Les Gnassingbé peuvent-ils échapper à la fêlure ? (Suite) : de Modibo Keita à Nelson Mandela

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Si je ne cherchais pas à éviter la longueur de mon sous-titre, j’aurais écrit : de Modiba Keita à Nelson Mandela, en passant par Lumumba, Nasser, Sékou Touré, Félix Mounié, Nkrumah, Olympio, Sankara, Gbagbo, sans oublier Kadhafi…tous ces grands Africains qui avaient une vision de l’Afrique indépendante, mais avaient rencontré sur leur chemin l’impérialisme occidental, l’impérialisme français surtout, qui les avait brisés net dans leur élan.

Deux faits majeurs, ces derniers temps, nous interpellent, interrogent notre conscience africaine : la déclaration de candidature pour un troisième mandat de Alassane Ouattara, et le coup d’État au mali, ce dernier événement, le plus récent, et qui retient tout particulièrement notre attention, s’est produit le 18 août 2020. La question qui me vient est: le retour de la Fédération du Mali est-il possible ?

Utopie, dira-t-on. Je pourrais en convenir. Cependant, puisque c’est au Mali que cela se passe, du Mali que nous commence cette révolution à laquelle aspirent plusieurs peuples ouest-africains, au Mali que le peuple a su dire non à un régime qu’il ne supportait plus, avec succès ( après l’épisode du Burkina Faso que nous sommes en train d’oublier ), au Mali que les populations ont eu raison des institutions qui avaient jusque-là la prétention d’être des forces qui pouvaient dicter leurs lois à l’ensemble de millions d’Africains qui n’aspirent qu’à prendre en main leurs propre destinées…et bien, nous allons évoquer cette réalité de l’histoire africaine qui, quoi que l’on dise, quoi que l’on fasse, aujourd’hui ou demain, a existé et peut ressurgir, peut-être en plus durable : la Fédération du Mali, ou mieux, la Fédération des Peuples du Mali.

Sous l’intertitre L’éclatement de la Fédération du Mali, Pascal Airault et Jean-Pierre Bat écrivent :

« La crise qui explose entre Dakar et Bamako à l’été 1960, clôt une expérience qui aurait pu changer la face de l’Afrique de l’Ouest. L’échec précipité de la fédération mort-née du Mali n’est pas uniquement l’épilogue de quelques semaines de crise en août 1960. Avec elles, triomphent les conceptions de l’ordre régional de Houphouët-Boigny, le meilleur allié de Foccart, le Monsieur Afrique de l’Élysée. L’histoire commence au crépuscule de la IV République, morte de ne pas avoir su réformer le système colonial ».

C’est à un écrivain français moderne, Jean d’Ormesson que nous devons la description la plus proche de la réalité du caractère, du comportement et des actes du tyran africain, en particulier de la Françafrique, dans le fond détesté par son peuple et servile envers ses maîtres extérieurs. Jean d’Ormesson parle d’Hérode, roi de la Judée sous l’Empire romain :

Des travaux immenses avaient été entrepris par Hérode qui était monté grâce aux Romains sur le trône de Jérusalem et que beaucoup de Juifs n’aimaient pas parce qu’il collaborait avec l’Empire. Il professait, bien sûr, la religion de Moise, mais c’était un Iduméen et, aux yeux de la plupart, un opportuniste et un traître. Il avait été un ami de Marc Antoine à qui il devait tout et, tout de suite après la bataille d’Actium, où Antoine et Cléopâtre avaient été écrasés par Octave, il s’était rallié au vainqueur en train de devenir l’empereur Auguste. Pour se maintenir au pouvoir, il avait fait périr son beau-père, son beau-frère et, en fin de compte, sa femme elle-même. Il s’était marié dix fois. C’était un prince sans foi ni loi et sa cruauté, sa tyrannie, sa servilité envers l’occupant l’avaient fait haïr et mépriser. Comme beaucoup de tyrans, il avait construit des théâtres, des gymnases, des monuments innombrables qui l’avaient fait passer auprès des prêtres et des Juifs pieux pour un païen hellénisé. Sur l’emplacement d’une cité grecque, il avait fondé une ville sur la mer qu’il avait baptisée Césarée pour se faire bien voir des Romains. Mais ce collaborateur détesté venait de reconstruire aussi, en plus grand et plus beau, le Temple de Salomon.

J’ai pris cette citation un peu longue, parce que je compte y puiser largement les éléments de ma réflexion. En quoi pouvons-nous comparer le personnage et la gestion du pouvoir d’Hérode avec ceux de beaucoup de nos chefs d’État africains, surtout ouest-africains d’aujourd’hui ?

L’accession au pouvoir. D’après Jean d’Ormesson, c’est grâce aux Romains qu’Hérode, cet Iduméen, est devenu roi à Jérusalem. Les Iduméens sont, bien sûr, un peuple sémitique, mais descendants d’Édom, père d’Ésaü ; ils n’appartiennent donc pas à l’une des tribus d’Israël, donc pas à la lignée royale de David. Loin de moi l’idée de faire une quelconque discrimination basée sur les origines de ceux qui règnent sur nos différents pays. Le problème d’Hérode, « client et ami de Rome,… roi par la volonté de l’Urbs », était qu’il devait faire de la Judée, la vitrine de l’Empire, un peu comme les hommes mis au pouvoir par l’Occident dans nos pays ne s’inquiètent pas de répondre aux vraies aspirations de nos peuples, l’essentiel pour eux étant de propager le modèle de modernité de la puissance ou des puissances qui les soutiennent. S’étonnerait-on alors de voir les réalisations de façade (rues, places, ponts, monuments…) de ces hommes qui, en fait ne servent pas leurs peuples mais qui portent la marque, parfois même les noms de leurs maîtres et protecteurs ? Ces hommes, nous ne leur en voulons pas en tenant compte des pays africains dont ils sont originaires comme les Juifs qui détestaient Hérode à cause de son origine. Panafricains avant tout, nous sommes venus d’horizons divers et dans la mesure où la volonté d’exister en commun nous habite et nous motive, nous devons nous accepter et entreprendre de construire une même nation et par-delà les États, des idées de regroupement et, pourquoi pas, de retour aux grands empires puissants d’avant la colonisation. Cela constitue un idéal à atteindre. C’étaient des idées qui avaient prévalu à la naissance de la Fédération du Mali, initialement souhaitée par certains des pères de l’indépendance qui avaient pour ambition de créer un ensemble s’étendant du Sénégal au Dahomey en passant par le Soudan ( actuel Mali), la Guinée, le Niger, la Haute Volta ( actuel Burkina Faso.

La Fédération du Mali s’est d’abord réduite à deux anciens territoires, le Sénégal et le Soudan français.
« La Fédération du Mali, devenue peau de chagrin, poursuit sa route et se dote d’un gouvernement en avril 1959 : Modibo Keita est président et est assisté d’un vice-Président, le Sénégalais Mamadou Dia. Senghor est nommé Président de l’Assemblé Nationale… », lit-on dans Françafrique.

C’est la question de légitimité du pouvoir qui se pose ici. Et surtout celle de la désignation des dirigeants des pays africains, ceux des pays francophones, par certains chefs d’États africains « amis de la France », cooptés par la France.

Les figures actualisées d’Hérode dans la Françafrique sont faciles à discerner : cruels envers leurs peuples qui le leur rendent bien par la détestation, ces dirigeants ( Gnassingbé, Ouattara, Habré et autres ) n’ont, pour se maintenir en place, le choix, que de chercher par tous les moyens à plaire à leur protecteur impérial, extérieur, à qui il doivent largement leur pouvoir : l’Élysée. Il faut voir toutes les contorsions, les plus comiques, les plus humiliantes pour un chef d’État, auxquelles s’est livré Ouattara, à Paris après sa déclaration de candidature à un troisième mandat.

L’ombre de Houphouët-Boigny plane. Déjà, à l’automne 1958, il a obtenu que le Niger ne participe pas au projet ( de la Fédération du Mali ) grâce à la défaite de Djibo Bakary et à la victoire de Hamani Diori, chef de la section RDA nigérienne. En septembre 1958, Ouezin Coulibaly, leader du RDA voltaïque, décède : quoiqu’il fût très proche de Houphouët-Boigny, il n’était pas insensible aux thèses fédéralistes. Maurice Yaméogo est désigné par Houphouët-Boigny pour lui succéder. Houphouët-Boigny a pu compter sur Huber Maga, chef de la section dahoméenne du RDA.

Ce qui est important ici, c’est d’abord l’ombre de Houphouët-Boigny, l’homme sur lequel reposait le réseau français de Foccart dont l’objectif est de maintenir les anciennes colonies françaises dans le giron de la France, que ce soit par la mise en application de la loi cadre de Gaston Defferre, que ce soit avec le triomphe du « oui » au référendum sur la Communauté proposé par de Gaulle. Dans tous les cas, il s’agissait de tout faire pour que les anciennes colonies françaises ne deviennent jamais réellement indépendantes sur les plans économique, financier, culturel, éducationnel, militaire. Or, l’indépendance totale et vraie était la vision des hommes comme Modibo Keita et Sékou Touré. Une indépendance qui ne soit que de pure forme comme le souhaitait la France.

C’est pourquoi, à partir du moment où le gouvernement français pouvait compter sur un homme comme Houphouët-Boigny pour désigner, non seulement les chefs des sections du RDA, mais aussi et surtout, d’une manière ou d’une autre, les chefs des gouvernements des colonies à leur accession à l’ « indépendance », le gouvernement français pouvait être tranquille. Quant aux « trouble-fête », il fallait les éliminer. Ce fut le cas de Sékou Touré, de Modibo Keita et même en un sens de Mamadou Dia qui dénonçait les manœuvres de la France à la frontière entre le Sénégal et la Guinée et à qui les Français ont préféré l’agrégé de grammaire, le très francophile Léopold Cedar Senghor, comme Président de la République du Sénégal.

En mai et juin 1960, Mamadou Dia n’hésite pas à dénoncer les agissements des services secrets français à la frontière sénégalo-guinéenne. Le service Action du Service de Documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) y entretient depuis 1959 une opération de déstabilisation de la Guinée à la suite de son « non » : l’opération Persil.

Suis-je en train de faire de l’histoire, en train de chercher à lier le passé, assez récent, au présent ?

Le parti ivoirien qui aujourd’hui se réclame de l’héritage de Houphouët-Boigny, et surtout son leader ne croient pas si bien choisir leur orientation politique régionale : il s’agit, après Houphouët, de rassurer la France que l’on assume sa présence, ses intérêts…en Afrique, en particulier en Afrique de l’Ouest, que l’on est capable de jouer le rôle qu’y avait joué Houphouët et que par conséquent, jamais les peuples africains ne pourraient s’émanciper et se développer en dehors du giron de la France. Tel est le rôle du personnage d’Alassane Dramane Ouattara.

Du reste, quelques questions nous permettront d’expliquer les situations que nos pays et nos peuples vivent aujourd’hui et qui ne sont pas différentes de celles que les colonies françaises avaient vécues peu avant les « indépendances » et dans les années qui les ont suivies :

est-il étonnant que de toutes les colonies françaises d’Afrique au Sud du Sahara, seule la Guinée de Sékou Touré ait répondu « Non » au référendum sur la Communauté franco-africaine proposée par de Gaulle ? Et si cela n’est pas étonnant, pouvait-on attendre un autre type de réaction de la part de la CEDEAO que ses tractations de l’heure, concernant le Mali, laquelle CEDEAO représente aujourd’hui ce que fut hier, presque, l’ensemble des colonies où le « Oui », fortement défendu par Houphouët-Boigny et son RDA avait triomphé ? Il n’y avait pas plus d’arguments rationnels, en 1958, pour nos dirigeants d’appeler les peuples à voter « oui » à de Gaulle, qu’il n’y en a aujourd’hui à s’agiter pour imposer au peuple malien le maintien au pouvoir d’IBK ou son remplacement par des hommes favorables à l’Occident, en particulier à la France. On aura beau évoquer les raisons de stabilité du Mali et des autres pays de la sous-région, de respect des institutions, de la démocratie…tous ces discours que nous connaissons et qui, en fait, n’ont qu’un but : maintenir un statu quo qui permette la conservation des intérêts des pays occidentaux, de la France tout particulièrement. Il ne faut surtout pas que des pays comme la Russie ou la Turquie viennent se mêler des affaires de l’Occident en Afrique de l’Ouest. On oublie, ou on veut nous faire oublier que c’est pour ces mêmes intérêts occidentaux qu’avant les « indépendances » et aussitôt après la proclamation des celles-ci, les mêmes pays occidentaux, avaient usé de tous les moyens pour déstabiliser les nouveaux États qui avaient affiché leur volonté d’être réellement indépendants.

Que l’on se rappelle les « agissements » des services secrets de la France à la frontière sénégalo-guinéenne que dénonçait Modibo Keita, alors Président de la Fédération du Mali, en mai et juin 1960. Que l’on pense, concernant la même Guinée, à l’opération « Mar Verde » à Conakry, débarquement d’un commando portugais, dans le but de déstabiliser le régime de Sékou Touré, parce que celui-ci avait osé dire « non » à de Gaulle, avait frappé monnaie, avait soutenu les indépendantistes et le leader charismatique du PAIGC, Amilcar Cabral…

Dimanche 22 novembre 1970, 2 heures du matin, au large de Conakry. Six bateaux de couleur grise sans immatriculation, mouillent près des côtes de la capitale guinéenne par une nuit de pleine lune. À leur bord, les chefs politiques d’un gouvernement provisoire (guinéen) et quelques quatre cents hommes puissamment armés…
Ces six bateaux sont portugais, sous le commandement d’un officier portugais, avec pour objectif prioritaire la libération de soldats portugais, prisonniers de l’armée bissau-guinéenne et incarcérés à Conakry. Avec sûrement la bénédiction de Paris.

L’intérêt de cette opération est:

  • pour le Portugal, libérer ses ressortissants faits prisonniers par les indépendantistes du PAIGC
  • pour Paris, continuer à infliger des échecs cuisants au régime de Conakry pour le punir de son « Non » au référendum de De Gaulle,
  • et pour tout l’Occident, exercer des représailles contre Sékou Touré à cause de son rapprochement des pays de l’Est, exemple qui pourrait faire tache d’huile dans les pays de la sous-région, surtout dans les anciennes colonies françaises, ce que la France n’accepterait pas.

Et maintenant, ne trouverez-vous pas une analogie entre ce coup de de déstabilisation de la Guinée par une puissance étrangère, avec la complicité des chefs politiques d’opposition guinéenne, et un autre fait, cette fois-ci en Côte d’Ivoire, le 11 avril 2011 ?

Je voudrais parler de ce qu’il est convenu d’appeler La chute de Laurent Gbagbo ( ainsi sous-titré dans l’ouvrage de Pascal Airault et Jean-Pierre Bat, déjà cité. )

Ici, dans le rôle des autorités portugaises, nous avons l’Élysée et son chef, Nicolas Sarkozy. Près de lui, à Paris, son conseiller diplomatique nommé Jean-David Levitte. Sur place, en Côte d’Ivoire, l’ambassadeur français Jean-Marc Simon, sans oublier le général français Jean-Pierre Pelasset, patron de la force Licorne qui soutenait déjà les rebelles, dont le rôle est ni plus ni moins identique à celui qu’avait joué le commandant des commandos portugais. Équivalent aux quatre cents soldats portugais que transportaient les six bateaux dans l’opération « Mar Verde », les militaires français partis de leur camp de Port-Bouët qui vont ouvrir la voie aux anciens rebelles de Ouattara et de Soro regroupés dans ce qu’ils appelaient les FRCI, connaissant encore mal le terrain à Abidjan, surtout le quartier Cocody qu’ils étaient partis pour conquérir. Bien sûr, dans les circonstances actuelles, l’homme à abattre, c’était Laurent Gbagbo, pour installer à sa place Ouattara, comme dans le cas de « Mar Verde », où il s’agissait de mettre fin au régime de Sékou Touré pour le remplacer par des hommes plus favorables à la France et à l’Occident, l’ancien syndicaliste devenu homme politique, David Soumah (résidant à Dakar) et le commandant Thierno Diallo, réfugié en France, tous deux opposants à Sékou Touré.
Abattre Gbagbo et mettre à sa place Ouattara, par tous les moyens, pour servir un but : « la France est entrée dans une logique néoconservatrice, voire messianique…Ouattara était le bien, Gbagbo le mal ».

Bien entendu, c’est à l’aune de l’Occident que se déterminent le bien et le mal.

La phrase-clé de l’article, prononcée par le conseiller diplomatique de Sarkozy, Jean-David Levitte est : « Si on ne leur donne pas un coup de pouce, ils n’y arriveront pas ».

Il ne serait pas sans intérêt, avant d’aller plus loin, de faire une petite analyse grammaticale de ce « On », pronom personnel indéterminé, ce qu’il englobe, ou ceux qu’il englobe. Sans conteste, vient en premier lieu le président de la République française d’alors, Nicola Sarkozy. Avant de revenir sur ce personnage, je citerai les autres comparses contenus dans ce « On ». Ce Jean-David Levitte, le « Je », sujet de la phrase-clé, était en conversation avec un « Tu » ou un « Vous », du nom de Jean-Marc Simon, ambassadeur de France en Côte d’Ivoire, voisin au quartier Cocody du Président Laurent Gbagbo. Voisin et ennemi, pour être plus précis. Dans le « On », il faut inclure le Secrétaire Général de l’ONU, Ban Ki-moon et le chef des opérations de maintien de la paix, le Français Alain Le Roy.

Et Nicolas Sarkozy appelle très souvent Ouattara pour faire le point.
Paris fait le lien avec l’Union européenne et l’ONU, tente de négocier le ralliement des officiers de Gbagbo (sans succès) à Ouattara…

Sur place, les hommes du GIGN et des soldats parachutistes sont envoyés…

Tout ce monde, auquel il faut ajouter Hillary Clinton, alors Secrétaire d’État américaine aux Affaires étrangères, qui promettait un poste dans une université américaine à Gbagbo s’il quittait volontairement le pouvoir, fait partie du « On » de même que les responsables de Bercy, de l’Agence française de Développement (AFD ), du Quai d’Orsay, de la DGSE, du ministère français de la Défense, sans négliger les forces spéciales burkinabé prêtées par Blaise Compaoré.

Après le « On », posons-nous la question suivante : qui sont ceux qui n’y arriveront pas ( à déloger Gbagbo ) s’ils ne reçoivent pas un coup de pouce de « On » ? Les auteurs de l’ouvrage consulté expliquent :

Cela fait plusieurs jours que les Forces républicaines de Côte d’Ivoire ( FRCI, composées majoritairement d’ex-rebelles pro-Ouattara ) tentent de prendre Cocody.

Il s’agit donc des FRCI, c’est-à-dire de ceux qui, plusieurs années durant, sous le commandement conjoint de Ouattara et de Soro, ont cherché à prendre le pouvoir à Abidjan, en déclenchant une rébellion armée, non sans la bénédiction, plus concrètement sans l’appui logistique et financier de la France. Inutile donc après ces considérations de dire qui avait intérêt au déclenchement de la rébellion armée et qui, dans la même logique, a intérêt à faire quitter le pouvoir à Gbagbo, pour le remplacer par Ouattara…ou Soro.

Disons tout de suite que ce qui s’est joué en Côte d’Ivoire et ce qui s’y joue encore ( on pourrait dire la même chose du Togo et d’autres pays africains, surtout francophones ), n’a rien à voir, en dépit du discours, avec la démocratie, les élections, rien à voir avec le sort des populations, leur bien-être etc. Il s’agit de prendre le pouvoir pour le pouvoir. Rien de plus. Les voies et moyens par lesquels on passe pour l’avoir sont sans importance. Ici, nous ne pouvons pas passer sous silence ceux qu’on appelle « Les microbes », ce corps spécial de jeunes issus de milieux pauvres, désœuvrés, déscolarisés, drogués, à qui les chefs de la rébellion avaient remis des armes de toutes sortes, blanches ou á feu, pour commettre toutes les atrocités sur les populations hostiles.

Disons un mot de la rébellion car elle explique largement la prise de pouvoir de Ouattara. Guillaume Soro, surtout après sa rupture avec Ouattara et voulant se présenter comme un présidentiable bon teint a toujours quelque mal à faire oublier les actes d’homme violent, de l’ex-chef rebelle, peut-être assoiffé de pouvoir que beaucoup de gens lui connaissent et lui collent encore à la peau, prêchant partout le pardon et la réconciliation, l’unité nationale, en bon politicien qui se respecte. C’est bien beau !

Dans une interview accordée à Afriquemédia le 27 septembre 2020, Soro tente de justifier la rébellion et même de l’anoblir, voulant s’identifier aux révolutionnaires les plus célèbres du monde comme Che Guevara et même à « l’homme révolté » de Camus. Dans sa définition de la notion, il oublie de dire que le mot a d’abord pour racine latine « bellum » qui signifie guerre. Je doute fort que la révolte métaphysique de Camus ( attitude de l’esprit, répétons-le s’il le faut ) ait quelque rapport que ce soit avec la rébellion violente et meurtrière de Guillaume Soro. C’est, qu’ils l’avouent ou non, une véritable guerre que les rebelles de Bouaké ont livré à leurs concitoyens. Une spectatrice, Madame Yao, une compatriote qui n’a pas encore fait le deuil des victimes des atrocités commises par les hommes de Ouattara et de Soro, lui rappelle ce qu’elle considère comme les vraies raisons, selon elle, de sa rupture avec l’actuel chef de l’État ivoirien. Un malentendu sur la chronologie des événements ( que Soro semble mieux connaître que Madame Yao ) permet au rebelle d’hier de sortir ses griffes, réagissant avec agressivité, pour la traiter d’impolie, de menteuse, de personne qui tient des propos de haine. Ce qui aurait été idéal, c’est que Madame Yao et M. Soro, à la place de ce spectacle lamentable eussent eu un échange démocratique serein pour éclairer les téléspectateurs. Sur ce plan, n’étions-nous pas en droit d’attendre plus des hommes qui nous promettent la démocratie en Afrique ? On peut imaginer Soro dans le fauteuil présidentiel à la place de Ouattara !

Revenons au « On ». Nous sommes, avec ce « On », en réalité dans un monde de brutalité, d’une brutalité qui culmine à la barbarie, selon le sens que donne Cheikh Anta Diop à cette notion dans son brillant ouvrage scientifique, Civilisation ou barbarie.

Et le chef du « On », chef donc de la barbarie personnifiée qui se couvre d’un manteau de démocratie, mieux de défenseur de la démocratie dans le monde ( prétend-il ), s’appelle Nicolas Sarkozy.

À Paris, l’Élysée donne l’ordre de déclencher l’opération terrestre. L’amiral Edouard Guillaud, chef d’état-major des armées, a obtenu l’accord de Nicolas Sarkozy deux jours avant, tout en lui confiant les risques de pertes sérieuses. Cependant, il faut en finir. Gbagbo résistant, assiégé, gagne des sympathies.

A 4 heures 45, les militaires français sortent de leur camp… En tête, les chars Sagaie.

C’est un disciple de Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga, qui parle mieux du caractère brutal et barbare de ce Sarkozy, qui est à rattacher à une tradition idéologique de l’africanisme eurocentriste dans laquelle on trouve en bonne place Montesquieu ( 1689-1755 ), Voltaire ( 1694-1778), Hume ( 1711-1776 ), Kant ( 1724-1804 ), Hegel ( 1770-1831 ) …Pour ce dernier :

Le nègre ( der Neger ) est bien à sa place en tant qu’être humain naturel ( natürlischen Menschen ) et rude par décret idéologique et raciste

Bien entendu, je me suis joyeusement moqué de cette prétendue idéologie dans l’une de mes pièces, écrite alors que j’étais encore étudiant, On joue la comédie, en 1970. On peut y entendre un Conférencier arrogant et suffisant, défendant la politique de l’apartheid, déclamer :

Nous sommes des êtres raisonnables. Nous connaissons bien les grands principes humanitaires selon lesquels tous les hommes sont nés égaux. Mais il ne faut pas confondre l’égalité des races, qui est un des principes fondamentaux de notre civilisation, avec cette espèce de promiscuité raciale que réclament nos frères des tribus indigènes. Un nègre est un nègre. Même s’il est un homme comme les autres, il ne possède et ne possèdera jamais les mêmes capacités intellectuelles, le même niveau d’évolution, les mêmes aptitudes à maîtriser la nature au moyen de la science comme le Blanc l’a fait. Et quant au principe du droit de vote qui est directement lié à nos principes très élevés de la démocratie, jugez-en vous-mêmes. Combien de tribus primitives ont connu la démocratie avant le contact avec l’Occident ? Combien, je vous le demande, de ces nègres, analphabètes et ignorants qu’ils sont, sont capables de lire ce qui est écrit sur un bulletin de vote ? Vous qui êtes chrétien et connaissez bien la Bible, rappelez-vous ce qu’a dit notre Seigneur Jésus Christ : on ne jette pas des perles aux pourceaux. La démocratie entre les mains de ces nègres, ressemblerait à des perles jetées devant des pourceaux…

Sans fausse modestie, le jeune étudiant que j’étais avait ironisé sur le grand discours du grand Président français, trente-sept ans avant que ce discours fût écrit par son grand conseiller Henri Gaino. Évidemment, la conception caricaturale de la démocratie « à l’africaine » qui fait l’actualité dans un certain nombre de pays, francophones surtout, avec la fameuse question du troisième mandat dont la motivation essentielle est ce que Calixte Beyala désigne sous la belle expression humoristique à allure d’oxymore de « Président démocratiquement élu à vie ».

Sarkozy était parfaitement dans la logique du conférencier de l’apartheid quand il envoyait l’armée française régler un contentieux électoral en faveur du candidat de son choix : Ouattara. Les bulletins de vote ( que Gbagbo demandait de recompter ) n’ont aucun sens pour les nègres.

Violent et brutal dans le verbe, comme lors de son fameux discours à Dakar, ou dans l’acte comme dans son intervention pour déloger Gbagbo de son palais présidentiel et installer à sa place Ouattara, l’homme qui, si les circonstances le lui permettaient, aurait nettoyé au karcher certaines communes de France majoritairement habitées par des émigrés d’origine africaines ( au goût de Sarkozy trop sales ), trouve bien son terrain de prédilection en Côte d’Ivoire et en Libye. Et s’en donne à cœur joie. Et nos nègres ( on dit « de service » ) que sont Ouattara et Soro ne le savaient pas. Bédié se trouvait aussi avec eux au Golf Hôtel d’Abidjan. L’essentiel était que Sarkozy leur livre Gbagbo, vivant.

La notion sur laquelle je voudrais insister, c’est celle de « risques de pertes sérieuses » dont l’amiral Guillaud avait prévenu Sarkozy, deux jours avant le déclenchement des opérations. Des risques de pertes sérieuses existaient et étaient connus de tous ceux qui avaient fait et encouragé la rébellion armée en Côte d’Ivoire, qu’ils fussent Français, Ivoiriens, Burkinabé ou hommes et femmes d’autres nationalités. Telle est la politique. Et si cette politique-là n’était qu’une forme de perversion du genre humain, un crétinisme, comme l’aurait qualifiée Ionesco, ou son confrère Caragiale ?

Les héros de Caragiale sont fous de politique. Ce sont des crétins politiciens…Les journaux sont l’aliment de toute la population : écrits par des idiots, ils sont lus par d’autres idiots…

Ayant bien observé Nicolas Sarkozy faisant son discours de Dakar, Zohra Bouchentouf-Siagh n’a pas eu beaucoup de peine à reconnaître ce qu’il est en réalité :

Tout compte fait, en dehors de son hypocrisie, s’il fallait retenir quoi que ce soit de cette allocution, c’est sa faiblesse conceptuelle et son aspect comique, tous effets étroitement liés

Zohra Bouchentouf-Ziagh décèle par ailleurs derrière les gesticulations et les mimiques de l’ex-président français, La Cantatrice Chauve d’Ionesco. Tout comme dans la pièce de Ionesco on chercherait en vain une cantatrice et en vain une chauve, de même dans le discours de Sarkozy à Dakar, on ne trouverait ni l’Afrique, ni l’Histoire, quelque bonne volonté que l’on mette à les y chercher.

Restons au théâtre. Dans ma pièce La Tortue qui chante, c’est un supposé fou qui observe et juge les politiciens que dévorent la passion du pouvoir et la rivalité au sujet d’un poste politique. Dans l’une des mises en scène, je fais précéder le prologue parlé d’un chant du Fou :

Politique ! Politique
C’est une bête qui pique
Qui nous pique et nous injecte
Un venin terrible
Bien souvent on perd la tête
C’est irrésistible.
Observez bien nos personnages
Dans quelle eau nage
Chacun d’entre eux
Ici, là-bas en tous lieux ?
Peut-être que seuls les fous comprennent
Quelle est cette passion qui les possède et les entraîne.

Autour des politiciens tournent, non sans fièvre, partisans, journalistes, hommes des médias. Il faut voir tout ce qui a été écrit et dit dans certains médias (heureusement pas tous ! ), toutes les gymnastiques langagières selon les différents camps et causes, sur les atrocités en Côte d’Ivoire, le massacre de plus de trois mille citoyens commis par des politiciens de tous bords, de diverses nationalités …pour justifier, défendre ces atrocités. Il ne s’agit pas de lancer des incantations ou des slogans du genre « Tous criminels ! Tous pourris ! Tous des crétins », mais il nous faut réfléchir sur ce que doit être une politique, une vraie vision pour une nation. Théophile Obenga nous propose par exemple une conception de la politique, fondée sur la recherche du bonheur du peuple.

Le bonheur humain s’accroît dans le développement comme devoir et responsabilité de civilisation

L’homme que sa nouvelle fonction officielle (Sarkozy venait d’être élu Président de la République française) élevait sur un piédestal qu’il croyait si haut qu’il pouvait se permettre de dispenser un cours magistral au monde entier et d’abord à l’Afrique, devait se rappeler le nom du savant africain dont l’université de Dakar où il faisait son discours le 26 juillet 2007, portait le nom. Il devait surtout, s’il avait, tant soit peu, lu certains des ouvrages de ce savant, au lieu de se livrer à des élucubrations sur les aspects positifs de la colonisation, s’interroger sur l’essence de son propre clan, le clan indo-aryen, défini par Cheikh Anta Diop comme ayant une morale guerrière, par opposition à la morale pacifiste du clan africain.

Ce qui est effroyable dans la morale guerrière du clan indo-aryen, ce sont ces pratiques malthusiennes, ainsi décrites :

Les filles sont enterrées vivantes. L’excédent de bébés même bien constitués est jeté dans les ordures ménagères, même après la sédentarisation. Eugénisme, mythe de Ganymède, homophilie.

À l’opposée, dans la morale du clan africain, les pratiques concernant les enfants, mâles et femelles sont simplement exprimées en cette phrase : tous les enfants qui naissent sont élevés.

Cette différence de natures explique peut-être beaucoup de choses : hier, la cruauté des mœurs romaines, puis l’esclavage, puis la colonisation, puis les conquêtes hitlériennes, le nazisme, les première et deuxième guerres mondiales…aujourd’hui les interventions armées de l’Occident dans différentes parties du monde pour défendre ses intérêts, sous des prétextes divers, les plus fallacieux les uns que les autres.

Sarkozy, guerrier indo-aryen de droit divin, qui ne voit d’ailleurs aucune différence entre nègres et singes ( son cerveau fonctionne ainsi, on n’y put rien ) et pour qui la meilleure façon de faire aimer les Français par les nègres est de les écraser sous des injures à défaut de pouvoir aller les bombarder régulièrement chez eux pour les faire taire, a ses émules en Françafrique : les Ouattara, les Soro, les Mobutu, les Habré, les Gnassingbé… Tous ces personnages, marqués par la fêlure, trouveraient leur place dans La Bête humaine d’Émile Zola.

Si l’on se situe dans la logique du clan indo-aryen tel que défini par

Cheikh Anta Diop, en prenant à témoin l’Histoire mondiale, ce n’est pas à ce clan de nous enseigner la paix, la démocratie, les droits de l’homme et de la femme…

L’homme politique idéal n’existe pas ? Réfléchissez sur cette phrase de la préface de Barack Obama à une autobiographie de Nelson Mandela :

En nous livrant ce portrait, Nelson Mandela nous rappelle qu’il n’a pas été parfait…

C’est l’histoire d’un homme qui a décidé de risquer sa propre vie au nom de ses convictions, et qui a beaucoup donné de lui-même pour essayer de rendre le monde meilleur

De ceux qui sont prêts à sacrifier des vies humaines à leur pouvoir comme Sarkozy, Ouattara, Mobutu, Hissène Habré, Soro, Gnassingbé Eyadema, Faure Gnassingbé, ou de ceux qui sont prêts à sacrifier leur propre vie pour leurs convictions et pour l’humanité comme Modibo Keita, Nelson Mandela, en passant par Lumumba, Nasser, Sékou Touré, Nkrumah, Olympio, Sankara, Kadhafi, Gbagbo…, qui sont ceux qui sont dans la barbarie et qui dans la civilisation ?

( Á suivre )

Sénouvo Agbota Zinsou

Source : 27Avril.com