Le syndrome de Stockholm.

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« Chaque génération doit dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir » – Frantz Fanon : « Les damnés de la terre »

Le syndrome de Stockholm.

Il est des moments de pure tragédie où l’homme politique tel le roi Christophe de Césaire touche la limite de sa stature et de ses moyens tout en continuant à se mentir à lui-même. Emporté dans son élan et pénétré de sa haute valeur et de sa propre importance il bascule dans le tragique. Il ne voit plus ni le pathétique de son discours ni la manipulation dont il est l’objet.
Il est fait….Comme un rat !

M. Jean-Pierre Fabre lors de son récent passage sur TV5 a offert un de ces rares moments d’émotion intense que seuls savent provoquer les acteurs politiques sur le retour. Sous les sunlights et des dehors martiaux, il a vaticiné, impuissant, sa mort politique inéluctable.

Méprisé, snobé par le petit Faure, M. Fabre a embouché, comme souvent, le long lamento du chef de file de l’opposition en dépit amoureux. Il ne comprend toujours pas le refus du dictateur de le recevoir malgré ses demandes réitérées. « Il finira par me recevoir » conclut-il piteusement en note d’espoir du soldat vaincu, étalé sous la mitraille par témérité et manque de discernement.

L’appel du pied est clair : jouer sur la corde sensible du peuple. Chevaucher sa compassion et provoquer sa révolte. La manœuvre est puérile et pour tout dire irresponsable. Monsieur le chef de file de l’opposition (CFO) est dans une servitude volontaire qu’il feint d’ignorer. M. Fabre a fait le choix d’être le chien du roi pour espérer être le roi des chiens. Ceci en définitive aurait prêté à ricanement et à haussement d’épaules désabusé si seulement dans son sillage il n’entraînait pas autant de togolais dans la débâcle par le choix de l’impuissance et de la résignation.

Oui M. Jean-Pierre Fabre et l’ANC sont tombés volontairement dans un « piège à rats » habilement tendu par le pouvoir en place et qui a pour nom statut de chef de file de l’opposition.  Il s’agit d’un véritable traquenard politique que l’opposition n’a pas su éviter. Plusieurs raisons justifient ce constat amer. Elles tiennent à la nature intrinsèque d’un tel statut « octroyé » dans le cadre de l’une des plus implacables dictatures que le monde ait connues.

Un chef de file de l’opposition est une figure qui émerge et s’impose sans autre forme de procès. Il ne saurait être nommé par le pouvoir en place. Il est l’émanation d’une opposition unie sur une base programmatique minimale et sur laquelle le CFO a une autorité politique naturelle. M. Fabre ne peut prétendre disposer de l’un ou l’autre de ces leviers essentiels.

On objectera que la loi fondamentale prévoit le statut et que le chef de l’État dispose, en la matière, d’une compétence liée. Mais la loi est mise en application par un décret, acte réglementaire, pris en opportunité par l’autorité investie du pouvoir de nomination. Par parallélisme des formes, il a donc aussi le pouvoir de révoquer à sa guise l’opposant ainsi nommé.

M. Fabre est devenu ipso facto l’obligé du pouvoir dictatorial en place même s’il s’en défend. Le piège était béant. M. Fabre y a plongé à pieds joints. Un minimum de discernement aurait pu l’éviter. On ne ruse pas avec une dictature ; on la combat. M. Fabre a pris délibérément le parti de la ruse et de la participation en mettant le doigt dans l’engrenage infernal de la mal gouvernance.

M. Fabre n’aurait jamais dû accepter d’être le CFO. Une vision politique stratégique aurait dû incliner vers le choix d’une autre figure de l’ANC moins exposée que son chef ou même du chef d’un parti d’appoint dans le rôle du CFO. En France M. Balladur a bien été premier ministre en 1993 alors même que le chef de l’opposition de l’époque était M. Chirac. Ce dernier l’est resté et le peuple lui en a su gré en le portant à l’Élysée.

Nos traditions regorgent d’exemples de cette sage orientation. En cas de partage, le rôle du partageur est confié au cadet, étant entendu que l’aîné est appelé de droit à choisir son lot en premier. Y aura-t-il un dommage ? Aucun. Le partage sera le plus équitable possible car réalisé par celui qui prendra le dernier lot.

Le siège de l’ONU ne se trouve-t-il pas à Genève dans la petite Suisse ? Au sein de l’UE les sièges les plus importants n’ont-ils pas été placés dans les plus petits pays de l’Union ? Les responsables ne sont-ils pas prioritairement choisis dans ces mêmes États dits petits ?

M. Fabre aurait dû se souvenir de cette sagesse millénaire et proposer un autre CFO. Il s’en serait sorti grandi et bien plus fort que la Bérézina dans laquelle son entêtement et son hybris l’ont fourvoyé.

L’oubli du souci d’équilibre élémentaire qui conduit à délaisser la règle du « winner takes all » a véritablement affaibli M. Fabre et par-delà sa personne toute l’opposition et tout le peuple togolais.

Cette même tendance a conduit l’ANC et M. Fabre à accompagner un processus électoral massivement frauduleux. Ce qui était largement prévisible puisque les garanties minimales d’une élection digne de ce nom n’ont pas été préalablement apportées. Il s’agit là d’une faute politique majeure que seule semble justifier la griserie d’apparaître comme la figure de proue de l’opposition au Togo. Quitte à se contenter du lot de consolation du CFO tout en entretenant l’ambiguïté de l’opposant qui en réalité ne s’oppose plus à rien.

Les conséquences sont désastreuses

On ne sort guère de l’ambiguïté qu’à ses propres dépens. M. Fabre a manifestement trahi sa mission. Il faut tirer les conséquences et s’effacer pour laisser émerger et éclore une opposition digne de ce nom au régime dictatorial de Lomé. Car au-delà du mépris manifeste du pouvoir pour la personne de M. Fabre rangé au rang d’accessoire, c’est toute l’opposition qui est durablement paralysée, figée dans une position attentiste, dépendant d’un CFO ficelé. Le pouvoir a beau jeu de le désigner, au gré de ses intérêts, comme l’interlocuteur « légal ».

De plus l’acceptation durable de ce titre annihile toute expression véritable du peuple. Comment sonner la révolte avec un chef si affaibli ? Comment monter à l’assaut d’une dictature si puissamment armée avec un CFO anesthésié ? Comment amorcer le dialogue et conduire la négociation avec un « chef » si méprisé et qui peine à asseoir son autorité perdue par des choix politiques hasardeux et inconséquents ? Le : « il finira par me recevoir » de M. Fabre sonne  comme le chant du cygne d’une opposition vaincue qui a évolué en s’affaiblissant tout en renforçant le camp d’en face. Jusqu’à la caricature.

Le clan familial des Gnassingbé qui régente le Togo depuis plus d’un demi siècle a beau jeu de dire que : « en face c’est maïs ». En face c’est surtout incompétence et manque de stratégie politique affirmée.

L’urgence d’une sortie par le haut

M. Fabre et l’ANC s’ils ont un minimum de sens de l’État doivent se rendre à l’évidence que leur action est devenue contre productive et tend désormais à se déployer contre le peuple et sa lutte qu’ils prétendent servir.

Il faut démissionner d’urgence M. Fabre. Il faut quitter ce strapontin empoisonné de CFO. Il faut retrouver, s’il n’est pas trop tard, la place de chef de l’ANC à la pointe du combat aux côtés du peuple. Peut-être retrouverez-vous sa confiance et son indulgence.

Le rôle de CFO dans le contexte politique actuel, sied beaucoup mieux à un parti d’appoint ou à une figure emblématique vieillie. Et si la méfiance l’emportait, pourquoi ne pas confier ce rôle putatif à un jeune lieutenant avec le double avantage pour le chef de retrouver la capacité d’action dans le débat politique tout en préparant une succession digne de ce nom à la tête du parti.

Il faut démissionner. Ce serait aussi un signal fort envoyé au régime en place pour qui « Le piège à con » fonctionne si bien. Ils sont assis dans un fauteuil et y resteront aussi longtemps qu’ils auront un CFO qui « tiendra » si bien le peuple dans sa quête légitime de bien-être. Ce n’est malheureusement pas l’option prise par le garant oppositionnel de la stabilité du régime. La preuve en est la récente nomination de M. Fabre au Conseil National de Suivi de la Décentralisation (CNSD).

Il s’agit d’un énième attrape-nigaud servant à légitimer comme le reconnaît M. Fabre lui-même, les axes institutionnels du maintien au pouvoir du régime RPT/UNIR. (lire le correcteur du 15 avril 2017 interview exclusif de M. Jean-Pierre Fabre). Avec 8 membres, l’opposition comme toujours n’a que la portion congrue. Son poids relatif indique le rôle qui lui est assigné : servir de caution à la forfaiture en cours et rassurer l’opinion internationale sur l’actualité des réformes au Togo. L’opposition participative n’aura contribué qu’à anesthésier le peuple et à contribuer efficacement à son cocuage.

Quand on est pas d’accord on dit NON ! et on cherche la meilleure voie pour sortir de l’engrenage. M. Fabre est consentant. Il est d’accord avec les évolutions en cours. Il n’a pas été nommé par hasard, encore moins par surprise. Il n’est pas douteux que le pouvoir en place a dû avertir l’édile de sa prochaine nomination au sein du CNSD.

Mieux encore, l’ANC a été pressentie pour « proposer » ses représentants au sein dudit conseil. La collusion étroite entre le pouvoir et l’opposition participative est avérée et aujourd’hui manifeste. M. Fabre est définitivement atteint du syndrome de Stockholm.

Jean-Baptiste K.
24/04/2017

27Avril.com