La gestion de Mme Myriam Dossou-d’Almeida, Directrice générale de l’Institut national d’assurance maladie (INAM) a été mise à nu dans un audit interne dont Liberté a obtenu copie. Suite à la publication d’un extrait de ce rapport, une riposte médiatique a été lancée et des agents de l’Institut sont interpellés la semaine dernière par la Police judiciaire. Le but, c’est de dénicher la taupe qui aurait filé le rapport top secret à la presse. Mais comme rien ne résiste à la vérité, le rapport du Commissaire aux comptes vient confirmer les allégations de l’audit interne.
La Banque mondiale définit la bonne gouvernance comme la capacité du gouvernement à gérer efficacement ses ressources, à mettre en œuvre des politiques pertinentes, le respect des citoyens et de l’État pour les institutions, ainsi que l’existence d’un contrôle démocratique sur les agents chargés de l’autorité. De fait, les audites internes et externes sont entre autres des mécanismes dont la mise en œuvre permet d’atteindre des performances. Un audit est un ensemble de procédures de contrôle de la comptabilité et de la gestion d’une entreprise ou d’une organisation. Selon l’Association française de l’audit et du conseil informatiques (AFAI), « l’audit interne est une activité indépendante et objective qui donne à une organisation une assurance sur le degré de maîtrise de ses opérations, lui apporte ses conseils pour les améliorer et contribue à créer de la valeur ajoutée. L’objectif de l’audit interne est d’aider une organisation à atteindre ses objectifs en évaluant son processus de management des risques, de contrôle et de gouvernement d’entreprise. En cas de dysfonctionnement au sein de l’entreprise, l’audit interne est tenu de décrire de façon détaillée le problème et les risques (diagnostic et pronostic) en vue d’une mise au point. Ce processus comporte des contrôles réguliers (bien que la définition ne le mentionne pas) dans le cadre d’investigations chargées de veiller au bon déroulement des opérations ».
Ceci nous amène à nous demander la raison pour laquelle le département d’Audit Interne de l’INAM n’avait jamais produit de rapport depuis cinq ans qu’il est installé ? Effectivement, le rythme de l’Audit interne à l’INAM est anormal. C’est la première fois depuis la création de l’INAM en 2011 qu’un audit est réalisé et cela ne porte que sur le volet marchés publics exercice 2018. A quand donc les rapports sur les audits comptable et financier, les ressources humaines, le management et la qualité des services offerts ? Selon nos informations, même le présent rapport aurait été bloqué par la DG et n’a pas été transmis au Conseil d’administration. C’est grâce à la presse que la PCA Mme Gnakou Namalo, actuelle Directrice Générale de l’EPAM, aurait découvert pour la première fois ce rapport d’audit de l’INAM.
La minorité autour de Faure Gnassingbé continue le pillage en toute impunité. Les pratiques de la DG Myriam Dossou-d’Almeida n’ont rien à envier à celles de l’ancien ministre de l’Agriculture, le colonel Ouro-Koura Agadazi, sur la gestion des fonds FIDA.
Tableau 18 : Situation des marchés prévus dans le PPM validé par le DNCMP
Tableau 19 : Situation des marchés prévus et signés au cours de l’exercice 2018 par INAM
Une analyse des données contenues dans les tableaux 18 et 19 du Commissaire aux comptes révèle beaucoup d’anomalies. Après investigations, cette mission conclut qu’au total cinquante-neuf (59) marchés ont été prévus sur la base de deux modes de passation de marchés à savoir, l’Appel d’offres ouvert et l’Avis à manifestation d’intérêt dont seize (16) sont des prestations intellectuelles, c’est-à-dire la conception de progiciel, et quarante-trois (43) marchés pour les fournitures et travaux. Sur les 59 marchés autorisés prévus dans la passation des marchés, 54 marchés ont été signés par l’INAM.
L’anomalie dans toutes ces signatures de contrat est que la Directrice de l’INAM a violé le cadre réglementaire de la passation des marchés publics en attribuant 32 marchés de gré à gré, soit 37% environ de la valeur. Le même dysfonctionnement est constaté dans la rubrique « Mode non spécifié dans le contrat signé » qui représente 17% des marchés. En plus, le rapport révèle que le mode de passation de 10 autres marchés (18% de la valeur) n’a pas été défini dans les contrats signés entre l’INAM et les prestataires de services ou fournisseurs de biens et travaux. Bref, le rapport énumère qu’au cours de l’exercice sous revu, plusieurs de ces marchés signés l’ont été par entente directe (ED) et certains parmi eux n’ont pas été prévus dans le PPM (Plan de passation des marchés publics). Tous les marchés sont à financer sur fonds propres de l’INAM. Or, en ce qui concerne le gré à gré, la Direction nationale de contrôle des marchés publics (DNCMP) est censée veiller à ce que l’autorité contractante ne dépasse pas 10% du montant total des marchés publics passés par ladite autorité. Mais dans le cas d’espèce, l’on constate un dépassement de 27% de la valeur sans que la DNCMP ne réagisse.
Paradoxalement, les lignes budgétaires qui ont été validées par le PPM en 2018 n’ont pas été consommées. Le Rapport du commissaire aux comptes fait ressortir que l’«Appel d’offres ouvert » d’une valeur de 1 ,083 milliards FCFA et l’« Avis à manifestation d’intérêt » d’une valeur de 320 millions de FCFA n’ont été consommés respectivement qu’à hauteur de 270 millions FCFA et 29 millions FCFA.
La raison est toute simple. Mme la Directrice de l’INAM n’aime pas passer par les appels d’offre publics qui ne lui donnent pas l’opportunité d’obtenir ses commissions. Elle ne donnerait les marchés que si elle était certaine d’obtenir ses dessous de table. Car tout ce qui n’est pas dans son intérêt ne passe pas. Et c’est la raison pour laquelle le gré à gré est la chose la mieux partagée dans la boîte. Quelle est alors la part des marchés des jeunes et femmes entrepreneurs togolais dans cette escroquerie ? Mystère.
Outre les mauvaises pratiques dans la technique de passation de marché et la rétention d’informations ou de documents énumérés par le Commissaire aux comptes, l’on s’interroge sur les contrats relatifs au progiciel métier. La mise en place de ce progiciel devrait permettre de réaliser l’extension de la couverture d’assurance à d’autres corps sociaux à savoir les artisans, les agriculteurs, etc. A ce jour, l’INAM a déjà débloqué plus de 500millions de FCFA en faveur des prestataires. La totalité du contrat a été payée en plus des avenants alors que le produit n’est pas encore livré pour être testé. Donc pour un logiciel non livré, ni testé, la DG de l’INAM commence à débourser les cotisations des pauvres fonctionnaires pour la maintenance.
En effet, la conception de ce progiciel dénommé Projet SAP INAM porte deux volets confiés à deux cabinets externes. Le concepteur est une entreprise ivoirienne au nom de ALINK TELECOM et l’autre désigné Assistance au maître d’ouvrage (AMO) est de droit togolais en l’occurrence le cabinet Deloitte-Togo SA du controversé Grand Maître de la Loge Nationale Togolaise Ignace Kokouvi Clomegah.
Le contrat lié au volet technique du progiciel SAP INAM a été signé en 2018 entre ALINK TELECOM et l’INAM pour un montant de 290 058 678 de Francs CFA. Ce montant a été totalement réglé en 2018. Mme la DG en personne entretient une opacité autour de ce projet à travers de nombreuses missions en République de Côte d’Ivoire. Le plus surprenant est que Mme Myriam Dossou-d’Almeida exécute un nouvel ordre de virement n°04/07/CF/2019/INAM/DG/DAF d’un montant de 30 000 000 de Francs CFA en date du 12 juillet 2019. Selon nos informations, ce nouveau virement correspond au montant d’un avenant au contrat initial dont l’objet serait la maintenance du logiciel SAP INAM. Comment peut-on faire la maintenance d’un logiciel qui n’a pas encore existé ? Pourquoi donc un cabinet étranger pour implémenter un progiciel métier quand le Togo dispose d’une université qui a en son sein un Centre informatique et de calcul (CIC) ? N’est-ce pas le CIC qui, depuis deux ans, développe tous les logiciels qui gèrent de façon efficace le cursus des étudiants et toute la logistique académique ? L’argent ainsi gaspillé ne pouvait-il pas servir à l’Université de Lomé qui, en retour, offrira une production plus adaptée et à moindre coût ?
Disons-le, le Togo regorge de talents mais le gangstérisme économique au sommet de l’Etat pousse les décideurs à faire appel à une expertise externe et incertaine. Pis encore, l’INAM dispose d’un département informatique et a recruté un Directeur informatique (programmeur) qui a fait ses preuves en Tunisie dans l’Enseignement supérieur. Mais pour pouvoir magouiller, Mme la DG aurait transformé le génie autochtone en un simple Chargé d’étude de projet. Pendant ce temps, plusieurs charlatans informaticiens extérieurs défilent à l’INAM. Certains mêmes venus des USA sans adresse, auraient pris de l’argent à l’INAM et se seraient volatilisés dans la nature.
Le second volet destiné au contrôle de la livraison de ce logiciel informatique ERP-SAP conduit par le Cabinet Deloitte-Togo SA se trouve également trempé dans la valse de détournement. Le contrat n° 021/2018/INAM/DG dont l’objet est intitulé : « Relatif à une mission complémentaire d’assistance à maitre d’ouvrage pour l’implémentation du progiciel de gestion intégrée (ERP-SAP) » a été signé le 07 mai 2018 pour une valeur initiale de 105 825 000 de FCFA pour une durée de 240 jours, soit environ 08 mois. Ce qui veut dire que le contrat initial qui a été totalement réglé par virement sur le compte ORABANK de AAC Deloitte prenait fin au plus tard en janvier 2019. A la grande surprise et sans la production d’aucun rapport sur le déroulement du Projet SAP INAM, la DG signe au même Deloitte-Togo SA un premier avenant de 50 000 000 de FCFA correspondant à 2 mois 5 jours de travaux. Et ce n’est pas fini, puisque le 2 juillet 2019, elle accordera un second avenant n°0016/0016/2019/INAM/DG pour un montant total de 50 716 040 FCFA.
Ainsi, pour une entreprise publique à vocation sociale, la DG se permet de signer des contrats gré à gré à plus de 500 millions de FCFA pour l’implémentation de logiciel qui n’est pas encore livré. A cette allure, le montant final du simple progiciel risque de dépasser la barre du milliard.
L’économiste John Kenneth Galbraith dans son ouvrage « Les mensonges de l’économie : Vérité pour notre temps » écrit : «Le pouvoir dans l’entreprise (organisation) appartient à l’équipe de direction, bureaucratie qui contrôle sa tâche et sa rémunération. Une rémunération qui frise le vol. C’est parfaitement évident. C’est cela qu’on a appelé à certaines occasions récentes, le ‘scandale d’entreprise’». Oui, la DG Myriam Dossou-d’Almeida se la coule douce sous les tropiques. Même son recrutement à l’INAM à travers l’ANPE sur un CDI depuis 2012 est mystérieux. Normalement, elle aurait dû être recrutée comme agent de l’INAM avant d’être nommée DG par le Conseil d’Administration. Ce faisant c’est comme elle a été imposée au CA et donc n’a pas de compte à rendre à l’instance. Selon les fiches de paie, elle serait rémunérée à plus de 3 millions de FCFA net le mois comme salaire. Elle bénéficie de nombreux avantages en nature (Voiture, logement, communication…).
C’est inadmissible que la minorité pilleuse autour du chef de l’Etat continue de détourner les cotisations sociales qui ont pour but d’alléger la souffrance des fonctionnaires et retraités. Il s’agit des prélèvements effectués sur le salaire des pauvres Togolais et la gouvernance doit rendre compte. Affaire à suivre.
B. Douligna
Source : Liberté
Source : Togoweb.net