Monsieur le chef d’État, à défaut de nous faire rêver, ne tuez pas nos rêves 4 avril 2018

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Monsieur le chef d’État, à défaut de nous faire rêver, ne tuez pas nos rêves                                                                             4 avril 2018
Faure Gnassingbé

Par Serge Lemask, togo-online.co.uk

Il s’agit une lettre ouverte du journaliste bloggeur Davy Yirkamba Marcel Akonaro adressée au champion d’UNIR, Faure Gnassingbé. Lecture !

Lettre ouverte à Faure Gnassingbe

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Monsieur le chef d’Etat, à défaut de nous faire rêver, ne tuez pas nos rêves

Monsieur le chef d’Etat,

Pour la 2ème fois depuis octobre 2017, je me prête à cet exercice des plus osés, qui consiste à écrire à un chef d’Etat – non pas pour le louer – mais pour critiquer son action. La première fois, je vous conseillais d’abdiquer pour votre honneur et pour le bonheur du peuple. Aujourd’hui, pour mieux comprendre ma préoccupation, permettez que je vous raconte cette triste histoire qui m’a beaucoup émue. Je ne doute pas qu’il en sera de même pour vous.

Il y a quelques jours, j’étais en visite à Kara. Un après-midi, je décide d’aller boire quelques calebasses de ‘‘Tchouk’’ (boisson locale). Sous la paillote où je bois ce soir-là se trouve une femme ; visiblement rongée par un mal profond. Pendant que je commande ma 2ème calebasse, un jeune homme passe. La femme fond en larmes. Je ne comprends rien et demande une explication aux autres femmes sous la paillote. « Le jeune qui vient de passer est un milicien. Le fils de cette femme est militant de l’opposition. La barbarie des miliciens l’a contraint à s’en aller. Ils voulaient le tuer. Cela fait plusieurs mois qu’il est parti. Sa mère est sans nouvelles de lui et ne sait où le trouver », me dit l’une d’elles avec émoi. Lorsque la femme sèche ses larmes, je réussis à lui arracher ces mots : «Mon fils n’a rien fait de mal. Son seul tort est d’avoir rêvé d’un Togo où lui aussi peut gagner sa vie, afin de subvenir aux besoins de notre famille. Je n’ai que lui. Son père est mort lorsqu’il n’avait que 3 ans. Le voilà disparu ; mon seul espoir »… Monsieur le chef d’Etat, existe-t-il plus légitime rêve que celui de ce jeune ? Réussir sa vie ? Si pour un tel rêve l’on doit être châtié, quel rêve nous est-il donc permis d’avoir, quand vous-même ne nous en proposez aucun ?

L’on se souvient, que la seule fois où vous avez essayé de nous faire rêver, cela s’est avéré n’être qu’un coup de com. Nous sommes en 2005. Vous venez de succéder à votre père dans des conditions calamiteuses. Conscient que ce dernier n’a pas laissé dernière lui assez de bonnes œuvres, vous nous promettez de ne pas faire comme lui. Vous déclariez alors : « lui c’est lui moi c’est moi », emprunté à Laurent Fabius. Aujourd’hui, 13 ans après, difficile de voir en quoi vous êtes différent de lui. Bien au contraire, certains Togolais – sans doute par dépit – viennent à se dire que votre père était mieux. On attendait le messie, arrive la massue.

Aujourd’hui le drame, ce n’est pas seulement votre bilan catastrophique. Le vrai drame, c’est surtout la kyrielle de rêves tués qui jonchent les 13 années de votre gouvernance. Trop de rêves tués. Le petit Anselme Sinandaré, 12 ans, abattu un matin d’avril 2013 à Dapaong, alors qu’il réclamait son droit à l’éducation ne me dira pas le contraire du fond de sa tombe. Lui qui rêvait de devenir médecin. De même, Joseph Eza, brillant informaticien, et vice-président du mouvement citoyen Nubueké en conviendra du fond de sa cellule où vous l’avez jeté avec deux autres, depuis cinq mois, parce qu’ils ont osé rêver d’un Togo où l’obscurantisme n’a plus droit de cité. Pendant que j’y suis, comment oublier cette confidence du fils de Joseph Eza ? Nous sommes en mai 2016. Un soir je rends visite à Joseph à son domicile. Son fils joue au salon. Il vient me saluer et je profite échanger quelques mots avec lui. A la question de savoir ce qu’il aimerait faire lorsqu’il sera grand, il me confie : « Je veux faire comme mon père : sensibiliser les gens à l’éducation civique, car dans notre
quartier, les gens jettent les ordures dans la rue. Le maître nous a dit que c’est mauvais pour la santé ». Il n’avait que 5 ans. Aujourd’hui, pas sûr qu’avec un père qui croupit en prison pour avoir voulu aider les autres à mieux cerner les enjeux du pays, le petit Eza ait encore envie de faire ce qu’il croyait bon pour sa société. Voilà comment des rêves nobles sont tués dans notre pays. Voilà surtout comment vous élargissez la base de vos opposants.

Monsieur le chef d’Etat, j’apprends, non sans grand étonnement, que malgré votre bilan des moins reluisants, vous avez l’ambition de briguer un 4ème, voire 5ème mandat. La question que je me pose c’est : pour quoi faire encore ? L’histoire ne nous enseigne-t-elle pas que les longs règnes sont toujours source de dérives totalitaires ? Etant le fils d’un dictateur, vous êtes mieux placé pour savoir cette réalité. Mais voyez-vous, la jeunesse togolaise est ouverte sur le reste du monde et sait que désormais, la tendance dans notre ère, c’est deux mandats, pas plus. Il n’est donc pas évident que vous aurez la même chance que votre père pour régner à vie ; surtout quand vous n’avez que corruption, chômage, endettement du pays à faire valoir comme bilan. Le scénario le plus probable c’est que les jeunes vont se mobiliser pour vous barrer la route. Et ce n’est pas sûr que l’armée et les miliciens soient prêts à vous soutenir ad vitam aeternam. Car eux aussi voient leurs rêves s’obstruer par ce règne qui n’en finit jamais.

D’ailleurs, je plaide pour ces miliciens ; car au fond, on ne devient pas milicien de son gré. Un milicien, c’est avant tout une victime ; la victime d’un système qui, en plus de 50 ans de règne a été incapable de créer des emplois pour les jeunes. Un milicien, c’est aussi un jeune affamé (à dessein) qui, pour avoir de quoi assurer sa survie, se voit contraint d’accepter de frapper et tuer ses frères pour 1500 FCFA. Triste non ! Malheureusement, ces jeunes ne comprennent pas encore que c’est vous qui êtes à l’origine de leurs malheurs. Mais pour autant, ils rêvent de mieux.

Même les militaires sur qui repose votre principale force rêvent. Ils rêvent d’une armée où ils ne seront plus transformés en garde prétorienne, au service d’un seul homme, vous. Mais d’une armée qui fait d’eux de vrais patriotes, aptes à protéger leurs compatriotes civils ; quitte même à se sacrifier pour eux, comme Arnaud Beltrame, ce brave gendarme français qui a récemment ému la planète entière en prenant la mort à la place d’une femme, dans l’attentat terroriste de l’Aube en France. Oui, les soldats togolais voudraient eux aussi être capables de tels actes de bravoure, car ils en ont marre d’être perçus comme des lâches ou bêtes sauvages, n’ayant de force que pour frapper et tuer leurs frères civils ; dans le seul but de vous garantir un règne sans fin. Ils rêvent monsieur, d’un métier des armes plus noble et républicain.
Que dire de ces journalistes qui, pour assurer leur survie se voient obligés de brader leur indépendance et leur dignité pour faire votre propagande, quitte à transgresser l’éthique, la déontologie et même la morale ! Ils rêvent d’un journalisme plus digne, plus valorisant et plus indépendant. C’est du moins ce qu’ils nous disent en privé. Ils en ont marre de devoir être la risée des populations, à force de défendre l’indéfendable.

Monsieur le chef d’Etat, comme je vous le disais dans ma première lettre, je suis jeune journaliste. Et un jeune journaliste, ça rêve grand. L’un de mes plus grands rêves c’est de posséder un grand groupe de médias au Togo – non pas pour faire votre propagande – mais pour servir une information de qualité à mes concitoyens. J’avoue que je n’y crois pas vraiment, car dans notre pays, tous les médias qui ne vous applaudissent pas sont systématiquement coupés de la manne publicitaire par des procédés des moins orthodoxes, ou subissent des menaces et intimidations. Dans le pire des cas, ces médias sont purement et simplement fermés, exposant de facto les journalistes au chômage et à la précarité. Les journalistes de X-Solaire, Légende FM, City FM et LCF en savent quelque chose.

Qui vous dit même que vos ministres et les cadres de votre parti ne rêvent pas ? Soyez-en sûr, ils sont les premiers à rêver de vous remplacer. Ce qui en soit n’est pas mauvais. Mais connaissant le traitement que vous réservez à ceux qui osent avoir pareils rêves, ils préfèrent se contenter de ce que leur garantit votre maintien au pouvoir : se remplir les poches et les panses.

Monsieur le chef d’Etat, vous voyez bien que tout le monde dans ce pays a un rêve ! Pourquoi ne vous permettez-vous pas un rêve vous aussi ? Non pas celui d’un pouvoir à vie, mais celui de devenir le premier ancien président vivant du Togo. C’est un rêve à votre portée. Et il est noble. Il vous fait entrer dans l’histoire. Les grands hommes, ce n’est pas seulement ceux qui entrent par la grande porte. C’est aussi et surtout ceux qui, après être entrés par la petite porte, savent se racheter et sortent par la grande. L’histoire vous tend la main. Saisissez-là..

Faites en sorte que la prochaine fois que je vous écrirai, que ce soit pour vous féliciter d’avoir pris la sage décision. Celle de quitter les choses avant qu’elles ne vous quittent. J’ose en rêver.
Respectueusement
Davy Yirkamba Marcel Akonaro
Journaliste blogueur

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