Réconciliation & réformes : Les églises Presbytérienne et méthodiste brisent la glace!

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Des mots, les églises presbytérienne et méthodiste du Togo, n’en ont pas manqués pour décrire le climat socio-politique au Togo : Crise sociale aux effets de pauvreté accrue et de chômage grimpant, accès difficile aux services sociaux de base, tribalisme et ethnocentrisme, des politiques de divisions, de méfiances et de radicalisation, sans oublier la corruption, le tout dans des communautés vouées à la conquête des terres, l’Eglise Évangélique presbytérienne et l’Eglise Méthodiste ont tout dit sur un Togo que certains s’évertuent à couvrir d’une toge en or. Mais ce n’est pas tout. La lettre pastorale de ces deux églises à lire ci-dessous, consacre un passage à la réconciliation. A ce sujet, l’EEPT et l’EMT écrivent : «Contrairement à l’imaginaire populaire qui assimile le processus actuel de réconciliation engagé par l’Etat à une simple opération de réparation financière, l’EEPT et l’EMT croient que toute réconciliation coûte chère en émotion et en sentiment : elle se fait, en effet, dans la douleur, à travers les actes de contrition et de pardon des acteurs impliqués, à savoir prioritairement l’offenseur et l’offensé ». Lire l’intégralité du message !

Lettre pastorale de l’église évangélique presbytérienne du Togo et de
l’église méthodiste du Togo

Aux

– Communautés presbytériennes et méthodistes
– Femmes et hommes de bonne volonté, épris de justice et de paix

« Engageons-nous dans le Pèlerinage de la Justice et de la Paix. Psaumes 85 »

A l’Eglise de Dieu, à celles et à ceux qui ont été sanctifiés en Jésus-Christ, appelés à être saints, et à toutes celles et tous ceux qui invoquent en quelque lieu que ce soit le nom de notre Seigneur Jésus-Christ, leur Seigneur et le nôtre, à vous toutes et tous, filles et fils du Togo, aux femmes et aux hommes de bonne volonté, épris de justice et de paix, que la Grâce et la Paix vous soient données de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ! (Col :1ss).

C’est par cette salutation apostolique de l’Apôtre Paul que nous aimerions nous adresser à vous en ces périodes de pentecôte et de renouvellement de l’Eglise par le Saint Esprit. Vous le savez bien, la période qui s’ouvre devant nous est une période essentielle dans la vie de l’Eglise, dans notre vivre ensemble, notre organisation en tant que communauté et dans notre témoignage au monde.

Tenant compte de ce contexte particulier, nous vous rappelons quelques axes de nos dernières lettres pastorales. En effet, après une lecture attentive de la situation sociopolitique, économique et spirituelle, nous attirions votre attention sur le climat de blocage et de résignation dans lequel vivaient les différentes couches sociales de notre pays tout en vous exhortant à redoubler d’ardeur et à continuer par vivre et prêcher l’amour et la paix.

Malgré nos différentes adresses, grande est notre désillusion eu égard aux derniers développements de l’actualité.

1. Constats
1.1 La crise sociale

Nul ne peut douter aujourd’hui que notre pays traverse depuis quelques années une crise majeure de société dans un monde secoué par des changements sociaux importants et rapides qui ne manquent point d’influer sur notre propre situation. Celle-ci se caractérise par :

-une pauvreté de masse plus que prégnante avec l’augmentation du coût de la vie et la diminution du pouvoir d’achat de la population : plus de la moitié des Togolais vivent sous le seuil de pauvreté ;

-un front social constamment agité, avec notamment les grèves récurrentes dans les secteurs stratégiques de la santé, de l’éducation et des mines ;

-la désorientation de la jeunesse, véritable moteur de développement du pays, du fait du manque de perspective et des incertitudes qui pèsent sur l’avenir ;

-un taux de chômage qui ne cesse d’augmenter en dépit des mesures prises par l’Etat pour favoriser la création des entreprises ;

-un accès difficile aux services sociaux de base (soins de santé, éducation, électricité, eau et assainissement…).

C’est dans cette situation de frustrations que se développe une culture d’incivisme, de violence, d’intolérance, d’impatience et surtout de non-respect de nos valeurs traditionnelles d’honnêteté, de travail, de solidarité potentiellement dangereuse pour notre société.

1.2 Le tribalisme et “l’ethnicisme“

Alors que les citoyennes et citoyens que nous sommes devraient tous aspirer à la construction d’une véritable nation, L’EEPT et l’EMT constatent avec amertume et préoccupation la montée de la tendance à la manipulation des différences ethniques dans la sphère publique, et à des fins politiques.
Nous attirons donc votre attention, à vous membres des communautés presbytériennes et méthodistes ainsi qu’à toutes les bonnes volontés sur le fait que l’instrumentalisation de l’ethnie est toujours source d’intolérance, de méfiance, de peur de la différence, de complexes (sentiment de supériorité ou d’infériorité) vis-à-vis de l’autre. Nous devons savoir que l’instrumentalisation du fait ethnique produit toujours les peurs irrationnelles, le repli identitaire, la haine de l’autre, l’envie de détruire l’autre.
Nous voulons affirmer ici que la force, la beauté et le développement de notre pays résident dans la participation équitable et significative de toutes ses composantes ethniques, dans une approche inclusive, participative, équitable et solidaire.

1.3 La corruption

Lorsque notre Seigneur nous exhortait en nous disant : « Soyez donc parfaits comme votre père céleste est parfait » (Mat 5 :48), il nous demandait en réalité d’être des hommes et des femmes complets (Teleios), matures, complètement développés, excellents et porteurs des valeurs de vérité, de justice et de dignité.

Ces valeurs sont de plus délaissées et piétinées dans notre vécu quotidien. La pratique de la corruption devient de plus en plus ordinaire et banale. Les dessous de table, la fraude, l’extorsion, le favoritisme, le népotisme, le détournement de fonds ou le vol de biens publics par des fonctionnaires ou agents du privé sont des cancers sociaux dont les conséquences sont très graves.

La persistance de ce fléau dans un pays comme le nôtre renforce en effet la violation des droits des pauvres et des faibles puisque le riche ou le puissant peut acheter ses droits. Elle favorise la destruction des relations entre les individus et la perte de la solidarité au sein de la communauté. Elle accentue le clientélisme, le tribalisme, la précarité, la dégradation des mœurs et la fuite des investisseurs. Elle est certainement un des terreaux importants de l’augmentation de la criminalité (trafic de drogue, blanchiment d’argent, traite des enfants, etc.)

L’EEPT et l’EMT affirment que la corruption telle qu’elle se manifeste aujourd’hui au Togo met en péril notre paix et notre sécurité. Elles tiennent une fois encore à rappeler à vous, et à toute la population que :

– La corruption est un esclavage. Elle est un péché et une ennemie de la Vérité et de la Justice puisqu’elle trouble notre conscience, notre opinion, notre vie morale et spirituelle. Comme le livre de l’Exode vous exhorte : « Ne vous laissez pas corrompre par des cadeaux car les cadeaux rendent aveugles même les plus clairvoyants et pervertissent les décisions des gens honnêtes », Exode23 :8.

1.4 Le foncier et la protection de l’environnement

Le phénomène de l’accaparement des terres tend à devenir une source importante de conflits dans notre pays. Des régions entières sont devenues la cible des puissants et des riches qui n’hésitent pas à profiter de l’ignorance et de la pauvreté des paysans pour faire main basse sur leurs terres. Cette situation fait que le partage des ressources de la terre devient un enjeu non seulement théologique et éthique mais aussi et surtout existentiel.

L’EEPT et L’EMT tiennent à rappeler que la terre est le thème central de la foi biblique; elle est promesse pour les sans-terres comme Abraham et sa descendance, promesse pour les esclaves en Égypte qui mangent un pain d’amertume fournissant des efforts considérables pour faire vivre leurs maîtres. Elle est un don de Dieu et nous n’en sommes que des hôtes résidants. Le lien qui existe entre nos communautés et la terre est si fort au point que la terre n’est autre que la mère qui nourrit.

1.5 Le climat politique

Le climat politique fait de méfiance et de radicalisation des positions conforte les pessimistes qui estiment que la classe politique togolaise est irrémédiablement divisée, incapable de dialogue et de consensus et que rien de bon ne sortira d’elle, même si la vie et l’intérêt des populations qu’elle prétend représenter est en jeu. Pour cette frange de nos compatriotes, le pays est, par conséquent, condamné à errer dans cette situation d’impasse dans laquelle il est entré au début des années 1990 et qui l’empêche de libérer ses potentialités pour se développer. Cette conception qui tend à envahir l’imaginaire collectif n’est pas sans risque car elle discrédite la politique et l’ensemble des acteurs politiques.

1.6 Les réformes institutionnelles et constitutionnelles

Cela fait presque 10 ans que la question des réformes institutionnelles et constitutionnelles fait l’objet de tiraillements et d’interprétations de tout genre créant davantage de confusion au sein de l’opinion. Tout en saluant à leur juste valeur les efforts faits par différents acteurs étatiques et non étatiques pour faire résoudre ce problème, l’EEPT et l’EMT déplorent les blocages répétés observés dans l’aboutissement des projets de lois de réformes soumis respectivement par le gouvernement et le groupe ANC-ADDI à l’appréciation des députés de l’Assemblée Nationale. On ne peut indéfiniment échapper au processus de réforme car la réforme est essentielle à la vie institutionnelle mais aussi consubstantielle à son adaptation et à son évolution.

Même si elle n’y est pas intrinsèquement liée, il est évident que la question de l’alternance parasite celle des réformes constitutionnelles. Il est impératif que les responsables des partis politiques de la majorité présidentielle et de l’opposition dépassent leurs intérêts égoïstes. L’intérêt supérieur de la nation togolaise leur commande de dépasser la peur et d’oser explorer les voies et moyens susceptibles de rassurer sur les conséquences d’une éventuelle alternance politique à la tête de l’Etat : il faudrait en effet intérioriser le principe que l’alternance politique ne débouche pas nécessairement sur une « chasse aux sorcières ». Les Eglises devraient pouvoir, avec l’accord des responsables politiques, accompagner en tant que force morale un tel cheminement qui permettrait de rompre le cercle vicieux dans lequel notre cher pays est enfermé depuis des décennies.

Il est urgent d’agir car la lassitude qui s’observe au sein de la population ne doit pas nous conforter dans nos sécurités en misant sur un sentiment de désintérêt. Cette lassitude peut, au contraire, s’avérer dangereuse dans la mesure où elle peut constituer le lit pour le développement des positions extrémistes et donc menacer la stabilité et la paix du pays.

1.7 Le processus de la réconciliation

La mise en route des recommandations de la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR) par la création du Haut-Commissariat à la Réconciliation et au Renforcement de l’Unité Nationale (HCRRUN) est une étape importante du processus de réconciliation dans laquelle l’EEPT et l’EMT demandent à chacun et chacune d’entre nous de s’impliquer, car la dynamique de la réconciliation nationale n’autorise ni indifférence ni désenchantement de notre part.

La réconciliation ne peut aboutir à la paix que lorsque tous s’engagent dans une démarche de conversion des cœurs. Contrairement à l’imaginaire populaire qui assimile le processus actuel de réconciliation engagé par l’Etat à une simple opération de réparation financière, l’EEPT et l’EMT croient que toute réconciliation coûte chère en émotion et en sentiment : elle se fait, en effet, dans la douleur, à travers les actes de contrition et de pardon des acteurs impliqués, à savoir prioritairement l’offenseur et l’offensé. Bien conduite, la démarche en cours permettra à l’offenseur et l’offensé de cheminer à nouveau ensemble comme nous l’illustre l’épisode biblique de la résolution du conflit entre Jacob et son frère Esaü : « Ésaü courut à la rencontre de Jacob; il l’étreignit, se jeta à son cou et l’embrassa,… Et ils pleurèrent. ….Ésaü dit ( à Jacob): Partons, mettons-nous en route; j’irai devant toi » Genèse 33 :1-14.

Notre réconciliation ne peut être efficace et durable que lorsqu’elle s’accompagne d’une RESTAURATION et d’une GUERISON. Restauration dans la mesure où elle nous permet de re-établir entièrement nos relations dans une dynamique de renouvellement de notre bonheur en tant que peuple de Dieu après les épreuves que nous avons tous connues. La restauration dans notre contexte est une promesse et une réalité : « Consolez, consolez mon peuple dit votre Dieu. Esaïe 40 : 1 ».

Guérison car elle doit s’inscrire dans le mandat de Dieu réalisé par Jésus Christ : « Le Seigneur m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, (Luc 4 : 18-19). Notre guérison est fondamentalement spirituelle car elle nous permet d’assainir nos voies. Elle se réalise dans l’usage de la Parole et l’invocation de l’Esprit Saint. Elle nous ouvre sur une nouvelle vie et de nouveaux horizons comme peuple et nation comme nous l’indique le prophète « Alors s’ouvriront les yeux des aveugles, s’ouvriront les oreilles des sourds ; alors le boiteux sautera comme un cerf, et la langue du muet éclatera de joie. Car des eaux jailliront dans le désert, et des ruisseaux dans la solitude » (Esaïe 35 : 5-6).

2. Engageons-nous dans le pèlerinage de la Justice et de la Paix. Ps 85

L’EEPT et l’EMT en demandant à leurs membres de s’engager dans le pèlerinage de la justice et de la paix répondent non seulement comme membres à l’appel de l’Assemblée Générale du Conseil Œcuménique des Eglises tenue à Busan en Corée du Sud en 2013, mais aussi à l’exigence contextuelle de se constituer au Togo en communautés en mouvement pour assurer la pérennité de la vie et travailler sur les questions urgentes du moment comme les conflits, les injustices et les souffrances.

L’Eglise en pèlerinage dont il s’agit est un mouvement de “peuple croyant défini par l’espérance“, un mouvement de sortie et d’entrée. Un mouvement de sortie dans la mesure où chacun et chacune d’entre nous, après un examen de conscience sur les souffrances et les injustices commises, endurées ou subies, décide librement d’entrer dans une nouvelle étape positive de la vie.
Un mouvement d’entrée au cours duquel les erreurs et les fautes passées ne doivent plus être acceptées ni tolérées.
Ce mouvement répond au triptyque suivant : Dire, Agir et Impliquer.

2.1 Dire et Raconter

Il s’agit de dire ou de raconter sans complaisance les souffrances de notre histoire, nos souffrances afin qu’une conscience nationale se développe autour de notre parcours en tant que peuple et nation. C’est une véritable œuvre de mémoire qui nous projette sur un avenir radieux : « Souviens-toi que tu as été esclave…. et que l’Eternel, ton Dieu, t’a racheté » Deut 24 18ss… « Souvenez-vous de ces choses, et soyez des hommes! Pécheurs, rentrez-en vous-mêmes! » Esaïe 46 :8-9.

2.2 Agir et témoigner

Il s’agit d’avoir constamment devant sa conscience, les conséquences dramatiques des souffrances des autres, des vies et familles brisées par nos intolérances. Car nos actes doivent désormais s’inscrire dans une démarche éthique de changement d’attitude et de langage : « Car je reconnais mes transgressions, Et mon péché est constamment devant moi » PS 51 : 3.

2.3 S’impliquer et impliquer

C’est l’étape ultime de notre pèlerinage. Notre pèlerinage est un processus inclusif, ouvert à toutes et à tous de sorte que même les plus sceptiques sur notre avenir commencent par comprendre et croire en notre volonté d’être des instruments de justice et de paix.
Cela requiert de nous toutes et tous, la capacité de voir au-delà de ce que l’on voit et d’attendre quelque chose de plus, quelque chose d’autre, de rechercher la justice et la paix, et rien de moins car : « On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien; Et ce que l’Éternel demande de toi, C’est que tu pratiques la justice, Que tu aimes la miséricorde, Et que tu marches humblement avec ton Dieu » Mi. 6 :8.

En repensant le passé, notre pèlerinage nous évite de vivre dans l’oubli. Il nous exhorte, au contraire, à vivre notre présent, ce présent dans lequel les gestes de pardon, de justice et de réconciliation favorisent les pistes de guérison et de transmission des mémoires. Il est donc important qu’au sortir de ce pèlerinage on redécouvre un peuple togolais debout et plein d’espérance en son avenir.

Notre souhait et notre prière est que le message évangélique d’amour, de pardon et du vivre ensemble soit vécu au quotidien sous le sceau du Saint Esprit.
« Voici, je fais toutes choses nouvelles. » Apoc 21 :5b

Que la Paix soit avec vous et sur le Togo !

Fait à Lomé, le 30 Juin 2017

Le Modérateur de l’Eglise Évangélique La Présidente de l’Eglise
Presbytérienne du Togo Méthodiste du Togo
Pasteur Sename Mensa AVINO Rév.Pasteur Martine
G.N.M.ZINSOU-LAWSON

www.icilome.com