Les espaces frontaliers, avec ou sans flux contrôlés, pourraient devenir des espaces transfrontaliers portés par une dynamique volontariste d’aménagement de l’espace, ils pourraient être vecteurs de développement. Ils sont d’abord des espaces culturels dont la maîtrise des ressources échappent en grande partie aux communautés culturelles nationales, elles-mêmes séparées par des espaces balkanisés de séparation (no man’s land) longtemps, situations déjà existantes créées par la séquence des razzias de la traite des nègres et des guerres, aggravées de la colonisation européenne mais où se maintiennent vaille que vaille des flux de biens, d’hommes et de services sous surveillance. Sans développement, ils sont des segments d’abandon de souveraineté et de menaces pour les populations des marges frontalières.
Une série de difficultés se présente quand l’étude porte sur les espaces frontaliers issus de l’histoire coloniale. Emmanuel Gu Konou les énumère dans une étude de 1992 (cf Emmanuel Gu Konou in Les Frontières en Afrique de l’Ouest, sources et lieux d’observation – Persée n°1160, pp. 23 à 27).
Cette étude de circonstance, inscrite dans le contexte de la multiplication des exactions des groupes armés djihadistes en Afrique de l’ouest, porte sur ces frontières vues comme des espaces composites. Elles se présentent souvent comme des sous-ensembles structurés par la rupture plus ou moins intense des espaces culturels, inégalement développés en équipements, partout on y trouve des services de contrôle et d’enregistrement (douanes) et des services de sécurité nationaux parfois archaïques et inefficaces, on y génère des activités commerciales le plus souvent informelles qui à leur tour sont autant d’occurrences structurantes de marché et de business illicites ou non. Cette photographie, pour pertinente qu’elle pourrait être, rend compte de diversité de situation sur l’espace frontalier Togo-Bénin long de ses 644km.
Les espaces observés sont donc très inégaux, inscrits dans des géosystèmes qui appellent des aménagements différenciés. Ce que j’en expose ici est extrait d’une plus importante étude en analyse spatiale.
1) Brefs éléments d’histoire
Il est ordinairement enseigné que la frontière est la ligne de confrontation de deux forces rivales et de facto, la notion relève davantage de préoccupation politique ou simplement géopolitique. « …Née de préoccupations essentiellement politiques et stratégiques, l’étude des frontières s’est néanmoins constituée scientifiquement. Ainsi, les géographes qui s’y sont intéressés à partir du milieu du XIXe siècle, ont élaboré des méthodes, et ont initié une réflexion, à travers l’étude des frontières, sur les notions de territoire politique et de pouvoir. Ils ont progressivement dépassé ces seules préoccupations pratiques d’ordre stratégique et se sont dégagés, avec plus ou moins de bonheur, des relations ancillaires qu’ils entretenaient avec la sphère politique. Leurs préoccupations sont alors apparues de facture spéculative. C’est donc à la fin du XIXe siècle qu’une géographie des frontières se constitue. Elle est portée en Allemagne par Friedrich Ratzel (1844-1904), en France par Jacques Ancel (1879-1943) et en Angleterre par Halford J. Mackinder (1861-1947). Deux conceptions s’opposent alors. La première, portée par les penseurs français, définit la frontière comme un construit politique pouvant ou non s’appuyer sur un élément naturel (une montagne, un fleuve). On peut renvoyer à J. Ancel qui la conceptualise comme la ligne de rencontre de deux forces politiques contradictoires, celles de deux États territorialement concurrents…. » (Cf Hélène Velasco Graciet, Université de Bordeaux, in Les frontières, discontinuités et dynamiques des frontières, GéoConfluences, Ressources de la géographie pour les enseignants).
La quasi-totalité des frontières des états d’Afrique illustre cette dynamique de ligne artificielle imposée aux populations, frontières dans lesquelles il est difficile voire impossible de faite état moderne ensemble et de faire nation.
La légalité pour prétendre à une légitimité de ces frontières repose sur la Conférence de Berlin de novembre 1884 à février 1885 à la suite desquelles des conventions de délimitation des frontières intervinrent. Ce sont des faits historiques indéniables, la contestation de leur légitimité définitive relève d’un débat autre. Si contestées et décriées elles ne s’effacent pas, ayant servi de matrice spatio-politique de fabrication de territoires dans les états actuels jusque sur les limites frontalières, sont-elles des espaces de rupture ? Dans l’affirmative, regardant la frontière entre le Togo et le Bénin (Dahomey), cette rupture est-elle compensée par des aménagements spécifiques de façon à faire des frontières de rupture, du transfrontalier de flux de développement ? Pour faire une réponse, j’ai relu pour la circonstance la réflexion de Dominique Juhé-Beaulaton» (Lire ce dernier dans la revue Afriques, Organisation et contrôle de l’espace dans l’aire culturelle aja-fon (Sud-Togo et Bénin – XVIIe-XIXe siècle) (openedition.org). Bref retour aux origines coloniales des frontières qui portent création des frontières togolaises en question, de leur dynamique inscrite dans la durée et de leur fragilité native.
Les frontières franco-allemandes entre le protectorat allemand du Togo et la colonie française du Dahomey sont restées celles d’aujourd’hui, presque inscrites dans un fait de longue durée, avec de lourdes permanences. Elles ont été définitivement fixées par la une Convention (dite) de Paris du 23 juillet 1897. C’est en fonction de ce tracé que sont fabriqués les territoires et systèmes frontaliers inégalement polarisés, souvent à l’écart de réseau de transport en arbre, de type colonial. Elles n’ont pas été conçues pour générer développement et une dynamique positive de flux d’une colonile à l’autre. Les populations sujettes à des administrations adverses des temps coloniaux ont dû transcender cette dualité frontalière porteuse de conflit, de rupture et d’affaiblissement de flux entre espaces complémentaires, aujourd’hui et hier, d’où la rotaique du « smuggle ».
Concernant la gestion des espaces frontaliers des territoires précoloniaux, ce dernier établit que « ….la circulation n’était pas libre sur le territoire des anciens royaumes de la côte des Esclaves qui se trouvaient sous le contrôle de « douaniers » (denugan en fon) établis dans certains villages. Cette organisation territoriale a, semble-t-il, existé dans l’ensemble de l’aire d’étude. En effet, en 1724, le chevalier des Marchais observe dans le royaume de Ouidah, avant sa conquête par le Dahomey, que, « outre les deux péages qui sont dans le milieu [de] deux rivières, il y en a encore un à chaque borne du royaume pour ceux qui entrent ou sortent pour aller dans les royaumes voisins ». Son texte est illustré d’une carte montrant la distribution géographique de ces postes sur tout le territoire du royaume. A. Le Hérissé, nous l’avons vu plus haut, fait également allusion à l’existence de postes de contrôle sur le plateau d’Abomey, sur le territoire de chaque « roitelet indépendant » avant l’arrivée des Agasuvi. H. Zöller pour sa part signale l’existence de deux de ces postes à Grand Popo et Agbanakin (Sud-Est-Togo) « levés […] à l’arbitraire de l’homme qui y détient précisément le plus grand pouvoir ». En 1911, Le Hérissé toujours remarque que « des postes de douane (dénou) étaient installés en plusieurs endroits du royaume du Dahomey. Ils jalonnaient des routes suivies par des caravanes de porteurs, mais ne marquaient nullement, semble-t-il, des points frontières… » (Cf Dominique Juhé, op.cit, Chapitre Postes de douanes et fondations royale).
2) L’état des espaces frontaliers Togo-Bénin
John Igué, analysant six (6) zones frontalières de l’Afrique de l’Ouest atlantique et sahélienne in Le développement des périphéries nationales en Afrique considère que trois facteurs déterminent le développement des périphéries nationales : les racines historiques, les aléas climatiques et la complémentarités des productions agricoles à échanger à l’intérieur de ces « enclaves autonomes qui se distinguent par l’usage de plusieurs monnaies au cours réglé par un système judicieux d’échanges par des populations solidaires, rendant de facto le contrôle douanier inefficace.
Prenant exemple sur les frontières Est du Bénin et Ouest du Togo, il ajoute que « … des marchés périodiques….rythment toutes les activités d’échange. La zone est particulièrement réputée pour le commerce du cacao, du carburant et des produits manufacturés venant du Nigéria, en contrepartie desquels le Bénin livre du maïs des cossettes d’igname, de l’huile de palme et toute une gamme de produits de luxe (Wax hollandais. Bazin allemand, dentelles d’Autriche, cigarettes des grandes marques anglaises, etc.) Objet d’une intense activité de réexportation. Entre le Togo et le Ghana, on peut mentionner le secteur Kéta, Aflao, Lomé, Kpalimé et Badou.. ((Cf John Igué in Le développement des périphéries nationales en Afrique (ird.fr). Il propose la bibliographie suivante : – MONDJANNAGNI (A.), 1964 – Quelques aspects historiques, économiques et politiques de la frontières Dahomey-Nigéria. Etudes Dahoméennes. – THOM DERRICK (J.), 1970 – The Niger-Nigeria Boderfand. A politico-geographical analysis of boundary influences upon the Haoussa, Ph. D. Michigan State University. – MiLLS (R.-L.), 1973 – The development of a frontier zone and border landscape along the Dahomey-Nigeria boundary, Journal of Tropical Geography, 36. . FOUCHER (M), 1984 – 1982 – Pôles d’Etats et frontières en Afrique contemporaine, …etc)
Mon attention porte sur des espaces transfrontaliers inégaux, à polarités inégales. Cinq (5) systèmes d’agglomérations frontalières, du bassin du Mono aux terres du Pendjari (cartes). A ces systèmes de frontières affichent des polarités variables, inégales. L’hypothèse que certains ne jouerait aucun rôle dans la continuité territoriale recherchée dans l’espace frontalière est tentante. En effet, au-delà de la latitude 9°N en pays de montagne de l’Atakora, les contraintes naturelles, l’absence d’un réseau routier effectif et de voies navigable ajoutés à des densités humaines faibles les met hors-jeu. Ren conséquence, je porte mon attention sur ce segment frontalier aujourd’hui au cœur de menaces redoutables pour les populations et pour la coopération régionale.
Pour reconquérir les territoires et/ou en inventer, en faire des territoires de développement par intensification des flux de biens et de services au profit des populations voisines, on pourra opter pour la création de plateformes de service, de renforcement de la desserte, d’aménagement territoriaux transfrontaliers de coopération. On retiendra qu’il s’agira d’aménagement non pas du frontalier mais du transfrontalier. L’objectif est de mettre en synergie de partenariat des acteurs et des pratiques, des compétences et des politiques de coopération vivante
3) Regard, alerte et proposition de développement sur ces frontières fragiles, menacées.
Selon la carte précédente, 55 agglomérations identifiées seront affectées chacune d’un potentiel de polarisation, indice d’autant plus élevé que cette localité est éloignée du principal pôle de dépendance. Elle pourrait sur cette base devenir dans une dynamique de territorialisation volontariste, un segment frontalier autonome à transformer en espace transfrontalier de développement, l’indice Ppi étant l’indice de polarité transfrontalière, c’est un indicateur que je propose pour cette analyse spatiale de la frontière Togo-Bénin.
Ppi (i1…..55) = i= une agglomération i1….55 ; dl1 = la distance à l’agglomération5togo) importante la plus proche ; dl2= la distance à l’agglomération la plus proche du Bénin; dinK = la distance de l’agglomération (i1…55) à Lomé considérée comme principal pôle de diffusion et d’émission de biens et service.
Le nombre d’agglomérations comprises dans le sous-groupe d’agglomérations frontalières; R= le coefficient de pondération du réseau routier plus ou moins dense gradué de 2 à 6, 8 et 10.
Ce modèle de territorialisation sur des lignes de frontière se retrouve sur au moins 10 sites en Afrique de l’Ouest. Le modèle de Malaville-Gaya à la confluence du Bénin, du Niger et du Nigéria repose sur une volonté de partenariat interétatique, un aménagement concerté et négocié avec les populations locales, un objectif priorisé : le renforcement de la solidarité et de la complémentarité avec les pays voisins basé sur l’équipement des espaces frontaliers (y compris la construction des marchés), la promotion de la coopération transfrontalière et le développement des zones et villes transfrontalières partagées. Six (6) des bassins versants frontaliers constituent la majorité des enclaves frontalières autonomes d’Afrique de l’Ouest identifiées par John Igué (J. Igué, op.cit.).
Je conclurai cette opinion par un constat et une proposition, plaidant pour le modèle de territorialisation des frontières fragiles. Le segment du Nord Est Atakora/Pendjari est .la frontière à indice Ppi élevé de 10, Il constitue un système animé par 4 agglomérations (voir carte ci-après), il se situe sur les marches du Sahel, éloignée de plus de 450 km des principaux pôles de diffusion de biens et servies. Son point le plus éloigné est à la confluence du Togo, du Bénin et du Burkina Faso. Son réseau de voies terrestres est modeste, rudimentaire, incontrôlable.
Ce territoire stratégique, cette sorte de porte du Sahel, pourrait être propice à la dynamique transfrontalière à développer au cœur de l’espace CEDEAO ou alors abandonné et de facto voué à la contrebande et à la main mise de groupe de trafic voire d’exactions possible : la preuve !!!!
Figure 3 : Photo de la Jeep du commissariat de police de Mandouri et localisatop, (préfecture du Tone) ayant sauté sur une mine supposée des djihadistes, le 15 juillet 2022
Le Togo a son modèle d’animation des frontières. Ce pays et ses services de l’état devraient pouvoir produire des territoires de coopération et de développement. C’est le cas de la ville frontière de Cinkassé. « … Ville passante, Cinkanssé-Togo épouse sur près de 6 km sa longueur de la nationale 1, la route internationale reliant le Togo au Burkina et déchirant la ville du sud au nord d’une bande d’asphalte, l’unique de la petite bourgade. Là où la négligence de développement et de coopération sont marquées, rien n’y imprime la souveraineté des états, les populations sont laissées abandonnées à elles-mêmes, là peuvent aisément s’agréger le développement, l’insécurité et l’insolence des groupes armés qui sévissent. Dans un contexte exactement identique à la séquence des « trois frontières Burkina/Niger/Bénin, des confins du Nigeria et du Cameroun.
Source : L’Alternative / presse-alternative.info
Source : 27Avril.com