Le projet d’exploitation et de transformation de phosphates carbonatés et d’engrais de Kpémé, l’un des plus grands gisements en Afrique subsaharienne avec des réserves estimées à plus de 2 milliards de tonnes, a du plomb dans l’aile. Cinq ans après l’attribution du marché, le consortium formé par Elenilto, filiale du groupe Engelinvest contrôlé par l’Israélien Jacob Engel et son partenaire stratégique, le chinois Wengfu est porté disparu. Les nombreuses relances du gouvernement togolais sont, pour l’heure, restées sans suite.
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En 2010, le gouvernement togolais a adopté un plan de plus de 200 milliards FCFA pour permettre au phosphate de retrouver son importance dans l’économie nationale. Piloté par la Société nouvelle des phosphates du Togo (SNPT), le plan comprend une première phase de réhabilitation et remise à niveau des infrastructures de production vétustes, les deux autres phases portant sur la consolidation et l’industrialisation. Ensuite, il était prévu une phase d’expansion et de développement de la filière avec l’exploitation des phosphates carbonatés dont les réserves sont estimées à plus de 2 milliards de tonnes. Jusqu’à présent, le pays n’utilise que la couche meuble de son gisement. Un mégaprojet que le gouvernement lancera finalement en 2011. Et après plusieurs péripéties, le ministre des Mines d’alors, Noupokou Dammipi avait, au conseil des ministres du 27 mars 2015, « rendu compte de l’évolution du processus en cours qui a déjà permis de retenir et de classer trois compagnies susceptibles d’accompagner le gouvernement dans ce projet majeur pour l’économie et l’industrie togolaises ». Les trois compagnies retenues étaient le groupe australien Balamara Resources, l’indien Coromandel Getax Phosphates et le consortium formé par Elenilto (filiale du groupe Engelinvest) et son partenaire stratégique, le chinois Wengfu.
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Les négociations se sont poursuivies et début septembre 2015, le gouvernement togolais a octroyé au consortium Elenilto et Wengfu un permis d’exploitation du phosphate carbonaté. « Elenilto a remporté l’appel d’offres pour développer au Togo le projet de phosphate et de fertilisants à 1,4 milliard de dollars », a annoncé la société à travers un communiqué rendu public le 09 septembre 2015. Le projet sera financé à 60 % par Elenilto et à 40 % par Wengfu. « Elenilto, contrôlé par le milliardaire israélien Jacob Engel, a récemment été désigné par le gouvernement du Togo, Afrique de l’Ouest, dans le cadre d’un appel d’offres international, pour développer l’extraction de phosphate et l’implantation d’usine d’engrais au Togo. Elenilto qui dirige et contrôle le consortium, coopère dans ce projet avec Wengfu en tant que son partenaire stratégique. Wengfu est l’un des principaux leaders dans le domaine des phosphates et des engrais avec une vaste expérience dans l’industrie chimique des phosphates en Chine et dans le monde. Actuellement, un certain nombre d’institutions financières mondiales sont intéressées par le financement du projet. Des discussions en vue de rassembler le consortium financier pour soutenir et fournir le financement exigé pour le développement du projet ont déjà commencé », a précisé le communiqué. Le consortium prévoyait de commercialiser, d’ici à trois ans, c’est-à-dire en 2018, au moins 3 millions de tonnes de phosphate de roche concentré, 500 000 tonnes d’acide phosphorique et 1,3 million de tonnes de fertilisants par an. « Elenilto a identifié, sur le marché local, la pénurie et la demande de produits fertilisants, et va fournir à l’Afrique et au marché international le phosphate, les engrais et l’acide phosphorique. Le projet d’engrais est le premier et le plus grand du genre en Afrique de l’Ouest et bénéficiera de coût d’exploitation relativement faible à cause de la disponibilité du gaz naturel de Gazoduc, de la proximité du port et de la taille du projet », s’est enthousiasmé Alon Avadani, PDG d’Elenilto.
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Mais cinq ans après l’octroi, le projet est au point mort. Les Togolais n’ont plus les nouvelles d’Elenilto qui a pourtant vanté, au cours d’une conférence à Paris en 2016, « l’étendue, l’exploitation et la commercialisation des phosphates carbonatés et des engrais au Togo ». Même au ministère de l’Energie et des Mines, personne ne sait ce qu’est devenu ce projet. Sous le titre « Phosphates carbonatés : les autorités s’impatientent face aux retards d’Elenilto », le journal électronique Africa Mining Intelligence (AMI) du 27 mars 2018 rapportait : « En privé, le ministre de l’énergie et des mines du Togo, Marc Dèdèriwè Ably-Bidamon, ne cache plus son agacement face au retard de mise en exploitation du projet de phosphates carbonatés (plus durs et coûteux à transformer du fait d’une plus haute teneur en carbonate) que le groupe israélien Elenilto devait lancer en 2016. La crise socio-politique que traverse le Togo depuis le mois d’août a impacté les comptes de l’Etat, alors qu’Elenilto prévoyait 28 milliards de dollars de revenus sur les vingt ans de concession, grâce à une production de 5 millions de tonnes annuelles et après un investissement initial d’1,2 milliard de dollars. Devant l’impatience des autorités, Elenilto, que dirige l’homme d’affaires israélien Yaakov Engel, envisagerait de lever des fonds à la bourse de Londres dans les prochains mois afin de boucler le financement du projet et relancer les travaux d’ici la fin de l’année. Les études de faisabilité ont déjà été réalisées, mais elles doivent être actualisées avant de commencer la construction de la mine ». En revanche, plus de deux ans après, aucune trace d’Elenilto au Togo. Et on est tenté de dire que le consortium Elenito-Wengfu n’était pas prêt avant de se voir offrir le marché. La mafia israélienne qui a pris en otage la SNPT, est encore passée par là.
On a vendu le voleur pour acheter le sorcier
En effet, le choix de la compagnie devant avoir le permis d’exploitation des phosphates carbonatés fut long et parsemé de magouilles. Au départ, c’était Phosphate Togo SA, une société locale mise en place à la suite d’un accord de joint-venture (expression en anglais signifiant une filiale commune à deux ou plusieurs entreprises, dans le cadre d’une coopération économique internationale) entre la Phosphate Togo SA et la Sultan Corporation Ltd de Derek Lenartowicz, un entrepreneur australien d’origine polonaise. Selon les informations, les offres technique et financière soumises aux autorités togolaises avaient été bien accueillies. Mais celles-ci avaient, contre toute attente, décidé de dribbler Phosphate Togo SA et de négocier directement avec Sultan Corporation Ltd. « En se rendant dernièrement en Australie pour négocier directement avec la Sultan Corporation Ltd l’octroi d’une concession d’exploitation des phosphates carbonatés au Togo, le ministre des mines et de l’énergie, Dammipi Noupokou, et le directeur général des mines et de la géologie, Matthias Banimpo Gbengbertane, ont-ils voulu « doubler » Phosphates Togo SA ? », s’était demandé AMI N°244 du 16 février 2011. On apprendra même que « le dossier de Phosphate Togo SA aurait été bloqué à la dernière minute par Barry Moussa Barqué, le conseiller spécial du chef de l’Etat Faure Gnassingbé ». Une combine à laquelle n’a pas voulu s’associer Jimmy Lee, le seul spécialiste en matière de phosphate au sein de la société australienne, qui avait fini par démissionner.
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Suite à la pression de la Banque mondiale, le gouvernement avait eu recours à un simulacre d’appel d’offre auquel avait participé Sultan Corporation Ltd. « L’entreprise Sultan Corporation Ltd est alors confiante d’avoir fait tout ce qu’elle peut afin de se garantir les droits de développer cet actif. La procédure d’évaluation de l’offre est en cours, cependant, l’entreprise Sultan ne peut prédire, à ce stade, aucune date pour la conclusion. Le gouvernement Togolais, nous l’espérons, décidera du choix du partenaire dans un court voire moyen terme afin de commencer les travaux du Projet », avait-elle indiqué sur son site Internet.
Pour masquer la magouille, Sultan Corporation Ltd avait, en plein processus d’appel d’offres changé de nom pour devenir Balamara Resources Limited. Après la date butoir prévue pour soumissionner et alors que le gouvernement n’avait donné aucun nom de vainqueur, cette société annonce qu’elle vient de remporter le marché des phosphates togolais. Suite à la vive réaction de la presse et aux sommations des institutions de Bretton Wood, l’Etat togolais a dû reprendre l’avis à manifestation d’intérêt à l’issue duquel trois compagnies ont été finalement retenues pour la suite du processus. Et c’est le consortium Elenilto et son partenaire Wengfu qui ont été choisis.
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Mais in fine, on a juste vendu le voleur pour acheter le sorcier. Comme le révèle Africa Mining Intelligence (AMI) du 27 mars 2018 : « Si l’avancée du projet d’Elenilto est lente, le groupe avait utilisé ses réseaux au plus haut niveau du pouvoir togolais pour emporter l’appel d’offres international. Yaakov Engel s’était en effet appuyé sur ses compatriotes Raphy Edery et son fils Liron Edery, conseillers du président togolais Faure Gnassingbé sur les questions minières. Le consortium formé par Elenilto (60%) et le chinois Wengfu (40%) avait alors gagné ce projet très convoité face à l’indien Coromandel Getax Phosphates ».
Géraud A.
Source : Liberté No.3221 du 31 août 2020
Source : Togoweb.net