«…D’autres de leurs espèces en Afrique de l’Ouest comme Centrale sont encore sur la longue liste d’attente. Pour l’instant ils planent, ils sont dans leurs palais, convaincus qu’ils sont à l’abri du danger; mais de quelle manière vont-ils atterrir ? À la manière d’Idriss Itno Deby, ou d’Alpha Condé ou d’IBK ? L’avenir nous situera. Le métier de dictateur est très risqué et les peuples s’en sortent toujours vainqueurs. Ainsi finissent les bouffons et autocrates.» L’Alternative N°967 du 07 septembre 2021
Au cours d’une manifestation du CST (Collectif Sauvons le Togo) le 24 mai 2013 à Lomé, Olivier Amah donne une interview à Radio-Légende; un coup de gueule ou plutôt un brûlot d’un courage rare, qui resta jusqu’à ce jour inconnu pour beaucoup de nos compatriotes. Une déclaration sans faux-fuyant, empreinte d’une vérité et d’une franchise crues qui est loin d’être la tasse de thé quotidienne de nos soldats et officiers habitués à la chape de plomb. Le caractère non républicain de l’armée togolaise et des forces de sécurité, décrié depuis toujours et partout; des centres de détention peu classiques, pour ne pas dire secrets, où sont parqués la plupart du temps sans jugement des opposants au régime, comme c’est le cas actuellement; l’inimitié voulue et entretenue entre l’armée et le peuple. Voilà les sujets « tabous » que Olivier Amah évoqua pêle-mêle cette après-midi de mai 2013 dans une envolée patriotique en remuant le baobab. Persécuté, menacé par un plan d’assassinat sur sa personne, le natif de Pya réussit à prendre la clé des champs en septembre 2014 et vit aujourd’hui en exil. Le sort du journaliste qui lui tendit le micro ce 24 mai 2013 ne fut pas non plus des plus enviables. Pour échapper aux tueurs lancés à ses trousses Félix Nahm-Tchougli n’avait dû son salut qu’en quittant précipitamment le pays.
Qui est Olivier Amah?
Âgé aujourd’hui d’une cinquantaine environ, AMAH Poko Olivier est sorti du Collège Militaire de Tchitchao en 1990. Deux ans plus tard, en 1992 il revient avec le grade de sous-lieutenant de l’École des Forces Armées de Bouaké en Côte d’Ivoire. Devenu gendarme en juillet 1994 et étant commandant des troupes de maintien d’ordre à Lomé, après le décès d’Éyadéma en 2005, il refuse de réprimer dans le but de la conservation du pouvoir. La hiérarchie militaire l’enlève de ce poste et l’affecte à l’intérieur du pays. En 2007 il devient Commandant et en 2009 il est accusé de tentative de coup d’état; arrêté puis détenu d’abord au secret pendant 18 mois par la garde présidentielle, et ensuite 12 mois à la gendarmerie, il sera jugé par une cour spéciale qui reconnaîtra son innocence. Malgré le fait qu’il fût innocent, il sera condamné à 24 mois de prison puis radié de l’armée. Une condamnation et une radiation derrière lesquelles Olivier Amah voit la main de Faure Gnassingbé himself.
Libéré en septembre 2011 il se joint aux différentes associations de défense des droits de l’homme et participe à une première marche le 12 janvier 2012; le grand public découvre alors un combattant courageux et un tribun hors-pair. En juin 2012 il crée avec d’autres camarades d’infortune l’association des victimes de torture l’ASVITTO qui s’affilie aux organisations déjà existantes et plus tard au Collectif Sauvons le Togo (CST) pour lutter contre les multiples violations des droits des Togolais. En octobre 2012, en sa qualité de Président d’une association dénonçant et luttant contre la torture, et étant lui-même victime de torture, AMAH Poko Olivier est invité à Genève en Suisse, où pendant 3 jours il témoignera devant l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT), contrariant ainsi l’état togolais qui nie toujours l’existence de traitements inhumains sur les prisonniers politiques.
C’est lors d’une manifestation du CST (Collectif Sauvons le Togo) qu’il crée l’évènement qui le conduira une deuxième fois en prison; en effet, comme nous l’écrivions plus haut, le 24 mai 2013, profitant d’une interview, Olivier Amah met pratiquement les pieds dans le plat en disant très haut ce que beaucoup murmurent. Un véritable coup de gueule où il dénonça ces lieux de torture comme la gendarmerie, où il déplora que les autorités politiques aient fait en sorte que l’armée et le peuple se regardent en chiens de faïence, et où il demanda à l’armée de prendre ses responsabilités, faisant un parallèle entre la situation politique délétère d’aujourd’hui et celle de 1966 où Éyadéma obligea le président d’alors, Nicolas Grunitzky, à démissionner. Originaire de Pya, dans la préfecture de la Kozah, Olivier Amah fut arrêté et déporté à la prison de Mango le 30 mai 2013. Sous la pression des organisations des droits de l’homme, nationales comme étrangères, il sera libéré le 14 février 2014; et en septembre de la même année, sentant sa vie en danger, il quitta le Togo.
Morceaux choisis d’une déclaration d’il y a 8 ans dont la teneur est plus que d’actualité:
«…La gendarmerie n’est pas une prison. Si les responsables de la sécurité sont vraiment des gens conscients, ils auraient pu se réunir et dire aux autorités politiques qui dirigent le pays que la gendarmerie n’est pas une prison, et déférer les gens dans les prisons pour éviter des morts inutiles.»
En 2013 AMAH Poko Olivier parlait déjà de ces lieux peu conventionnels de détention comme la gendarmerie où des traîtements inhumains sont infligés au détenus politiques et autres. Aujourd’hui encore, 8 ans après cette déclaration, rien sur le plan politique n’a évolué positivement, au contraire. Des dizaines d’opposants au régime, membres ou responsables du Parti National Panafricain (PNP), ou de simples citoyens, sur la base d’accusations fantaisistes, sont détenus dans l’enceinte de l’ancienne gendarmerie. Malgré le fait que beaucoup de ces prisonniers soient malades, ou même décédés, les demandes répétées pour leur libération sont jusqu’à présent tombées dans les oreilles de sourds du côté du régime.
«…Et puis il est temps que l’armée puisse essayer de créer une passerelle entre elle et tous les acteurs politiques de notre pays. …il suffit de dire bonjour à un homme politique de l’opposition, vous êtes taxés d’opposant. Les hommes politiques de l’opposition sont des Togolais. Demain ils peuvent être appelés à diriger ce pays.»
«…l’armée doit extérioriser sa neutralité vis-à-vis du pouvoir politique. En 1966 quand la situation était tendue, c’est Éyadéma qui était le chef d’état-major; avec un collège d’officiers ils sont allés dire à Grunitzky de démissionner pour que la paix revienne dans le pays; ça a été fait. Aujourd’hui la situation est pratiquement la même chose qu’en 1966.»
Si nous avons décidé de thématiser aujourd’hui une interview qui date de 8 ans, c’est tout simplement pour plusieurs raisons. Premièrement l’auteur de ces propos empreints d’un courage rare, n’est pas n’importe qui. Olivier Amah était un officier supérieur de l’armée togolaise originaire du village de Pya comme la famille Gnassingbé qui dirige le Togo depuis plus d’un demi-siècle. Il aurait pu faire comme beaucoup d’autres et jouir des délices du pouvoir malgré le non droit, les injustices et les violations de toutes sortes, en fermant les yeux sur la descente aux enfers de ses concitoyens. Mais il a choisi de s’opposer et de résister en sachant pertinemment que le régime qu’il a en face, ne pardonne pas, et que le pire pouvait lui arriver. Il fallait célébrer ce courage et rappeler que le pouvoir politique au Togo ou ailleurs en Afrique n’a pas d’ethnie, et que tout citoyen, d’où qu’il vienne, quelle que soit sa classe sociale, pour peu qu’il ait un peu d’amour pour le peuple souverain, peut se battre en se mettant du côté des plus faibles, pour arracher la liberté. L’autre raison est que ce coup de gueule de ce compatriote en exil dont la teneur est toujours d’actualité, vaut encore et surtout aujourd’hui pour l’armée togolaise qui gagnerait à se rapprocher du peuple dont elle est issue.
Samari Tchadjobo
Allemagne
Source : 27Avril.com