Le Tramadol, un puissant antalgique, est de plus en plus consommé par des conducteurs de taxi-motos togolais, couramment appelés Zemidjans, pour disent-ils, supporter leurs journées harassantes. Reportage!
Après plusieurs sollicitations, (non d’emprunt), un monsieur de 1m93 et de 100 kg, conducteur de taxi-moto depuis une dizaine d’années, accepte finalement de nous plonger dans le monde des consommateurs du Tramadol. Levons toute ambiguïté dès le départ. Ici il n’est pas question de ce médicament prescrit par le médecin contre les douleurs de dos ou d’articulation et dont le patient doit se procurer à la pharmacie; mais celui d’origine douteuse dont les consommateurs, particulièrement les Zemidjans, ignorent tout.
Rendez-vous est pris dans une buvette à côté de l’hôtel Eda-Oba. Tout commence pour notre ‘’guide’’ lorsque dans l’incapacité, nous dit-il, d’honorer son engagement vis-à-vis du propriétaire de sa moto (les deux sont liés par un contrat dénommé work and pay), il s’est adonné à la consommation du Tramadol désigné dans leur jargon Travailler, Manger et Dormir ou encore le « giga ». Pris avec une petite tasse de thé sans sucre, il vous « blinde », confie-t-il. « Je peux travailler 24h sur 24 sans sentir la fatigue. Il vous donne de l’énergie pour affronter tout. Lorsque vous le prenez, vous vous sentez tellement fort que vous ne reculez devant rien », décrit-t-il. Comme notre source, ils sont nombreux, ces conducteurs de taxi-moto qui prennent ce médicament trouvable sur le marché informel donc d’origine douteuse; mais notre interlocuteur dit avoir arrêté d’en prendre il y a trois ou quatre ans.
La consommation de cette dérivée de la morphine prescrite normalement aux malades de dos, d’articulation ou se remettant d’une opération chirurgicale prend de l’ampleur, particulièrement dans les rangs des Zemidjans. Kodjo Sovon, rencontré au marché de Nukafu, avoue en consommer tous les jours. « Si je n’en prends pas, je ne peux pas conduire », précise-t-il. Il ajoute qu’il n’est pas gêné de dire publiquement ce que beaucoup de ses camarades préfèrent taire. Il cite plusieurs endroits à Lomé où il est facile de trouver le «giga» sans problème.
Vita, lui, va jusqu’à faire le portrait-robot de ses collèges consommateurs. « Lorsque vous voyez des conducteurs en jean et habit très serrés se regrouper entre 10, 15, 20 voire plus autour d’un vendeur de café dans un endroit régulièrement, il faut savoir qu’ils en consomment. Avant ils achètent le café chez les vendeurs ambulants nigérians et y versent le Tramadol en gélule. Aujourd’hui des cafétérias même en servent discrètement sur des codes », révèle-t-il.
Toutes les revendeuses informelles de la « cocaïne des pauvres » que nous avons sollicitées pour nous en procurer ont déclaré ne pas en vendre. Selon les informations, elles n’écoulent leurs produits sur le marché qu’à leurs clients fidèles ou à ceux qu’elles identifient être conducteurs de taxi-moto. Raison, officiellement, les autorités compétentes les traquent.
La dizaine de Zemidjans consommateurs que nous avons pu interroger sont unanimes à confier qu’ils oublient leurs soucis en étant sous l’emprise du médicament illégal. « Lorsque tu le prends, tu n’as plus envie de manger, tu n’as même plus faim pendant la journée », enchaîne un qui a requis l’anonymat. Et son camarade qui affirme l’avoir déjà pris deux fois ce jour-là renchérit : «Sans Travailler, Manger et Dormir, beaucoup d’entre nous ne peuvent pas circuler sous le soleil ardent de chaque jour».
Conséquences…
Les interrogés reconnaissent qu’une fois le Tramadol pris, ils ressentent après, des maux de tête, des douleurs musculaires, surtout le lendemain. A la longue, « les consommateurs ont des problèmes de virilité », ajoute Vita. Les médecins, eux, expliquent que le «giga» bloque le foie, crée l’insuffisance rénale…
Les consommateurs de cette substance qui fait perdre la tête s’exposent à des maladies sexuellement transmissibles (MST) et aux accidents de circulation. Ils sont portés sur la violence, le vol, le braquage, entre autres, énumère notre source principale.
Tout porte à croire que les Zemidjans ne sont pas les seuls qui à s’adonner à la prise de ce médicament d’origine informelle. Selon leurs dires, certains qui font des travaux difficiles en raffolent.
Le Tramadol de contrebande provient d’Asie et inonde le continent, surtout l’ouest africain, selon un rapport de l’Organe international de contrôle des stupéfiants, une agence de l’ONU, publié en 2015. Le même document informe qu’en 2012, entre février et octobre, plus de 132 tonnes sont saisies au Bénin, au Ghana, au Sénégal et au Togo. Dans notre pays, les services de répression du trafic illicite des drogues et du blanchiment ont saisi en 2013, à Dékon (un carrefour commercial de Lomé) 65,5 kg de Tramadol chez un commerçant nigérien.
L’Association Recherche Action Prévention Accompagnement des Addictions (RAPAA) suit de près l’ampleur de la consommation de cette substance additive. Parmi la soixantaine de patients qui viennent suivre, dans son centre, les séances de psychothérapie, figurent ceux qui sont devenus dépendants du Tramadol. Selon la présidente de l’Association Catherine Cormont Touré, « c’est une question de santé publique, de santé mentale ». Elle promet que son association compte dans les tout prochains jours réaliser une enquête sur la problématique afin de disposer des statistiques fiables. Le meilleur moyen pour lutter contre ce fléau reste, insiste-t-elle, la sensibilisation.
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