La crise politique que traverse le Togo depuis un moment se caractérise par l’usage inconsidéré des armes et la violence à l’état brut sur les populations par le pouvoir.
Des balles réelles sont tirées sur des manifestants aux mains nues, les morts continuent d’être enregistrées, les militaires déployés dans plein de localités, la terreur exercée sur les populations de façon générale, les obligeant à fuir dans certaines localités pour se réfugier au Ghana. Les armes, c’est le pouvoir qui les détient et en use contre les citoyens qui ont contribué à les acheter. Mais curieusement, il vit dans une paranoïa permanente qui consiste à soupçonner/voir les militants de l’opposition ou les populations (de) détenir des armes et enclenche des opérations pour les récupérer. Illustration sans doute de sa fébrilité.
Les victimes sommées de rendre les armes
C’est une lapalissade de dire que les armes sont du côté du pouvoir, qui en use de façon inconsidérée. Si conventionnellement, ce sont les grenades lacrymogènes, matraques et autres qui conviennent au maintien de l’ordre dans le cadre des manifestations publiques, il y a longtemps que le pouvoir Faure Gnassingbé a dépassé ce stade. Ce sont les armes de guerre qui prennent le dessus. Les manifestants et les populations non manifestantes se voient tirer dessus à balles réelles, sans ménagement. Même les enfants ne sont pas épargnés. Depuis le début de la crise politique avec les manifestations des 19 et 20 août organisées par le Parti national panafricain (PNP), on en est à sept (07) personnes au moins tuées ou qui sont des victime collatérales. Et avec celles annoncées pour cette semaine et l’état d’esprit du pouvoir en place, le décompte macabre devrait se poursuivre. Au même moment, les blessés se comptent par centaines.
Aujourd’hui, ce ne sont plus les policiers et gendarmes, mais les militaires formés à la guerre qui sont déversés aux trousses des manifestants et/ou populations et assignés aux tâches de maintien de l’ordre et de la sécurité. Dans le Nord du pays, notamment à Mango, les populations sont victimes de terreur et d’une chasse à l’homme, obligeant la plupart, surtout les hommes et les jeunes à fuir leurs maisons et entrer dans le maquis afin d’échapper aux persécutions. Il nous revient que la plupart bon nombre se réfugient au Ghana voisin.
Les armes, c’est le pouvoir en place qui les détient et en use de façon inconsidérée sur les pauvres populations. Mais aussi curieux que cela paraitre, le régime soupçonne ses victimes de détenir des armes. Le comble, il leur enjoint de les rendre, sous peine de poursuites judiciaires.
Le conseil des ministres s’est réuni vendredi dernier, et entre autres sujets, la crise politique a retenu l’attention de Faure Gnassingbé, Komi Klassou et leurs ministres, dans les…divers. Ce qui illustre, si besoin en était encore, le réel intérêt que le pouvoir en place accorde à la situation qui conduit progressivement le pays à la géhenne. « Le ministre de la Sécurité et de la Protection civile a également rendu compte au Conseil, des troubles qui ont émaillé les marches organisées par le regroupement des partis politiques de l’opposition, les 20 et 21 septembre 2017, dans la préfecture de l’Oti, notamment à Mango. Le gouvernement réitère ses sincères condoléances aux familles éplorées, et souhaite un bon rétablissement à tous les blessés. Le gouvernement condamne l’usage excessif des violences qui ont conduit aussi à la destruction des biens publics et privés », rapporte le communiqué du conseil des ministres, occultant les responsabilités sur les morts et les blessés enregistrés et qui sont l’œuvre de la soldatesque. Mais le plus intéressant reste à venir.
Le gouvernement soupçonne les pauvres populations victimes de la brutalité des corps habillés, de détenir des armes, non de chasse, mais de guerre et les somme de les rendre ! « Il met en demeure les personnes ayant en leur possession des armes de guerre de les déposer dans les plus brefs délais auprès des services compétents, sous peine de poursuites judiciaires », indique le compte rendu du conseil des ministres.
La paranoïa sécuritaire du pouvoir
Cette injonction faite aux populations pour rendre les prétendues armes qu’elles détiendraient n’est que le nième épisode de la paranoïa que vit le pouvoir en place depuis un moment. Sa maladie a notamment commencé depuis le 19 août dernier, avec les premières manifestations de rues du PNP, a été marquée par des séquences régulières et visiblement, n’est pas près de finir.
Dans le cadre de ces manifestations, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, le Col Yark Damehame avait carrément menacé. Les militants du PNP furent présentés comme détenant des armes de guerre qui ne seraient pas celles conventionnelles utilisées au Togo par les forces armées ou de sécurité. S’ils tirent, nous allons riposter, avait dit en substance le ministre. On s’en rappelle, des images avaient été versées dans la masse sur les réseaux sociaux, montrant des gens habillés en rouge et brandissant des armes ; la conclusion était alors vite faite qu’il s’agissait des militants du PNP. Il fut raconté que ces derniers qu’on a dit pourtant détenir des armes d’origines différentes de celles utilisées par les corps habillés au Togo, en auraient encore arraché des mains des agents des forces de l’ordre. Ce qui a justifié l’opération de ratissage organisée dans la ville de Sokodé et dont les résultats sont marrants. Fusils de chasse, flèches, gris-gris, faux billets de banque, voilà le corps du délit présenté à l’opinion. Dans le lot, se trouvaient aussi des armes de guerre. Mais le hic de cette mise en scène, les prétendus détenteurs n’ont jamais été montrés, comme le pouvoir en a l’habitude. Ce qui relève, si besoin en était encore, le caractère ludique et factice de la chose.
Lorsque les manifestations de la coalition de l’opposition sont annoncées, le pouvoir trouve toujours à dire. Tantôt, ce sont des Togolais de l’extérieur qui traverseraient les frontières pour venir participer aux marches, comme si c’était un crime ; tantôt ce sont carrément des étrangers qui le feraient, allusion insidieuse aux terroristes, qui viendraient…Sur les manifestations des 20 et 21 septembre derniers, les tirs d’armes étaient imputés aux militants du PNP, incroyablement identifiés dans cette atmosphère de tension simplement par la couleur (rouge) des habits portés. Il s’agissait simplement de coller à ce parti l’étiquette de détention illégale d’armes et ainsi trouver le prétexte pour mettre la main sur ses responsables, après avoir tenté, en vain, de présenter la formation politique comme une organisation extrémiste, et ses leaders comme des terroristes. C’est ce que son leader Tikpi Atchadam a révélé jeudi dernier, dans une intervention sur les ondes de Taxi FM : « Le pouvoir veut armer le PNP, mais nous ne voulons pas. Ils veulent nous amener sur un terrain où ils sont plus à l’aise, en prenant les armes pour tuer les Togolais. Nous disons non ».
Le pouvoir en place souffre d’une paranoïa sévère aiguë, et on va jusqu’à tirer à Kparatao sur un bœuf, avec l’argutie qu’il agressait les forces de l’ordre convoyées sur la localité, dans le cadre des manifestations des 20 et 21 septembre derniers. Le plus cocasse, la bête était attachée à un arbre ! Les spécialistes de l’ésotérisme relèvent que ceux qui ont donné l’ordre de tirer sur l’animal sont entrés dans une autre dimension (spirituelle, cela s’entend), le voyant comme destiné à un sacrifice devant nuire à leur Prince.
« C’est quoi la suite ? », est-on tenté de se demander, devant cette crise de paranoïa chronique du pouvoir en place. Peut-être qu’on viendra un de ces quatre raconter qu’un plan de coup d’Etat ou d’attaque terroriste fomenté par…a été déjoué « grâce à la vigilance des forces armées et de sécurité ».
Le pouvoir semble l’oublier, le peuple togolais est sans doute le plus pacifique (sic) au monde, qui peut se faire tuer et tabasser, mais est capable de dire merci à son bourreau et le bécoter même l’instant d’après. Mais une chose est sûre, le régime est en train de fabriquer des révoltés avec le traitement qu’il réserve aux manifestants aux mains nues et aux populations, et si ces derniers disposaient vraiment des armes ou autres moyens de défense, comme le fait croire le pouvoir, ils n’auraient pas hésité à s’en servir, ne serait-ce que pour se défendre de la soldatesque sans cœur envoyée à ses trousses et qui les martyrise…
Tino Kossi
Source : Liberté No.2527 du 02 octobre 2017
27Avril.com