Lomé retiré du projet de la BAD ; de 7 milliards, le coût passe à 22 milliards pour revenir à 11,5 milliards
Le flou et le mensonge persistent autour de la reconstruction du Grand Marché de Lomé. Estimé à 7 milliards de FCFA dans un projet financé par le Groupe de la banque africaine de développement (BAD), le coût des travaux passe à 22 milliards dans le budget 2017 avant de revenir à 11,5 milliards dans les discours prononcés le 30 janvier 2021 à la cérémonie de pose de la première pierre présidée par Mlle Yawa Tsegan, Présidente de l’Assemblée nationale. Mais un an plus tard, les travaux n’ont pas démarré. Au ministère du Commerce, c’est le silence absolu tout comme au bureau de la BAD au Togo.
Ce que dit le PARMCO élaboré par la BAD et le gouvernement
Dans les nuits du 09 au 10 et du 11 au 12 janvier 2013, des incendies ont respectivement ravagé les marchés de Kara et de Lomé. Selon la commission mise en place par le gouvernement pour recenser les sinistrés et proposer des mesures d’assistance, ce sont 3.016 commerçants qui en avaient été directement victimes. Les pertes subies par ces commerçants étaient estimées à 5,9 milliards de FCFA.
Très rapidement, le gouvernement a, avec le concours de certains partenaires au développement, aménagé des sites provisoires dans les deux villes en attendant la reconstruction des marchés sinistrés. Déjà en août 2013, le Groupe de la banque africaine développement a mis au point, de concert avec les experts du Togo, le Projet d’appui à la reconstruction des marchés et aux commerçants de Kara et de Lomé (PARMCO) qui vise la reconstruction des marchés définitifs de Kara et de Lomé et le renforcement des capacités des commerçants. « Il comprend notamment la réalisation des études architecturales et d’ingénierie des marchés à reconstruire, les travaux de construction des nouveaux marchés, des activités de sensibilisation des commerçants sur la nécessité de rendre formelles leurs activités, de souscrire des assurances, et d’avoir des comptes dans les banques ou les établissements de micro finance, et d’éviter la thésaurisation. Il apporte également un appui à la modernisation des activités des bénéficiaires en formant les commerçants des marchés à la tenue des registres de recettes-dépenses et en organisant au profit des membres des associations de femmes chefs d’entreprises des sessions de formation sur divers thèmes liés à la gestion des entreprises. En outre, le projet renforcera les capacités du ministère du Commerce et de la Promotion du Secteur Privé pour une meilleure gestion du secteur du commerce et un meilleur encadrement des commerçants », précise le document disponible sur le site de la BAD. Le coût total du projet financé par le Groupe de la Banque africaine de développement avec une contribution du gouvernement est évalué à 14.548.257 UC (Unité de compte), soit 10,9 milliards de FCFA. Le projet aurait dû être exécuté sur une période de 4 ans allant de janvier 2014 à décembre 2017.
« Le Gouvernement souhaite une reconstruction rapide de ces marchés, pour limiter les effets négatifs des incendies sur les recettes douanières et fiscales qui connaissent une diminution significative depuis janvier 2013 et sur les conditions de vie des commerçants désormais sans activités. Parallèlement, le Gouvernement souhaite améliorer la pratique du commerce au Togo. La grande majorité des commerçants installés dans les marchés ne figurent pas dans les Registres du Commerce et exercent leurs activités de façon informelle, ne tiennent pas de comptabilité et leurs activités ne sont pas couvertes par les assureurs. De même, peu d’entre eux ont des comptes dans des établissements bancaires ou de micro finance. Le projet contribuera à améliorer ces situations », renseigne la BAD dans son document.
Enigme autour du marché de Lomé
En clair, le PARMCO comporte plusieurs composantes qui allaient être exécutées avec les 10,9 milliards FCFA. Il y a la réalisation des études architecturales et d’ingénierie des marchés à reconstruire, les travaux de construction des nouveaux marchés, l’étude sur la gouvernance des marchés, la formation des commerçants et le renforcement des capacités du ministère du Commerce. Et selon le projet, les études architecturales et d’ingénierie ainsi que la reconstruction du marché de Lomé allaient coûter 7 milliards de FCFA. Même les résultats du concours d’idées ou de projets architecturaux pour la reconstruction des bâtiments principaux des marchés de Kara et de Lomé ont été proclamés lors d’une cérémonie publique en 2014 au ministère des Travaux publics et des Transports, en présence du ministre Ninsao Gnofam et des différents bailleurs de fonds (M. Serge N’guessan représentant résident de la BAD était présent). Le groupement d’architectes « SARA CONSULT » et « ESPACE ARCHITECTURE » ont respectivement remporté le 1er Prix d’une valeur de cinq millions FCFA pour le marché de Lomé et le 1er Prix de même valeur pour le marché de Kara.
Mais après plusieurs atermoiements, seuls les travaux de reconstruction du marché de Kara ont été entamés en septembre 2016, soit un an avant la fin du PARMCO. Quant à celui de Lomé, il est devenu un mystère. Et pour preuve, dans un rapport sur l’état d’exécution et sur les résultats du projet produit par la BAD le 06 juin 2019, on apprend que « Les travaux de Lomé ont été retirés du projet à la revue à mi-parcours ». Sans d’autres précisions. Pour en savoir davantage, nous avons adressé depuis début novembre 2021 une lettre au Chef de bureau pays du Groupe de la BAD. Mais nous n’avons reçu aucune réponse nonobstant nos multiples relances (lire le document en fac-similé).
Du côté du gouvernement, on se démenait, pendant des années, à jongler avec le coût des travaux. De 7 milliards dans le PARMCO conjointement élaboré, il est passé à 22 milliards dans le budget 2017. « Le problème de financement a bloqué le lancement de l’avis d’appel d’offres. Initialement évalué à environ 7 milliards de FCFA, le coût de la reconstruction du marché de Lomé s’est chiffré à environ 22 milliards de FCFA suite aux études architecturales et de maîtrise d’œuvre qui ont pris aussi en compte les observations de tous les acteurs », s’est justifié le gouvernement.
Cependant, les travaux de reconstruction ne sont restés que sur les papiers et les disques durs. Personne n’en a plus entendu parler jusqu’à la cérémonie de pose de première du 30 janvier 2021 présidée par la patronne de l’Assemblée, Mlle Yawa Tsegan, représentant le chef de l’Etat. Devant une foule en liesse, il a été annoncé que les travaux allaient coûter 11.489.994.484 FCFA totalement financés par l’Etat togolais. Ne cherchez pas à comprendre pourquoi le coût de la reconstruction est divisé par deux ! Le ministre du Commerce, de l’Industrie et de la Consommation locale, M. Kodjo Adédzé, qui est censé nous instruire, n’a pas daigné répondre au courrier à lui envoyé depuis plus de deux mois (lire le document en fac-similé).
Les travaux, prévus dans un délai de 18 mois – c’est-à-dire que le nouveau bâtiment aurait dû être remis aux commerçants au plus tard le 30 juin 2022 –, n’ont jamais démarré. A la place du « bâtiment de type commercial à quatre étages », poussent des herbes qui ne se sont conformées qu’à l’assertion populaire selon laquelle « la nature a horreur du vide ». Du côté des officiels, c’est silence radio. Le ministre Adédzé qui a fait, la semaine dernière, une sortie sur la reconstruction du marché de Kara, ne dit plus rien sur celui de Lomé. Et avant que les travaux ne reprennent un jour, il n’est pas exclu qu’un autre budget de plusieurs milliards soit proposé.
Marché de Kara, parlons-en
Dans le cadre du PARMCO, seuls les travaux de reconstruction du marché de Kara sont effectifs. Et comme ils sont lancés à un an de la fin du projet, la BAD et le gouvernement ont dû réajuster le calendrier. Mais sur le terrain, les choses ne semblent pas évoluer. « Ce retard est dû à deux choses. Tout d’abord, le retard dans le paiement des acomptes revenant au gouvernement. Mais à l’heure actuelle le gouvernement a apuré ses arriérés. L’autre cause est la désorganisation de l’entreprise SOSAF. Il a été demandé à l’entreprise de faire un planning des approvisionnements du matériel et des matériaux ainsi que le déploiement du personnel et de respecter le nouveau calendrier », relèvent les experts du Groupe de la Banque africaine de développement dans un rapport sur l’état d’exécution et sur les résultats, élaboré le 21 décembre 2019. En revanche, « le taux d’exécution physique est de 71% ». Après une suspension des activités entre mars et juin 2020 à cause de la pandémie du Covid-19, les travaux ont repris sur le site. Et la BAD a beau proroger la date de clôture du projet, les travaux ne sont jamais achevés. Par lassitude, la BAD se contente de mettre dans ses différents rapports la phrase suivante : « On note un retard dans l’exécution du projet mais ce retard ne remet pas en cause pour le moment l’atteinte de l’objectif du développement du projet ».
En février 2021, le ministre Adédzé était sur le chantier pour constater l’évolution des travaux. « « On note une exécution à 86, 67% », selon l’équipe de contrôle. Mais, « il faut aller plus vite ». C’est ce qui a motivé lundi 8 février 2021, le ministre du commerce, de l’industrie et de la consommation locale à visiter le chantier pour s’assurer de l’état d’avancement des travaux. Kodjo Adédzé a rappelé aux entreprises, la portée stratégique de ce marché avant de les inviter à conduire les travaux avec célérité, afin de le livrer dans un délai court et raisonnable, sa contribution étant conséquente à la relance de l’économie togolaise : « la vision d’avoir un territoire unifié au niveau de l’UEMOA, est en très bonne marche. Accélérer les travaux pour que nos mères regagnent le marché dans un délai record » […] La livraison du marché de Kara au plus tard fin mars 2021, fera grand bien à notre économie, « c’est pour cela que tous les dossiers le concernant doivent être traités avec la diligence requise », a insisté le ministre du commerce », lit-on sur le site du ministère (https://commerce.gouv.tg/).
Mais rien ne sera fait. Sûrement que la BAD a revu pour la énième fois la date de clôture du projet. En même temps, le ministre du Commerce qui n’a pas répondu à nos questions, a indiqué, la semaine dernière après une rencontre avec les entreprises, que « La deadline qu’on vient de se donner (31 mars) doit être respectée. Elle doit être la dernière ».
Mais selon les entreprises, la lenteur dans l’exécution des travaux est justifiée par des retards de décaissement. Ce que rejette M. Wilfrid Abiola, représentant pays de BAD, qui évoque « un problème d’entente entre ces entreprises et les cabinets de contrôle. « La BAD ne souffre d’aucun problème de liquidité. D’ailleurs, cette institution voudrait améliorer la qualité de consommation des crédits mis à disposition des gouvernants. Également au niveau du budget de l’Etat, nous n’avons aucun souci de trésorerie », a indiqué pour sa part le ministre Adédzé.
Voilà l’histoire des marchés de Lomé et de Kara ! Si les commerçants de Kara peuvent espérer rejoindre dans les mois à venir la nouvelle bâtisse, ceux de Lomé vont encore attendre.
Géraud A.
Source : Liberté
Source : icilome.com