Les Evêques du Togo : « La politique n’est pas l’apanage des seuls professionnels de la politique »

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Voici l’intégralité du message de la Conférence des Evêques du Togo (CET) lors de l’Assemblée générale des prêtres à Kpalimé du 7 au 11 janvier 2019.

MESSAGE DE LA CONFERENCE DES EVEQUES DU TOGO A L’ASSEMBLEE GENERALE DE LA FRATERNITE DES PRETRES DIOCCESAINS DU TOGO
(KPALIME, 07-11 JANVIER 2019).

Chers Pères, Je suis heureux d’être à ce rendez-vous annuel de la Fraternité, pour vous transmettre le traditionnel message de vos Évêques. Je vous apporte leurs salutations et leurs encouragements à renforcer les liens de fraternité et de solidarité qui vous unissent. Vos Évêques vous réitèrent leurs remerciements pour votre aide multiforme et vous assure de leur communion de prière, dans l’unique sacerdoce du Christ, au service du peuple de Dieu.

Au début de cette nouvelle année, je viens aussi vous exprimer les vœux de la Conférence des évêques. Vœux de santé et de prospérité dans la vigne du Seigneur, vœux de simplicité qui élève les humbles, et vœux de sainteté, car c’est à cela que nous sommes appelés par le Père, dans le Christ. Que tout au long de cette nouvelle année, nos cœurs s’établissent fermement dans le Christ, notre paix et notre joie.

Je remercie nos « fofo », qui nous témoignent chaque année leur conviction sur le Grand bien et la grande valeur de notre fraternité. Leurs présences à nos AG, sont plus que des présences participatives, c’est aussi une invitation à méditer sur le grand mystère du sacerdoce, amour du cœur de Jésus pour son Église et son amour pour chacun de nous. Impossible de les citer tous.

Merci et félicitations à vous chers Pères « Fofo », Dovi N’Danu Alipui Pierre, KETE Cyrille, Adjonyo-Legba Matthieu, Penouku Benoît, Yog Lambon Éloi, Jean Baptiste Asambla, Aziamble Gregoire, Lucien Ndzata, Nyuiadzi Léonard, Goumegou Gaëtan, Atama Benjamin.

En vous nous reconnaissons des monuments de fondation de notre Fraternité et des pierres d’élévation. Vos évêques imaginent votre joie de voir, ce qu’est aujourd’hui l’œuvre que vous avez planté et que vous continuez d’arroser pas votre présence à nos AG.

Chers Pères,

Le thème du message de vos Pères Évêques pour l’AG 2019 de Kpalimé s’intitule: « Quels prêtres pour notre pays et le peuple de Dieu dans la crise socio-politique que nous vivons»?

Ce sujet nous fait sortir un peu de nos thématiques habituelles. En effet, nous avions plutôt abordés jusqu’ici, des thématiques relatives à notre vie en communauté ou notre vie relationnelle ou des thématiques sur des pratiques pastorales et liturgiques dans notre vie de prêtres. Mais à circonstances exceptionnelles, réponses exceptionnelles.

Les évènements que nous vivons dans notre pays au plan politique et social, ne sauraient nous laisser indifférents, nous, prêtres de Jésus-Christ, le Prince de la paix. Les violences contre les personnes, les blessés, les détenus et les morts qui ont émaillé la période du dialogue entre les acteurs politiques sont déplorables et inacceptables. Le peuple de Dieu attend de nous une parole d’espérance et de réconfort, mais aussi une parole forte qui appelle le mal, mal, et le bien, bien. Le peuple de Dieu attend de l’Église et de ses prêtres, la parole de vérité. Sur ce point, on nous dit « qu’est-ce que la vérité ?, comment pouvez-vous dire que vous détenez la vérité ? La vérité n’est-elle pas relative ? Ou encore, après tout c’est la politique, l’Église ne doit pas s’en mêler.»

Comme l’a écrit le pape Benoît XVI, le concept de vérité est désormais un objet de soupçon. Personne ne contestera qu’il faut se montrer prudent et précautionneux en cette matière. Mais la supprimer simplement en la disant inaccessible, c’est une destruction en règle des bases de nos sociétés, et ce sera le règne du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement l’ego et les désirs. » (Extraits de la première partie « SIGNES DES TEMPS » – Entretien de Benoît XVI avec Peter Seewald, 2014). Il ne s’agit pas de débattre ici d’un sujet de philosophie, mais de saisir la vérité dans son sens le plus élémentaire : Le contraire du vrai c’est ce qui est faux. Et le contraire de la vérité, c’est le mensonge.

Quant à nous, prêtres, le Christ qui nous a associés à son unique sacerdoce nous redit : « Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix ». Jean 18, 37

Les évêques vous demandent d’être des prêtres courageux qui parlent de ce qu’ils ont entendu du Christ, ceux qui en parlent et en témoignent. Le prêtre doit se tenir sur la brèche en faveur du peuple. Nous lisons dans le livre d’Ezéchiel : « Le peuple du pays se livre à la violence, commet des rapines, opprime le malheureux et l’indigent, 3 foule l’étranger contre toute justice. Je cherche parmi eux un homme qui élève un mur, qui se tienne à la brèche devant moi en faveur du pays, afin que je ne le détruise pas; mais je n’en trouve point (Ez 22, 30) ».

Tenir sur la brèche, aujourd’hui dans notre cher pays en crise, c’est pour nous, prêtres, appeler le peuple de Dieu à garder la Parole de Dieu, immuable et efficace ; c’est appeler le peuple à tenir ferme dans l’espérance, à maintenir vive la flamme de la prière.

Chers Pères

Ce qui vient d’être rappelé, vous est familier depuis toujours. Vous n’avez pas attendu ce message pour savoir quels prêtres vous devez être. Mais la particularité du message de cette année est de rappeler la gravité des évènements que nous vivons, et de préciser la réponse collective que l’Église doit apporter. La politique, entendu comme la construction et la défense du bien commun n’est pas l’apanage des seuls professionnels de la politique. Elle est l’affaire de tous les citoyens. Elle est même, selon le magistère de l’Église, une des formes les plus élevées de la charité. Certes, il ne s’agit pas pour nous, prêtres qui avons pris l’engagement, dès l’ordination diaconale, de nous tenir à l’écart de la conduite des affaires politiques, il ne s’agit pas pour nous de se prononcer pour tel parti politique d’opposition ou pour le pouvoir. La crise nous demande de rappeler les valeurs qui transcendent les clivages partisans: la dignité de l’homme créé à l’image de Dieu et donc, la condamnation de tout acte qui nie cette dignité : les valeurs de vérité et de justice. C’est cela rendre témoignage à la vérité.

L’Église émane du peuple, elle est solidement ancrée dans le peuple et vit intimement ses joies et ses peines, comme le dit Gaudium et Spes ; « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout, et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur » (Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps, GAUDIUM ET SPES, Avant-Propos)

Le magistère de l’Église nous dit : « Aucune ambition terrestre ne pousse l’Église ; elle ne vise qu’un seul but : continuer, sous l’impulsion de l’Esprit consolateur, l’œuvre même du Christ, venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité ». (Gaudium et Spes 3, 2)

Le Pape François à l’occasion de son message du jour de l’an 2019, journée mondiale de prière pour la paix, est revenu longuement sur cette exigence de témoignage : l’Église doit s’exprimer, en s’appuyant sur la Parole de Dieu comme seul critère de son appréciation des évènements et des actes des dirigeants politiques. Il a appelé à l’avènement d’une bonne politique, celle qui est au service de la paix, celle qui respecte et protège les droits des personnes.

C’est dans ce sens que déjà, dans le passé récent de notre pays, la conférence des évêques s’était prononcée à plusieurs reprises sur la situation socio-politique. Les acteurs politiques eux-mêmes ont sollicité l’Église pour des arbitrages ou pour permettre aux Togolais de se retrouver pour discuter ensemble. L’Église a exprimé à ces diverses occasions, sa position qui n’est pas une position partisane au sens politicien du mot, mais une position qui se fonde sur la Parole de Dieu, celle que saint Jean Paul II a appelé Veritatis Splendor, dans son encyclique. (Veritatis splendor, Encyclique de Jean-Paul II, 6 août 1993).

Elle est la réponse à ceux qui s’interrogent sur le bien et le bon.

Aujourd’hui, l’Église reprend la même position pour défendre le bien commun.

Ce que vos évêques avaient voulu faire comprendre à travers leurs différentes interventions, et ce qu’ils continuent de dire, c’est que l’Église ne peut pas rester silencieuse, ni s’abstenir de se prononcer sur ce qui fonde le vivre ensemble dans notre pays, sinon elle ne serait plus témoin du Christ. L’Église ne doit pas cesser d’interpeler les consciences, ni d’appeler les dirigeants à des choix qui respectent l’être humain.

Si vous avez bien écouté et analysé les messages de vœux de Noël et de nouvel an de vos évêques, message dont les Radios Catholiques ont fait largement la diffusion, vous avez certainement remarqué la convergence de leurs propos, de leurs appréhensions et de leurs vœux. Sans s’être consultés pour harmoniser leurs propos, ils ont presque tous souligné que les cœurs n’étaient pas à la fête. Ils ont noté les préoccupations, les craintes et les inquiétudes des populations face à un avenir incertain. Ils se sont sentis interpellés par le sentiment de désespoir dans lequel notre pays s’enfonce de plus en plus et de jour en jour. Ils ont presque tous appelés les togolais à travailler pour la réconciliation, en évitant le mensonge, la violence dans les propos et les actes.

Chers Pères

Vos évêques vous invitent dans le cadre de ces assises, à une réflexion approfondie sur l’attitude qui doit être la vôtre dans ces moments difficiles, attitude de pasteurs d’un peuple en quête d’espérance.

Que devons-nous faire alors ? Quels prêtres devons-nous être aujourd’hui ?

En vérité, rien de nouveau, à faire, rien d’extraordinaire. Nous devons annoncer Jésus Christ et Jésus Christ seulement. Nous devons être des prêtres courageux, mesurés dans les actes et les propos, et témoins de la charité évangélique, et non ceux qui se préoccupent d’eux-mêmes.

Sur ce point précis, un évêque m’a demandé de vous transmettre ce qu’une paroissienne lui a dit. Je cite : « Monseigneur, dites à vos prêtres que nous n’avons pas besoin d’écouter ce qui se passe entre le Curé et son Vicaire dans leur presbytère. Qu’ils règlent leurs différends entre eux dans le secret des presbytères. Nous venons à l’église pour écouter la Parole de Dieu surtout en ce moment de crise où nous sommes découragés et que nous avons peur de l’avenir… Et ce n’est pas tout : on a l’impression que les presbytères sont à l’image des querelles qui agitent le monde politique de notre pays : le curé et le vicaire se disputent comme l’opposition et le parti au pouvoir ! Cela déteint même sur nous les paroissiens où on est divisé : le Curé et ses partisans constituent le parti au pouvoir et le Vicaire et ses partisans constituent l’opposition.

Alors, la question revient plus précise. Quand faut-il parler, et que devons-nous dire ? Que faut-il faire ? Quel doit être notre comportement ? Devons-nous compatir à la détresse ou réagir ?

St Paul nous donne un début de réponse : je le cite « annonce la Parole à temps et à contretemps ».

Que veut dire cela pour nous aujourd’hui ?

Nous devons parler à temps lorsqu’il nous paraît clair que la Parole de Dieu est attendue comme une parole forte, une parole d’espérance : c’est le cas lorsqu’il s’agit de défendre la dignité de la personne. Lorsqu’il s’agit de défendre des aspirations à plus de justice, de vérité et de fraternité.

Nous devons aussi parler à contretemps, c’est- à dire pouvoir contester les actes qui nous semble contraires à la dignité humaine. Parler devient alors un témoignage courageux.

Mais être courageux ne veut pas dire être téméraire, ni prendre des risques inutiles. Nous ne devons pas, par exemple, utiliser les réseaux sociaux, WhatsApp et autres, à travers des vidéos ou des audios, pour diffuser nos prises de paroles sur la situation socio politique. Nous devons nous adresser au peuple de Dieu dans nos églises et toujours en prenant appui sur la parole de Dieu. Libre ensuite, à ceux qui nous écoutent, de partager eux-mêmes s’ils le veulent, nos propos sur les réseaux sociaux.

Nous sommes prêtres de l’Église Catholique. Nous parlons et agissons en Eglise et au nom de l’Église. Les prises de parole individuelles risquent de désorienter ceux qui nous sont confiés. A cet égard, vos Evêques vous demandent de vous référer à ce que dit l’Eglise, notamment la position de la Conférence des Evêques. S’il y a des voix discordantes, celles-ci ne doivent pas se répandre sur les réseaux sociaux. Il y va de notre sérieux, de notre bonne foi et de notre crédibilité.

Chers Pères,

Si la crise que nous vivons nous demande de prendre la parole, elle nous presse aussi d’agir, d’avoir des comportements qui nous rendent crédibles.

Vous connaissez la formule « Ce que TU ES, crie si fort que je n’entends pas ce que TU DIS ! » (in Nature de Ralph Waldo Emerson (Poète et philosophe américain 1803- 1882)

A cet égard, le prêtre doit être courageux, il doit cultiver la tempérance et la simplicité. La tempérance est modération et sobriété. St Paul nous exhorte à « vivre avec modération, justice et piété dans le monde présent » (Tt 2, 12).

Concrètement, dans nos paroisses, la tempérance ou la sobriété nous demande par exemple d’être modérés dans l’organisation de nos fêtes et spécialement, nos anniversaires d’ordination sacerdotale. Il n’est pas certes interdit au prêtre de célébrer des anniversaires ou autres fêtes privées. Ces célébrations sont des moments pour rendre grâce à Dieu, en église.

Les évêques vous invitent néanmoins à garder la mesure dans la solennité qui entoure ces célébrations. Le jour de l’anniversaire sacerdotal du prêtre n’est ni une mémoire liturgique de l’Église, ni une fête liturgique, ni une solennité liturgique pour qu’on lui accorde un caractère solennel paroissial. Exemple : Parce que le Curé fête le 5ème anniversaire de son ordination sacerdotale, la messe de 6h est reportée à 18h. Ou bien, cette annonce: « samedi prochain c’est le premier anniversaire de l’ordination du Vicaire ; nous demandons à la chorale et au groupe de jeunes de venir en uniforme » etc….

Demandons à l’Esprit Saint la grâce de ce discernement.

Source : www.icilome.com