« Nous sommes obligés, pour rendre la réalité supportable, d’entretenir en nous quelques petites folies ». Dans les graves conséquences de la chute de l’homme, de la société et des Etats, les glissements pervers qui tuent insidieusement les peuples comme l’indique Marcel PROUST, dans son œuvre, A la recherche du temps perdu, ce sont les dérivatifs, les exutoires, les écarts, les vices exacerbés qui attestent la dépossession de l’homme de sa rationalité et du principe du jugement.
Entendons-nous bien. Nous ne disons pas en effet que les jeux de hasard sont nécessairement mortels pour les sociétés, les Républiques. Quand ils constituent le grand refuge d’une République aux horizons bouchés, ils deviennent des anomalies de perception qui parasitent le sursaut à l’effort, le bondissement existentiel, ce que Jean-Paul SARTRE nomme projet, c’est-à-dire « liberté-choix-responsabilité-effort assumé pour un mieux-être ou un plus-être »
Ce qui est notoirement indicatif de notre société en raide déchéance n’est rien moins que le renoncement spectaculaire au travail laborieux, la foi en effort qui fait toujours les forts. Notre conscience parasitée, qui croit au miracle de la fortune sans la créativité active, sans la patience d’une imagination d’innovation et d’action efficace, nous livre à des rétrogradations périlleuses.
Nous savons tous au Togo que la grande majorité râle de misère qui décapite l’appétit de vivre, les jouissances, les petits bonheurs. Là où la minorité visible prend possession de la fontaine des richesses nationales par les armes, les crimes de masse, il n’y a aucune possibilité qu’elle s’investisse dans l’humain-patron dans sa gouvernance d’effraction et de rapine.
Le fardeau d’une vie sans espérance, sans luminosité dresse au pied des populations tous les pièges, tous les gouffres, parce qu’elles s’accrochent trop facilement et abusivement à tout ce qui brille sans une teneur de carat. L’ennui est dans les excès d’un peuple qui ne s’appartient plus et qui s’abandonne à la clémence de la providence. L’investissement plantureux de toute une collectivité dans des illusions de richesse sans l’audace de l’initiative est la pire révolution des mentalités. Les kiosques et les centres de pari fleurissent dans notre pays, parce que la demande est grandissante pour la fortune sans peine.
Le malaise politique, la gouvernance de spoliation et de brutalité fauve exposent les populations à la fragilité.
Si aucune société, aucune République ne peut interdire les jeux de hasard, comment faire pour qu’elle ne sombre pas dans la polarisation sir la loterie et les paris ?
Ne faut-il pas donner aux rêves leur juste place avec un accent particulier au soutien à la créativité, à l’ingéniosité et à l’audace de l’engagement qui transforment la vie des citoyens ?
1) Le Togo à l’école de la loterie
Toutes les sociétés ont besoin de renouvellement de leurs pôles d’intérêt pour une dynamique sociale qui évite à la collectivité la sclérose, l’ennui, la somnolence et la lassitude. Il appartient au politique de créer des saisons de nouveautés pour intéresser les jeunes, vivifier le corps social. La gouvernance a besoin particulièrement d’une bonne dose de psychologie sociale, d’une imagination féconde qui libère des espaces de liberté, de créativité, de fraîcheur pour une osmose bénéfique au groupe. La stagnation renvoie les populations à la recherche d’une oxygénation parfois peu louable pour sortir des affres d’une existence où elles se sentent désorientées, perdues.
Au regard de la gouvernance de perfidie, de spoliation, de violence, de cruauté, de services, le peuple togolais a perdu ses repères pour se frayer une voie dans des croyances et dans des illusions plurielles. L’extrême pauvreté sort les peuples de la rationalité. Nos concitoyens de la galère, c’est-à-dire, du manque cruel se livrent à tout, à la foi des promesses incertaines et puériles, à un modèle économique du hasard. Sous leurs yeux, dans un système politique de l’enrichissement sans peine, leur mental s’est détourné des codes, des normes de conquête du bonheur.
La République de l’injustice, de l’impunité, de l’immoralité ne peut diffuser une pédagogie du mérite, de labeur pour faire triompher la vie. L’impuissance de l’intelligence à gérer un peuple dans l’exemplarité comportementale à des incidences sur la vie des citoyens. Nous avons été si longtemps instruits à l’escroquerie, au vol, à l’effraction, au gain facile que nous ne croyons plus en nous-mêmes, à nos propres efforts pour faire notre destinée.
Partout au Togo, aujourd’hui, nous sommes à l’heure de la fortune sans un travail laborieux. L’achat de conscience longtemps professé pour un « électorat mouton » nous conduit à attendre l’avenir dans la gare du hasard et des contingences. Jeunes, vieux, femmes, hommes passent le plus clair de leur journée à scruter des colonnes de chiffres sur leur tableau de guerre à la fortune. Cette ferveur populaire au tri des numéros connaît des spécialistes de la géomancie. Ils vendent des combinaisons gagnantes et des pronostics « imparables » à l’enrichissement rapide sur des tirages de la loterie. L’effet d’entraînement est gigantesque lorsque de rares coïncidences font des gagnants. Les « maîtres de l’illusion » élargissent leur marché, les dupes et les crédules s’inclinent ; ils sont les grands contractants de crédits pour jouer au jeu de hasard.
Ceux qui, par la clémence de la Providence, trouvent à leurs comptes quelques billets sonnants et trébuchants dans un tirage sont davantage noyés dans l’euphorie pour oser des paris qui les ruinent. Il est absolument rare de voir des gagnants de loto qui parviennent à construire leur avenir avec le gain des tirages. Ce qui signifie que le cycle du pari est un enfermement que broue le parieur à petit feu. Quand on croit au hasard, on met sa vie en balançoire entre le diable et le bon Dieu. La noblesse de l’effort est systématiquement évacuée du psychisme du parieur. Il lui est quasi impossible de s’émanciper, de tracer sa destinée par l’entrepreneuriat. Les gains des jeux du hasard échappent au contrôle du parieur qui trouve une motivation supplémentaire de croire aux chiffres du bonheur en gaspillant ce qu’il a déjà engrangé sur un coup du sort. Une vie hypothéquée dans les jeux de hasard est le résultat de la crédulité et de l’opiniâtreté à attendre la fortune sans un vrai combat dans la durée, dans des initiatives de créativité. Jean de LA BRUYERE en déduit dans Les Caractèresque : « L’on voit les hommes tomber d’une haute fortune par les mêmes défauts qui les y avaient fait monter ».
L’effort assidu est le salut des hommes. Ses bénéfices obligent le créateur, le travailleur à la prudence, aux investissements judicieux, à l’autopromotion par gradation.
2) Sortir les Togolais du syndrome des paris
Toutes les structures des jeux de hasard ont pour finalité de faire des bénéfices. Elles sont si bien programmées dans leurs activités qu’elles ne perdent jamais, à moins que les bénéfices soient détournés par un tiers, comme c’est trop souvent le cas des sociétés d’Etat au Togo. Aucune société des jeux de hasard n’a une vocation philanthropique. Mais, l’Etat, lui, a pour but la protection des citoyens, la sécurité pour tous. Manquer à ce devoir est une faute politique, une faute éthique, une faillite de la gouvernance.
La recherche forcenée de la plus-value à n’importe quel prix qui met en danger la vie des citoyens en les dépossédant de leur capital de raison est intolérable pour toutes consciences humaines. Une société de pari ou de jeu de hasard peut tout à fait avoir un visage humain sans perdre de l’argent.
Ailleurs, il y a des psychologues, des conseillers en économie qui sont payés par le commerce des jeux de hasard pour encadrer les gagnants et leur éviter des traumatismes, l’euphorie de dépossession du contrôle de soi, des dispersions de leur personnalité.
Au Togo, après plus de quarante ans d’existence de la Loterie Nationale Togolaise (LONATO), jamais le soupçon d’un encadrement des gagnants n’a fait jour. Ce qui expose le parieur-gagnant à tous les risques, à tous les glissements périlleux qui tronçonnent son mental, son droit au bonheur protégé.
Quelles que soient la qualité des propositions que nous pouvons faire ça et là dans le cadre d’un accompagnement des parieurs, comme on le voit dans les structures commerciales de services après-vente, nous sommes persuadés que la mise en œuvre de nos suggestions sera fort inopérante. Le mode de fonctionnement de la gouvernance dans notre pays procède par le passage en force et chiffonne toute raison d’éthique, de civisme et de morale.
Donc, il appartient au parieur togolais, malade des jeux de hasard, d’accepter une mise en cause de ses rapports avec la loterie pour une autocritique comportementale, c’est-à-dire, une cure psychanalytique ou une auto-analyse. La lucidité de sursaut est le gain de reconquête de sa subjectivité-liberté, de sa personnalité. Ceux qui se sentent mal dans leur peau, dans leur âme à jouer au jeu de hasard sans pouvoir s’en départir un peu pour conserver l’autonomie de la raison sont dans une illusion topologique. Ils perdent la notion d’espace et de temps et ignorent le mécanisme de leur propre évolution. Ils sont appauvris de leur contenance et sont devenus des girouettes d’un système économique d’assujettissement
Nous connaissons les hommes, les groupes sociaux et les républiques qui perdent leurs repères, leurs codes, leurs âmes dans les péripéties et les accidents de leur propre évolution saccadée. Mais, après la chute, il faut puiser en soi les ressorts pour se mettre debout et sortir de l’asile de la fatalité. Nous voulons un réveil togolais dans son ensemble, une histoire nouvelle de la collectivité nationale, un nouveau type togolais régénéré au discernement pointilleux, à l’action efficace, à la responsabilité assumée, à l’engagement ferme de reconstruction du sens civique et de l’humaine condition. L’inertie est le danger qui nous guette ; elle nous tue à petit feu et détruit insidieusement tout le socle fondateur de la République.
Dans une société où les citoyens se sentent battus et se confient au destin par la passivité mortelle et au coup du sort, ils perdent tout et ne conservent qu’une civilisation morte. C’est, du reste, ce que semble approuver Charles De Gaulle dans ses Mémoire de guerre lorsqu’il écrit : « L’impuissance de l’intelligence fait courir le risque à l’homme de tout perdre ».
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