Enfin la déclaration des biens au Togo ? C’est à cela que l’on tend manifestement, à en croire le compte rendu du conseil des ministres de mercredi. Il a été adopté à cette fin un projet de loi devant être introduit à l’Assemblée nationale et voté. Mais le plus grand défi reste l’application de ladite loi, et la déclaration de bonne foi des biens. Et ce n’est pas garanti, avec des gouvernants adeptes de l’obscurantisme et ayant bâti leurs fortunes sur les détournements de deniers publics et autres crimes économiques.
Vers le vote d’une loi portant déclaration des biens
La question a été au menu du conseil des ministres du mercredi 27 novembre qui a adopté quatre (4) projets de loi, trois (3) projets de décret, écouté deux (2) communications et abordé des divers. C’est le contenu du premier projet de loi fixant « les conditions de déclaration des biens et avoirs des hautes personnalités, des hauts fonctionnaires et autres agents publics ».
« L’adoption de ce projet de loi organique fixant les conditions de déclaration des biens et avoirs des hautes personnalités, des hauts fonctionnaires et autres agents publics renforce les diverses mesures législatives et réglementaires déjà prises dans le cadre de la prévention et de la lutte contre la corruption ainsi que de la promotion de la bonne gouvernance. On peut ainsi noter notamment la mise en place de plusieurs corps de contrôle, l’adoption du code des marchés publics ou encore du code d’éthique et de déontologie en matière de marchés publics et délégations de services. Il s’inscrit donc dans le cadre des efforts de l’Etat tendant à promouvoir la transparence dans l’exercice des fonctions publiques, à garantir l’intégrité et la probité des serviteurs de l’Etat et prévenir l’enrichissement illicite », rapporte le conseil des ministres.
« Le Togo a ratifié le Protocole de la CEDEAO du 21 décembre 2001 et de la Convention de l’Union africaine du 11 juillet 2003 sur la prévention et la lutte contre la corruption. Il devient nécessaire d’élargir la liste des personnes assujetties à l’obligation de déclaration des biens et avoirs pour prendre en compte tous les agents professionnellement exposés aux risques de corruption et d’infractions assimilées. La loi constitutionnelle n° 2019-003 du 15 mai 2019 portant modification de la Constitution du 14 octobre 1992 a prévu, non seulement de fixer, par une loi organique, les modalités de déclaration des biens et avoirs des hautes personnalités et des hauts fonctionnaires, mais aussi de généraliser la mesure et d’harmoniser la procédure. C’est l’objet du projet de loi organique qui fixe les conditions de déclaration des biens et avoirs des hautes personnalités, des hauts fonctionnaires et autres agents publics », lit-on par ailleurs dans le compte rendu.
L’adoption de ce projet de loi est une suite de l’annonce faite par Faure Gnassingbé au sujet de la déclaration des biens et la lutte contre la corruption, dans son discours du 27 avril dernier sur l’état de la Nation. « Le gouvernement est déterminé à poursuivre l’amélioration de la gouvernance, notamment en mettant, dans les mois qui viennent, un accent particulier sur la lutte contre la corruption. Un projet de loi organique sera soumis à l’Assemblée nationale pour déterminer les conditions de mise en œuvre de la déclaration des biens et avoirs prévue par la constitution », avait-il déclaré.
Le défi de l’application et de bonne foi
Ouf, devrait-on crier devant ce projet de loi adopté par le conseil des ministres. L’initiative mériterait peut-être une belle fête et les « gouvernailleurs » congratulés pour avoir osé franchir le pas. Le chemin pour y parvenir a été très long, semé d’embuches. Le pouvoir a fait de la résistance, beaucoup de résistance face à cette problématique de la déclaration des biens qui, pourtant, faut-il le rappeler, est une prescription de la Constitution togolaise en son article 145 qui stipule : « Le Président de la République, le Premier Ministre, les membres du gouvernement, le Président et les membres du bureau de l’Assemblée nationale et du Sénat et les directeurs des administrations centrales et des entreprises publiques doivent faire devant la Cour Suprême une déclaration de leurs biens et avoirs au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction. Une loi détermine les conditions de mise en œuvre de la présente disposition ». Mais depuis trois décennies, le pouvoir RPT/UNIR n’a rien fait pour rendre effective cette disposition pourtant nécessaire à la lutte contre la corruption et à la bonne gouvernance chantée par les gouvernants, particulièrement Faure Gnassingbé qui avait promis une gestion bien meilleure à celle de son feu père et ne cesse de chanter ce combat dans ses discours pour séduire les partenaires en développement. L’opposition et la société civile engagées ont beau rappeler cette obligation, leurs cris sont toujours tombés dans des oreilles de sourd.
Mieux vaut tard que jamais, dira-t-on. On doit se réjouir que le pouvoir ait, enfin, adopté ce projet de loi pour formaliser cette prescription de la Constitution. Mais avec les gouvernants en place, une chose est de voter un texte, une autre est de l’appliquer. C’est une lapalissade que le Togo dispose des meilleurs textes au monde, mais c’est leur application qui a toujours posé problème. Il faut donc déjà souhaiter que le projet de loi soit rapidement introduit à l’Assemblée de godillots et voté le plus tôt possible. Parce que le rythme à imprimer aux processus de vote est exclusivement l’apanage du pouvoir qui sait faire preuve de célérité sur les initiatives qui l’arrangent, mais traine les pas devant celles qui ne font pas ses affaires. L’application, et de bonne foi de cette déclaration des biens, sera le vrai défi. Le commun des Togolais sera curieux de savoir que ces membres de la minorité pilleuse, devenus milliardaires en un rien de temps, qui ont bâti toutes leurs fortunes sur les détournements des deniers publics et autres ressources nationales, disposent des villas un peu partout sur le territoire national, s’offrent des suites et autres palaces dans les capitales occidentales, ont des comptes bancaires un peu partout, même dans des paradis fiscaux pour brouiller les pistes, vont accepter faire de bonne foi des déclarations de leurs biens et avoirs mal acquis…
Connaissant les relations de fidélité des « gouvernailleurs » togolais avec les détournements des deniers publics, la corruption, les malversations et autres crimes économiques, il faut être naïf pour croire à une application de bonne foi de cette loi qui viendrait à être votée. On peut légitimement en douter quand on considère toute la résistance dont le régime a toujours fait montre devant cette problématique de la déclaration des biens. On se rappelle que pour aider le pouvoir en place, l’Alliance des démocrates pour le développement intégral (ADDI) avait introduit en novembre 2016 à l’Assemblée nationale, une proposition de loi dans ce sens. Mais elle n’avait pas prospéré. Autre paramètre, l’impunité traditionnelle garantie aux auteurs des détournements et autres crimes économiques. Même éclaboussés par des scandales, ces ministres, directeurs de sociétés d’Etat et autres cadres de l’administration, ont toujours bénéficié de la protection du sommet. Non seulement ils ne sont pas démis de leurs fonctions, mais en plus ils sont promus à des postes plus juteux. Illustration avec les ministres impliqués dans l’affaire du marché de la route Lomé-Vogan-Anfoin ; ils n’ont jamais été inquiétés et ne le seront peut-être jamais. Idem ces autres personnalités impliquées dans le scandale des fonds de la CAN 2017. Après la récente sortie de la HAPLUCIA annonçant avoir introduit ces dossiers à la justice, c’est le silence plat depuis plusieurs semaines et mois. Et on peut aisément comprendre. Ce sont des produits du pouvoir…
Tino Kossi
Source : Liberté
Source : Togoweb.net