Le président par intérim du Parti des Togolais Nathaniel Olympio, dans un entretien qu’il nous a accordé, est revenu sur l’essentiel de l’actualité politique togolaise. Il invite tous les acteurs de la crise à faire table rase du passé afin de construire un avenir prospère pour les futures générations.
Liberté : Comment se porte aujourd’hui la Coalition des 14 partis de l’opposition dont est membre le Parti des Togolais ?
N. Olympio : La Coalition est à pied d’œuvre, plus résolue que jamais. Et elle n’a pas le choix, au regard de la vigilance du peuple. Mais le travail à faire est encore immense malgré les étapes déjà passées et les victoires intermédiaires.
J’appelle les Togolais à demeurer mobilisés, parce que les grandes manifestations populaires pacifiques reviendront, inéluctablement, au regard des postures et du manque d’ouverture du régime. Détermination et ténacité doivent nous animer.
Certains estiment que la Coalition est en mode ralenti actuellement.
La dernière fois que j’ai entendu parler de l’incapacité des partis politiques de l’opposition togolaise à travailler ensemble, c’était en septembre 2017. Les esprits très malins ont pronostiqué que nous ne tiendrions ensemble que quelques semaines, au mieux. Nous voici toujours ensemble depuis un an déjà. Avec 14 partis politiques, il est normal d’avoir des divergences d’approches sur certains points. Mais ce qui importe réellement, c’est notre capacité, jusqu’ici, à transcender nos divergences circonstancielles et rester fermes sur l’essentiel.
Bien entendu, tout n’est pas parfait. La Coalition doit continuer d’améliorer son efficacité et ses performances pour avoir la certitude d’atteindre les objectifs dans un délai supportable pour la population.
Le 31 juillet dernier, lors du 53emesommet des Chefs d’Etats et de gouvernement de la CEDEAO qui s’est tenu à Lomé, des propositions vous ont été faites en vue d’une sortie de crise. La Coalition en a pris acte avant de rendre public cette semaine un mémorandum sur le sujet. A quoi doit-on concrètement s’attendre ?
On doit s’attendre à ce que la Coalition ne se détourne pas des objectifs du peuple, à savoir obtenir l’alternance à la tête de l’Etat afin d’asseoir la liberté, l’Etat de droit et la démocratie qui sont nécessaires afin d’amorcer le développement. La Coalition reste ferme et déterminée pour que les réformes constitutionnelles, institutionnelles et électorales se fassent en profondeur. Il faut que les Togolais obtiennent leur acte de naissance, leur certificat de nationalité et leur carte nationale d’identité avant d’envisager l’élaboration d’un fichier électoral fiable. S’écarter de cette démarche représente un risque politique que les Togolais n’acceptent plus aujourd’hui.
La CENI vous invite à travailler avec elle, que répond la Coalition ?
La CENI cherche laborieusement à exister. Mais elle doit être réformée. Elle n’a plus aucune légitimité ni aux yeux des Togolais ni dans les recommandations de la CEDEAO. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle est en mode survie.
La Coalition ne participera pas aux travaux de cette CENI, avec cette configuration. La Coalition des 14 partis de l’opposition à laquelle participe le Parti des Togolais dit à ce jour d’une seule voix : « nous ne sommes pas prêts à participer à une élection conduite par cette CENI dans les conditions actuelles ». C’est là notre position commune. Les actes que cette CENI pose sont nuls et de nul effet.
Vous proposez une transition au niveau de la Coalition. Avez-vous aujourd’hui une offre politique pour faire de cette transition éventuelle, une réussite ?
En réalité, la Coalition n’a pas encore acquis de ses interlocuteurs le principe même de transition. Nous devons encore tout faire pour amener le régime à accepter que la transition est indispensable parce que c’est un instrument de consensus et non de rejet.
Cette étape transitoire, qui doit être une période de rénovation, est un passage obligé vers la consolidation des acquis démocratiques au sein d’un État de droit et de paix. Il est tout à fait indispensable de mettre en place un gouvernement de rénovation démocratique qui puisse reconstruire le tissu national et opérer dans la sérénité les réformes que nous attendons tous. C’est à cette condition que nous pouvons rétablir la confiance entre les Togolais. Pour cela, nous devons avoir le courage de tourner certaines pages de notre histoire.
Tourner certaines pages de notre histoire est un processus difficile, humainement parlant. Mais c’est une étape indispensable si nous voulons que l’alternance puisse être effective dans un environnement de stabilité et de paix. Tout en agissant avec fermeté, l’alternance ne doit pas s’obtenir en créant d’autres frustrations et d’autres injustices. C’est pour cela que nous devons dès maintenant commencer à intégrer le principe de l’amnistie, dans la vérité. Bien entendu, l’amnistie doit s’accompagner des réparations à la hauteur des préjudices subis. Cela doit être un travail de fond, et non un saupoudrage politique, comme le fait le régime.
Certes, le cœur de nos compatriotes saigne. Et ils ont besoin de justice. Mais la justice n’est pas synonyme de vengeance. La justice peut être multiforme. Nous devons, tous autant que nous sommes, avoir le courage de dire : « Ma contribution à la paix dans ce pays, c’est que je ne cherche pas de vengeance. Je suis prêt à tourner la page et à œuvrer à la reconstruction de notre Nation commune avec tous les togolais ». Le peuple doit être préparé à cette disposition d’esprit. Ne laissons pas les fantômes du passé hanter et assombrir notre avenir. La réussite de la transition est avant tout une question de volonté politique et de sacrifice que chaque Togolais est disposé à faire.
Encore faut-il que ceux qui ont besoin d’amnistie se mettent dans les dispositions favorables pour y parvenir ?
Il n’est pas aisé pour la plupart des gens d’avouer leurs torts. De même, il est plus facile de s’accrocher à une amnistie accordée par celui qui a été offensé. Lorsque le pardon est exprimé, la personne fautive refuse rarement d’en bénéficier. Jouir d’un pardon est une forme de reconnaissance de ses fautes. Nous devons avoir le courage de poser l’acte fondateur d’un Togo nouveau sans nous regarder en chiens de faïence, dans un esprit de savoir qui courbera l’échine.
Seulement on a l’impression qu’il y a encore certaines têtes dans l’armée qui veulent jouer aux caïds ?
Les extrêmes peuvent ralentir ou perturber la marche de l’histoire mais ils ne prennent jamais le dessus. Certains peuvent avoir l’impression que plus rien n’est récupérable pour eux. C’est le moment de les rassurer, de leur dire de ne pas s’enfermer dans ce schéma pessimiste. Le peuple togolais est généreux, capable de sursaut et de pardon. Certes, les circonstances peuvent amener des gens à exprimer leur colère. C’est normal. Mais il suffit de leur offrir une perspective, leur faire voir de quoi l’avenir sera fait et le mieux-être qui va advenir. Vous verrez ces mêmes personnes se surpasser, dépasser leurs émotions, transcender leur douleur et poser des actes de nature à tendre la main pour un vivre ensemble harmonieux.
L’étape que nous passons aujourd’hui est une aubaine pour ceux qui ont des choses à se reprocher. Ils devront saisir l’opportunité pour que nos difficultés politiques et sociales soient résolues de manière pacifique. Nous ne devons pas rater cette occasion. Si nous laissons des extrêmes prendre le dessus, ce ne sera bon pour personne, ni au Togo ni dans la sous-région ouest-africaine. C’est pourquoi la responsabilité des dirigeants actuels du pays est grande en ce moment précis. Ils doivent faire les bons choix pendant qu’il en est encore temps.
Certains estiment que la clé pour une sortie de crise aujourd’hui est dans les mains de Faure Gnassingbé.
Le chef de l’Etat actuel a une immense responsabilité dans l’avenir du pays. C’est lui qui détient la clé de la manière dont cette crise va se terminer. S’il le veut, tout se passera dans la paix et il en tirera les lauriers pour l’histoire. S’il ne prenait pas les bonnes décisions et que cela entraînait le Togo dans une spirale regrettable, l’histoire le retiendra aussi. C’est pour cela que je l’exhorte à replacer le Togo au centre de ses préoccupations et à rejeter toute crainte de l’avenir. Nous sommes à une étape où l’avenir peut encore être glorieux pour tout le monde. Mais cela ne relève que de sa propre et unique décision. Quoiqu’on dise, quoiqu’on fasse, la décision d’une sortie de crise pacifique est entre ses mains et on verra l’usage qu’il en fera. C’est en ce moment que les Togolais découvriront peut-être le chef qui n’a jamais été révélé. Ce sera peut-être l’acte le plus important de toute sa présidence. Il faut l’espérer, dans la vigilance.
Que pensez-vous des incendies des mosquées ?
Des actes irresponsables ! Dans l’état de crise que traverse le pays, ces actes ne peuvent pas être dissociés de l’analyse politique. Les extrêmes continuent d’agir. Arrêter les coupables est de la responsabilité de l’Etat. Et au-delà, mettre un terme définitif à cette crise est la meilleure option pour écarter les menaces qui peuvent guetter le Togo.
Les Togolais ont compris la supercherie des incendies, les religieux également. Nous sommes tous solidaires de nos concitoyens musulmans.
Propos recueillis par Shalom Ametokpo
Source : www.icilome.com