Lomé: guerre ouverte entre l’Eglise Catholique et les Franc-maçons

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« Catholiques et francs-maçons : Eternels adversaires ? » Paul Pistre, historien, enseignant dans l’école laïque catholique, à travers ce ouvrage, nous plonge dans l’éternel conflit qui oppose d’une part les clercs et les maçons, mais aussi les éléments qui participent au rapprochement. La franc-maçonnerie nourrit bien des fantasmes en Occident que sous les Tropiques. Si le débat s’invite sur les médias, dans les cercles de réflexion publique en Occident, les relations entre l’église et la franc-maçonnerie sont moins médiatisées en Afrique où n’existent pratiquement pas. Les francs-maçons en Afrique font l’objet de tous les mystères.

Il s’est passé, fin décembre, un incident dont l’écho a été retentissant aussi bien dans les cercles de la franc-maçonnerie que de l’église. Le 11 décembre 2019, les Togolais apprennent avec stupéfaction le décès de l’ancien ministre de l’Economie et des Finances Elom Emile Dadzie.

Ce fervent catholique, ancien Directeur général des douanes, ancien ministre est connu de tous les Togolais. Il est encore plus connu des chrétiens catholiques. Humble, généreux et très effacé, il fait partie des personnes ressources de la paroisse Christo- Risorto de Hèdzranawoé. Ses obsèques prévues du 27 au 28 décembre 2019 à la même paroisse, n’ont pu se tenir comme prévu. Le vendredi 27 décembre, plusieurs parents, amis et proches qui se sont présentés dans la soirée au lieu indiqué pour la veillée, notamment la paroisse –

Christo-Risorto, ont trouvé à leur grande surprise les portes de l’église closes. Il leur a été demandé de rejoindre le domicile du défunt où se tenait la veillée.

Le lendemain, le jour de l’inhumation; le défunt; fervent catholique; n’a pas eu droit à la liturgie des morts. Néanmoins les prières au culte d’enterrement ont été conduites par une brochette de prêtres parmi lesquels les révérends pères Ayayi Dovi, Boccovi et Sanvee. Que s’est -il passé pour que l’église refuse de célébrer les obsèques d’un de ses fervents et généreux fidèle?

Selon des informations de sources concordantes, l’Archevêque de Lomé Mgr Denis Amouzou Dzakpa reproche au défunt d’être un franc-maçon. Ce dernier a demandé à la veuve et aux enfants à avoir accès au testament pour s’assurer qu’Elom Emile Dadzie a renoncé à la franc-maçonnerie. Une demande que la famille n’a pu honorer étant donné que le testament est avant tout familial. C’est donc pour des raisons d’appartenance à la franc-maçonnerie que l’église catholique a refusé de célébrer les obsèques du défunt. Cette humiliation post-mortem a suscité la colère des familles, des proches, des amis, mais surtout des « frères de lumière ».

Incompréhension et polémique autour d’une décision

Plusieurs réactions des « frères de lumière » ont fait le tour des réseaux sociaux. « Je suis Chretien et Catholique. Notre Sainte mère l’Eglise catholique apostolique et romaine que je respecte et que je vénère fonctionne sur des Règles, en l’occurrence le Droit Canon qui s’applique aussi bien aux prélats qu’aux fidèles. Le canon 1184 ne condamne plus la FM depuis février 1983. Alors comment comprendre le refus du Clergé de faire la liturgie des morts à notre ancien frère qui d’ailleurs avait présenté sa démission de sa loge mère Franchise depuis plus de 2 ans ?

Comment comprendre que l’Eglise Christo-Risorto dont il est le plus grand contributeur pour la construction pendant longtemps, membre du comité paroissial et toujours été à la Sainte table jusqu’à sa brève maladie, donc n’a jamais été excommunié ? De son vivant, il n’a jamais été frappé d’aucune peine et à son départ vers la demeure Céleste du père que le Clergé ou le Curé de sa paroisse refuse de le récevoir à l’église comme un vulgaire mécréant ou quelqu’un frappé d’apostasie est purement et simplement scandaleux. Je suis Chrétien et en tant que Chrétien, nous allons nous plaindre à l’autorité supérieure.

Ernest Van Ecke GM (Grand Maitre) de la GLFN (Grande Loge Nationale de France) a eu droit aux obsèques à notre Dame de Boulogne Billancourt et la messe a été dite par le RP Riquet, prêtre Jésuite membre de la GLNF. Ce qui se passe est intolérable. Non, non, non ; notre Eglise n’est pas comme ça. Je suis Emile Dadzie », a écrit un franc-maçon sur une plateforme, et un autre d’ajouter : « L’Eglise catholique aurait refusé de rendre le dernier hommage à notre aimable concitoyen Emile Dadzie, c’est tragique en même temps que cela donne envie de rigoler. Pourquoi ?

Tout ceci apporte la preuve que la religion catholique est véritablement un (opium du peuple). Vous les chrétiens catholiques, vous croyez acheter votre place au paradis en invitant les prêtres chez vous, ils boivent et mangent sans limite et même partageant parfois votre vie intime, pendant qu’un malheureux du quartier ne trouve pas à manger. Vous construisez leurs églises, vous leur donnez de l’argent, au final à votre mort ils vous considèrent comme étant indigne de la religion catholique, ce qui confirme encore le vrai visage de nos prétendus serviteurs de Dieu alors qu’en fait ils vénèrent l’ingratitude. Moi je suis chrétien protestant. La preuve que je ne me suis pas trompé de voie, c’est que le Temple Protestant a rendu à Emile Dadzie son dernier hommage honorable. Que le Temple Protestant en soit remercié au nom de notre éternel Dieu Tout Puissant ».

Toujours dans la trame des réactions des « frères de lumière », un troisième n’incrimine pas l’Eglise, mais le « zèle de l’archevêque sortant entouré de quelques vieux prêtres pédophiles dont le passage à la tête de l’archevêché a été un fiasco total ». Il en a pour preuve le fait que Mgr Philippe Fanoko Kpodzro et plusieurs prêtres ont pris part à la veillée et au culte d’enterrement de l’illustre défunt. L’Archevêque de Lomé étant dans la position du « Primus inter pares », il est difficile de croire que sa décision n’engage pas l’ensemble de l’église.

La position des «frères de lumière» n’est pas partagée par certains prêtres et des chrétiens laïcs. Pour un laïc qui a requis l’anonymat : « Les Francs-maçons avaient été rappelés à l’ordre à plusieurs reprises par Mgr Denis Amouzou-Dzakpa, qui avait déclaré que les chrétiens catholiques devraient choisir entre la franc-maçonnerie et l’église catholique. C’est une position que je partage. Lorsque Dadzie, selon l’auteur du billet d’humeur, a quitté la loge, a-t-il porté l’information au niveau de sa paroisse ? C’est un sujet sur lequel je n’ai aucune complaisance. Vous êtes maçon ou chrétien catholique. C’est dommage pour Dadzie. Mais c’est un avertissement retentissant à ceux qui jouent une mi-temps dans chaque camp. L’église catholique n’est pas un club d’amis, mais une religion organisée, structurée. Si vous êtes membre, il faut vous soumettre à ses règles. Par souci de carrière, beaucoup de nos compatriotes ont choisi d’être francs-maçons. C’est leur droit. Qu’ils l’assument avec toutes les conséquences ».

Et il enfonce le clou : « Ce n’est pas aux francs-maçons de dire ce que l’archevêque doit faire. Pourquoi veulent-ils rester catholiques ? Pour préserver leur statut social ? Avec ce qui s’est passé, ils ont tous peur. Ils ont raison d’avoir peur, ces hypocrites. Ils n’ont pas à dicter à l’église sa conduite. Ils sont libres de quitter l’église, ils se croient tout puissants. Dadzie était un si grand bienfaiteur qu’il n’a pas pu recevoir les adieux de l’église. Ça devrait les interroger ».

Les rares prêtres interrogés sur la question et surtout l’incident nous ont renvoyé à des déclarations des évêques et à des textes. Ainsi dans une déclaration de la Conférence épiscopale du Togo (CET) en date du 25 mars 2011 (Message de la Conférence des Evêques du Togo sur la Franc-maçonnerie et autres sectes) on peut lire un extrait : « Selon des sources mal informées, la position de l’Eglise face à la franc-maçonnerie aurait changé après le Concile Vatican II. En réalité, depuis le 28 avril 1738, date à laquelle le Pape Clément XII a condamné la franc-maçonnerie, la position de l’Eglise n’a pas varié.

En effet, opératives et catholiques à l’époque médiévale, les loges sont devenues spéculatives au cours du XIIIe siècle. Fortement imprégnées par la pensée des lumières, elles se distancient de l’Eglise et se soucient très peu des condamnations papales, surtout en France. C’est au cours du XIXe siècle que le conflit entre l’Eglise et la franc-maçonnerie entre dans sa phase aiguë. L’influence de la théophilanthropie issue du culte de l’Etre Suprême créé par Robespierre finit par déboucher sur des essais de culte maçonnique dont l’objectif est le remplacement des religions par un culte universel nouveau dans une perspective déiste.

De décennie en décennie, les manifestations d’anticléricalisme se multiplient et, progressivement, la maçonnerie déiste française cède place au courant rationaliste laïc. Au début de la seconde moitié du XIXe siècle, en France et en Belgique, des maçons fondent la ligue de l’enseignement qui va devenir le fer de lance de la laïcité. Un peu partout, émerge l’idée d’une société nouvelle débarrassée des croyances religieuses. Ainsi, d’une part, le Code de Droit Canonique de 1983 ne cite plus nommément ni la franc-maçonnerie, ni aucune autre association du genre. Cependant, il condamne les associations dont les doctrines sont contraires ou incompatibles avec la foi chrétienne ». Pas sûr que le rappel de ces textes calme la colère des « frères de lumière » qui continuent d’accuser l’église d’hypocrisie.

L’Eglise catholique et la franc-maçonnerie : la grande hypocrisie

Le rappel des textes est une chose, mais la réalité dans l’Eglise en est une autre. Il est de notoriété publique que les francs-maçons sont à tous les rouages de l’église. Ils se retrouvent parmi les fidei-custos, les lecteurs, les comités de paroisse, bref dans tous les démembrements de l’église. Ils sont tous connus des prêtres et des évêques.

Ils prennent une part active à la messe aux cotés des prêtres et des évêques, vont à la table sainte sans que personne ne crie au scandale. Ils sont les plus grands bienfaiteurs de l’église, les parrains des prêtres et religieux. Ces derniers sont régulièrement à leurs domiciles en train de boire et manger. Ils offrent des maisons, des voitures et d’autres cadeaux aux prêtres et religieux. Ils offrent des billets d’avion à ceux qui se rendent en occident pour leur vacances.

Certaines femmes franc-maçonnes sont même des copines des prêtres. Si dans l’église on tient vraiment à la rigueur des textes, pourquoi ne met-on pas tout ce monde dehors ? Pourquoi continue-t-on de recevoir des dons et cadeaux de ces hommes et femmes? C’est un secret de Polichinelle qu’en Afrique, le syncrétisme religieux est une pratique courante.

L’incident autour des obsèques de l’ancien ministre Elom Emile Dadzie relance un débat aussi vieux que l’église et la franc-maçonnerie. Un débat sur fond d’hypocrisie et de non-dits marquera encore longtemps l’histoire entre les deux entités.

Source: Lalternative-togo.com

Source : Togoweb.net