Kparatao(village natal du leader du PNP), devraient quitter ces localités et regagner les casernes.
Toutes ces conditions posées par l’opposition avant le démarrage effectif du dialogue sont aussi appelées mesures préalables ou d’apaisement. Des mesures que le RPT/UNIR promet de respecter en présence du facilitateur. En contrepartie la coalition de l’opposition devait surseoir aux manifestations de rue durant la durée des pourparlers.
Depuis, les prisonniers sont libérés à compte-gouttes. Des personnes interpellées manu-militari pour avoir usé de leur droit constitutionnel de manifestation deviennent tout à coup des prisonniers de droit commun dont il faut respecter la procédure judiciaire avant toute libération. Alors que la plupart de ces incarcérés, surtout à l’intérieur du pays, furent torturés au camp militaire ou à la gendarmerie avant d’être jetés en prison sans avoir passé devant aucun juge. Il s’agit donc de détention arbitraire de citoyens togolais. Il y a deux semaines à peine, nos dirigeants libèrent 7 personnes arbitrairement détenues, mais nous parlent de 19 libérations.
Au début du dialogue en Février, le régime Gnassingbé fait semblant de satisfaire aux mesures préalables concernant la levée des sièges militaires dans les localités concernées. Mais en réalité rien ne s’était passé.Les militaires sont toujours visibles dans ces villes où ils n’hésitent pas à menacer, bastonner ou kidnapper. Pire, le village natal de Tikpi Atchadam, Kparatao, une localité d’à peine 7 mille âmes, est toujours visitée par des militaires pour une mission dont personne ne connaît le but. Dans la journée du 30 Juillet 2018, veille du sommet de la CEDEAO, on notait une présence militaire plus nombreuse et plus menaçante à Mango, Bafilo, Sokodé et Kparatao. Qui les envoie? Quel ordre attendent-ils pour faire quoi?
À l’entrée de ces localités assiégées des check-point sont érigés et chaque véhicule à quatre ou à deux roues est arrêté, les passagers contrôlés. Peut-on encore parler de liberté dans notre propre pays?
Et c’est dans cette atmosphère de terreur sur les populations togolaises que les Chefs d’état de la CEDEAO viennent pondre leur feuille de route. Comment la mettre en pratique et réaliser les réformes nécessaires pour des élections crédibles en toute sécurité? Comment assurer la sécurité des leaders de l’opposition qui ont toujours été la cible du régime Gnassingbé depuis Éyadéma, à chaque fois que le pouvoir semble lui échapper? Comment surtout assurer la sécurité du leader du PNP, Tikpi Atchadam, qui se fait discret depuis quelques mois pour sauver sa peau?
Telles sont quelques-unes des interrogations qui incombent au comité de suivi. Heureusement que les discussions avec les médiateurs continuent; les leaders de l’opposition pourraient continuer à faire pression pour que tous les prisonniers politiques soient libérés sans condition. Les sièges militaires doivent être levés dans les meilleurs délais. À mon avis l’opposition devrait former un comité parallèle qui aura pour tâche de s’informer et d’informer les membres du comité de suivi de la CEDEAO et les médiateurs sur tout incident à Lomé et à l’intérieur du pays créé par le pouvoir, et qui pourrait compromettre la sécurité des citoyens et des leaders politiques.
Après s’être fait rouler dans la farine concernant les mesures d’apaisement par Faure Gnassingbé, la CEDEAO, avec Muhamed Buhari comme président en exercice, joue désormais sa crédibilité dans l’imbroglio togolais. C’est de son comportement dans les semaines ou mois à venir que dépendra l’image définitive qu’auront les togolais de cette organisation sous-régionale qui peine à quitter les dédales de l’hypocrisie et de la compromission.
Samari Tchjadjobo
Allemagne
Source : www.icilome.com