En se sacrifiant à la tradition des vœux en janvier 2017, Faure Gnassingbé qui déclinait une série de sommets à organiser par son régime pour redorer son blason ne s’imaginait pas une fin d’année aussi tumultueuse. Les cinq derniers mois de l’année n’auront pas été un long fleuve tranquille pour l’indécrottable locataire du palais de la Marina qui rêve d’un bail à vie à la tête du pays. En s’offrant le 31 décembre 2016 un réveillon arrosé à son domicile privé avec un cercle d’amis privilégiés, de collaborateurs triés sur le volet, d’intimes élues d’un soir, le tout au rythme de la musique du plus célèbre des rockeurs togolais, celui qui avait oublié de s’adresser ce soir-là à son peuple, ne s’attendait pas à une année bien difficile pour lui et ses partisans.
Tout allait bien comme sur les roulettes jusqu’à au 19 août lorsque surgit de nulle part celui que personne n’attendait, un certain Tikpi Salifou Atchadam qui, en un seul jour à travers des manifestations monstres dans plusieurs villes et dans la diaspora, a secoué les piliers de l’imprenable citadelle de Lomé II.
Depuis donc cette date (19 août 2017, Ndlr), le vrai visage hideux du Togo longtemps dissimulé par le fils sous le manteau d’un régime fréquentable a été renvoyé à la face du monde entier. En quelques heures, le cosmétique vendu à travers le monde a cédé la place à la pièce originale, celle d’une dictature brutale faite d’assassinats, d’exactions sur les populations, d’expéditions punitives, de recours aux milices, etc. Le pays a basculé depuis dans un cycle infernal de violences avec son lot de morts, de réfugiés, de blessés, comme le régime Gnassingbé père et fils sait bien le faire. De ces manifestations du PNP le 19 août, est née une coalition de 14 partis politiques qui a redonné vie à une opposition qui était dans un coma profond. Le peuple a repris de l’espoir et toutes les villes sont en ébullition depuis cinq mois à travers des manifestations monstres qui exigent le retour à la Constitution de 1992, le vote de la diaspora ou à défaut le départ pur et simple du pouvoir de celui qui se définit comme « un homme simple ». La situation est devenue tellement préoccupante que les pays de la CEDEAO se mêlent à la danse, tout comme l’Union africaine à travers son président en exercice, le non moins controversé Alpha Condé qui offre ses bons offices.
Contestations en puissance et dialogue de sourds
Pour Faure Gnassingbé, président en exercice de la CEDEAO, les cinq derniers mois de l’année ont été un enfer, une série de revers diplomatiques pour son régime. L’annulation du sommet Afrique-Israël pompeusement en préparation a été le premier coup et le plus dur, suivie de celui de la Francophonie et enfin la délocalisation du sommet de la CEDEAO à Abuja au Nigeria. Une première pour un président en exercice. Lomé est devenue de moins en moins fréquentable. Il ne peut en être autrement pour un régime qui use de la violence gratuite et des milices contre une population qui ne désire que plus de liberté et surtout l’alternance au sommet de l’Etat. Mis à nu devant la communauté internationale et régionale, celui qui préside la CEDEAO se voit trimballer par ses pairs de la région qui aussi finissent par lui imposer l’idée d’un dialogue qu’il n’a jamais voulu.
De Niamey à Accra en passant par Abidjan et Lagos, il est demandé à Faure Gnassingbé d’ouvrir un dialogue avec son opposition, mieux, d’envisager une porte de sortie en 2020 pour éviter à la région une instabilité. Mais celui à qui le père a dit de ne jamais lâcher le pouvoir au risque de ne plus le retrouver, ne l’entend pas de cette oreille. En plus de la force brute dont il use et abuse sur le terrain pour réduire ses compatriotes au silence, il multiplie les initiatives en catimini auprès de certains chefs d’Etat pour desserrer l’étau autour de son régime. C’est dans cette perspective que de retour du sommet délocalisé de la CEDEAO à Abuja, il s’est fendu d’une interview négociée dans le journal aux vieilles méthodes de chantage appelé « Jeune Afrique » dans lequel non seulement il use de la provocation, mais aussi affirme être le seul maître de la situation, faisant passer certains leaders pour des jihadistes. Pour lui et ses porte-flingues, le dialogue se fera à ses conditions et sans médiateur. Une sortie scandaleuse perçue par ses adversaires et les populations comme une provocation. Les marches se sont non seulement intensifiées malgré les répressions des militaires, mais la coalition rassure de la continuité de la médiation de la CEDEAO.
Fortes turbulences en vue
Depuis cette sortie médiatique dans Jeune Afrique, le prince au royaume circonscrit de Lomé II s’offre une bouffée d’air. Pendant que ses compatriotes continuent d’occuper les rues et subir la brutalité des militaires, pendant que les fonctionnaires font le siège des banques pour espérer un hypothétique salaire, « l’homme simple» comme si de rien n’était se serait offert en fin d’année quelques jours de villégiatures à Dubaï avec une de ses intimes et son beau-père. Il n’est rentré qu’en fin de semaine, passant outre la tradition des vœux du 31 décembre. Faut-il le rappeler, le fils du père a une appréhension particulière du calendrier grégorien et c’est selon ses humeurs qu’il s’adresse à son peuple.
Si Faure Gnassingbé continue de narguer tant les Togolais, de refuser toute initiative sérieuse de dialogue malgré le fait qu’il ait perdu toute légitimité à l’intérieur et toute crédibilité à l’extérieur, c’est qu’il compte sur les « sécurocrates » de son système qui continuent d’instrumentaliser l’armée pour la conservation du pouvoir. Mais jusqu’à quand ce dilatoire va-t-il durer ?
L’entêtement du rejeton d’Eyadéma dans son discours du 3 janvier à banaliser non seulement les demandes des populations, mais aussi à annoncer son passage en force par le référendum, n’augure rien de bon. La détermination des populations à continuer les manifestations dans le pays et la répression sanglante qui s’en suit vont basculer le pays dans un cycle de violences aux conséquences dramatiques. La nouvelle année sera à l’image des derniers mois de l’ancienne. L’armée est-elle finalement devenue l’obstacle majeur à l’alternance au Togo ? Certainement. L’armée est perçue comme une partie du problème, sinon le problème, et elle fera indéniablement partie de la solution. Toute solution en dehors d’elle sera vouée à l’échec.
A l’image du processus de transition au Burkina Faso, et comme à l’approche de la crise gambienne, un régime toujours sous protection de l’armée sénégalaise, il appartient à l’opposition, au-delà des discours, des distributions de fleurs aux gendarmes, de regarder la réalité en face et de proposer une offre politique intégrant les paramètres majeurs de préservation de la stabilité du pays. Déclencher un mouvement de contestation est une chose que l’opposition réussit bien; mais elle bute souvent sur la construction d’une offre politique crédible. Tout le défi à relever pour tourner la page de ce régime est là. Pourvu que certains acteurs politiques sortent de leur cocon, de leur égo légendaire pour comprendre cette problématique et libérer ce peuple qui a tout donné pour sa liberté.
Source : www.icilome.com