Le dernier message d’Agbéyomé Kodjo comme un testament politique

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Messan Agbeyome Kodjo

…«Aujourd’hui, garder son travail ou son business et ne pas se retrouver en prison au Togo se paye au prix de sa capacité à garder le silence devant tant d’injustice et de violation des droits fondamentaux, voilà ce que le RPT/UNIR appelle vulgairement LA PAIX ET LA SÉCURITÉ. Après Foussena Djagba, Mouta Gligli, Bertin Agba, Mgr Kpodzro, et tant d’inconnus, c’est le tour de Mr Agbéyomé de partir loin de sa terre et de ses proches dans l’indifférence et le mépris de ceux qui doivent en principe unir les filles et les fils du Togo autour d’un projet de nation. Mais le découragement ne doit pas gagner les cœurs et démotiver. La colère qui monte de plus en plus dans la société togolaise produira son effet au moment où les ennemis de la république ne s’y attendront pas.» (François Xavier Assogbavi, 4 mars 2024, sur 27 avril.com)

«Le 5 février, dans l’histoire politique nationale, est un sinistre jour qui nous rappelle combien damnés serons-nous tant que nous ne briserons pas les chaînes de la peur, de l’hypocrisie, de la jalousie, de la méchanceté et de la cupidité, pour ne privilégier que l’intérêt supérieur de la nation toute entière.»

Cet extrait du dernier message d’Agbéyomé Kodjo, prononcé à l’endroit des Togolais et des Togolaises, le 5 février 2024, comme d’ailleurs tout le discours, sonne comme une prémonition. Comme un vieux sage, donnant les derniers conseils avant de mourir, le leader de la DMK avait tenu à marteler sur les principaux obstacles qui ont fait en sorte que l’opposition togolaise, depuis le début des années ’90, soit dans une telle léthargie, et que le régime de dictature d’en face, ait toujours cette capacité de nuisance. La peur, l’hypocrisie, la jalousie, la méchanceté et la cupidité; voilà les principaux maux qui plombent la société togolaise depuis plusieurs décennies, et qui constituent surtout de véritables goulots d’étranglement au sein de l’opposition togolaise. Depuis les élections présidentielles de février 2020, des travers comme l’hypocrisie, la jalousie, la méchanceté, et la cupidité chez certains, ont pris une place de choix dans les relations entre leaders de l’opposition; surtout entre le défunt chef de la DMK, son mentor Monseigneur Kpodzro d’un côté, et certains tenors d’hier de l’autre côté, c’était une relation de chien et chat.

Ce bizarre comportement de supposés opposants au régime de dictature était l’occasion pour beaucoup de Togolais démocrates, de se demander, qui s’oppose finalement à qui, quand tout est fait pour faire capoter l’union d’une opposition déjà mal en point, favorisant ainsi le fait que le régime Gnassingbé se sente stabilisé malgré son impopularité sur toute l’étendue du territoire. Cette situation de double hostilité, du régime togolais d’une part, et de certains opposants, qui ont désormais leurs agendas à eux, d’autre part, dont furent victimes Monseigneur Kpodzro et Messan Agbéyomé Kodjo, n’était pas faite pour arranger une vie d’exil, déjà trop exigeante. Sans être dans le secret des dieux pour savoir de quoi exactement est mort le prélat, son âge avancé et cette errance forcée pour une telle personnalité respectable, et le fait qu’il sût, qu’en dehors du pouvoir, il existe des Togolais dans la grande famille de l’opposition, qui lui en voulaient, auraient sans doute précipité sa fin, loin de sa terre natale. Quant à Agbéyomé Kodjo, dans son dernier discours le 5 février dernier, il avait laissé entendre qu’il se sentait menacé, et que si d’aventure quelque chose lui arrivait, les Togolais savaient désormais à qui demander des comptes. Agbéyomé Kodjo est-il mort de mort naturelle, ou ceux qui l’ont contraint à l’exil, en sont pour quelque chose? Nous n’avons pas d’éléments à notre disposition pour répondre avec précision à cette question. Toujours est-il que Agbéyomé Kodjo est un citoyen togolais à part entière, qui a eu à exercer dans son pays de hautes responsabilités comme ministre, directeur du port autonome de Lomé, président de l’assemblée nationale, et surtout comme premier ministre.

Depuis ce 23 juillet 1992 où Tavio Amorin fut abattu par balles à Tokoin Gbonvié à Lomé; son assassin, bien identifié, ne fut jamais inquiété. La voie était alors ouverte à la chasse aux opposants, bien organisée par les radicaux du régime Gnassingbé, pour que l’alternance n’ait jamais lieu au Togo. L’impunité érigée en règle est venue parfaire les caractéristiques d’un régime voyou, où désormais, n’importe qui, au sein de l’armée tribale, pourvu que son action aille dans le sens de la conservation du pouvoir, peut s’en prendre à tout opposant sans qu’il soit inquiété. L’attentat de Soudou le 5 mai 1992 contre Gilchrist Olympio, qui rejoindra plus tard, avec armes et bagages, le régime qu’il prétendait combattre; Les cadavres de manifestants retrouvés dans la lagune de Bè, tous les autres massacres de citoyens et citoyennes togolais à travers le pays, l’assassinat du professeur et chercheur Atsutsé Agbobli le 15 août 2008; enlevé dans une clinique où il se faisait traiter; son cadavre fut retrouvé plus tard à la plage. L’assassinat d’opposants au régime togolais n’est pas fortuit. Il est bien planifié et exécuté par des personnalités militaires et civiles autour du régime. La contrainte au départ en exil d’opposants est aussi un plan bien peaufiné pour se débarrasser de ceux qu’ils n’ont pas réussi à assassiner. Olivier Amah, François Boko, Salifou Tikpi Atchadam…et tout dernièrement Monseigneur Philipe Fanoko Kpodzro et Messan Agbéyomé Kodjo.

Il serait superflu de demander de quoi sont morts Monseigneur Kpodzro, Agbéyomé Kodjo, et tous les autres Togolais décédés dans leur exil politique. Autant les assassinats politiques constituent des crimes impardonnables que commet le régime de dictature pour ne pas devoir quitter le pouvoir et rendre compte, autant la contrainte par des menaces de toutes sortes, faite aux opposants, pour qu’ils prennent le chemin de l’exil, pour sauver leur peau, sont également des crimes de la même ampleur. La mort d’un opposant en exil n’est alors que la conséquence directe de sa persécution; que ses poursuivants, ici le régime Gnassingbé, aient directement quelque chose à y voir ou non, n’a plus d’importance. Ceci est également valable pour les prisonniers politiques qu’on refuse de libérer, et qui meurent un à un en détention. Le seul responsable de leur mort, que ce soit en exil, ou en prison, est le régime qui est à la base de leur persécution.

Comment faire alors pour qu’il n’y ait plus d’exilés politiques, pour que tous les Togolais se sentent chez eux avec les mêmes droits et les mêmes devoirs, pour que des Togolais ne soient plus des loups pour d’autres Togolais? Nous évoquions au début de notre propos le dernier message de Agbéyomé Messan Kodjo qui était pratiquement un testament politique laissé à ses compatriotes que nous sommes, avant de partir. Tenace, courageux, intelligent et même rêveur, le défunt leader de la DMK avait pu rassembler toutes ces qualités en lui avant et pendant ses quatre années d’exil, en tenant tête à Faure Gnassingbé et à son régime. C’est cette ténacité, ce courage, ce jusqu’au-boutisme positif et l’union de tous que Agbéyomé Kodjo aura conseillés à la classe politique, à la jeunesse et aux Togolais, avant de disparaître dans la trappe de l’histoire. Qui plus que François Boko, ancien ministre de l’intérieur de Gnassingbé Éyadéma de 2002 à 2005, ayant donc bien connu le système RPT, pourrait mieux parler d’Agbéyomé Kodjo, en lui rendant hommage après sa mort? « Le Président Agbéyomé Kodjo, au prix de sa carrière politique et de sa vie, a, en vain, avec fougue et énergie, tenté de moderniser et de faire évoluer de l’intérieur un système politique archaïque et anachronique.»

Comme l’a si bien écrit François Boko, Agbéyomé Kodjo aura eu le mérite en juin 2002 de dénoncer dans un document «Il est temps d’espérer», ce qui ne va pas au parti-état d’alors, le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), et de proposer des réformes. Une telle témérité de sa part conduisit naturellement à son divorce d’avec Gnassingbé Éyadéma, que presque personne dans l’entourage n’osait contredire. Il part en exil en France, revient au Togo après la mort du vieux dictateur, crée son parti politique, milite dans l’opposition, participe aux élections présidentielles contre le fils d’Éyadéma, Faure Gnassingbé, en février 2020. Il revendique bruyamment sa victoire confisquée, arrêté plus libéré sous de diverses pressions, Agbéyomé Kodjo repart en exil, suivi de son mentor, le prélat Fanoko Philipe Kpodzro. Un exil d’où les deux ne reviendront plus vivants. Voilà les différentes étapes du combat de celui qui avait volontairement renoncé aux délices du pouvoir. Certains de ses anciens collègues au RPT à l’époque, gravitent aujourd’hui encore autour de Faure Gnassingbé, et continuent à faire voir de toutes les couleurs aux Togolais.

Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Agbéyomé Kodjo a fait sa part pour la libération de notre pays avant de quitter ce monde. Nos sincères condoléances à sa famille politique et biologique et à tous ceux qui l’ont connu de près. Que la terre lui soit légère!

Samari Tchadjobo
Allemagne

Source : 27Avril.com