J’aimerais à l’amorce de cette tribune, rappeler quelques fondamentaux qui gouvernent la vie et l’évolution de toute société humaine. La vie en effet, se caractérise fondamentalement par une dynamique permanente se fondant sur le principe de la transmission. Dans le cas d’espèce des humains, leur société n’évolue que sur la base de ce qui se transmet d’une génération à l’autre. Ainsi tout individu ne peut se prévaloir d’une culture, d’une identité ou d’une société que sur la base de ce qu’il recueille de ces entités et qui forge sa perception de la vie, ses convictions, ses vertus et valeurs etc.
Tout ceci s’opère par le canal de l’éducation dans son sens le plus élargi possible qui n’est pas autre chose que la transmission elle-même s’effectuant à plusieurs niveaux à la fois en famille, à l’école, dans la rue, à travers les médias et aujourd’hui les réseaux sociaux. Ce mécanisme de la transmission dispose également des agrégats qu’incarnent par exemple les dirigeants, les leaders religieux, les chefs traditionnels ou coutumiers, les leaders d’opinions etc.
De leurs actes, paroles et gestes dépendent les comportements qui vont meubler la vie des citoyens dont le rôle est de s’inspirer de ces personnes repères en vue de mener leur vie et ainsi de contribuer à la vie de la société elle-même. Voilà pourquoi, dans une République par exemple, le Président est chargé de définir une politique qui lui sert de levier en vue de conduire le peuple vers une destination donnée. Et, dans la conduite du peuple, doit également se ressentir cette volonté de pousser ce dernier à s’améliorer, à grandir d’esprit et à s’approprier de mieux en mieux, les valeurs identitaires, démocratiques et même spirituelles qui donnent sens et saveur à la vie de la société elle-même et qui, par le même coup, garantissent son épanouissement, son polissement, son raffinement …
Cela dit, l’évolution est un principe incontournable qui échappe à la volonté d’un être humain. Ainsi du fait de son intelligence et de son bon sens, il n’a d’autre choix que de s’inscrire délibérément dans cette dynamique par sa volonté et sa disponibilité à apprendre chaque jour des choses nouvelles et à se les appliquer en vue de participer à la forge de son état d’esprit qui détermine, à son tour, ses convictions et sa perception même de la vie.
Dans le cas d’espèce du Togo, l’on a le regrettable sentiment que depuis quelques années déjà, notre société a une tendance lamentable à marcher à reculons. Tenez, sur ces dernières années, ce qui est le plus régulièrement servi au peuple reste, les cas fréquents de harcèlements et d’emprisonnements des acteurs politiques, des activistes, assortis parfois de décès, puis des harcèlements de journalistes couronnés de suspensions de parution, de retrait de fréquences ou de récépissés, d’amendes ou même d’emprisonnement des directeurs de publication comme c’est précisément le cas de Ferdinand Ayité et de Joël Egah intervenu le 10 décembre dernier.
Autre chose qui est régulièrement servi au peuple, des grèves dans les secteurs vitaux du pays, des bras de fer entre les ministres et les administrés, des contestations par-ci par-là, des manifestations réprimées parfois avec violence, des brimades et bavures des forces de l’ordre et de sécurité ou de l’armée elle-même (confère les évènements de 2017, notamment à Sokodé, à Lomé à Mango et dans d’autres villes du pays) suivis par moment, d’exil des opposants politiques, des activistes et leaders d’opinion.
Sur un autre plan, il est décrié tous les ans, la cherté de la vie avec la flambée des prix des produits de première nécessité, une forme de précarité qui s’accentue au jour le jour au sein de la masse sociale alors que pendant ce temps, l’Etat, suffoquant sous le poids de ses charges régaliennes qui deviennent de plus en plus sollicitantes et grandes, supprime des primes et avantages dus aux agents de l’administration publique au même que ses capacités d’absorption des diplômés sans emploi s’amenuisent d’années en année. Ceux-ci finalement laissés pour compte ne font que râler tout en jonglant avec des activités précaires de circonstance en vue de se maintenir en vie.
Il va par conséquent de soi que dans un tel contexte, les valeurs morales et identitaires se dégradent de façon quasi littérale et à toutes les échelles de la société elle-même puisque les institutions internationales, dans leur classement, situent le Togo à un niveau très élevé de corruption par exemple. Qu’il nous souvienne que l’année dernière, un organisme international avait classé le Togo comme le pays le plus malheureux au monde, or qui parle de citoyens malheureux parle par ricochet d’une incapacité de ses derniers à s’épanouir, à composer avec la joie de vivre, en tout, à donner sens à leur vie.
Ainsi donc, ce qui se transmet depuis quelques années entre individus dans notre pays, reste plus les mauvaises nouvelles, la tristesse et la mélancolie, la colère et la révolte y compris dans les rangs des dirigeants eux-mêmes puisqu’ils vont jusqu’à se plaindre à la justice, ainsi que des méthodes non-orthodoxes, comme le vol, le détournement, la corruption. Etant entendu que les auteurs de ces fléaux n’ont jamais été repérés et punis, alors les gens les prennent finalement comme des modèles surtout qu’ils sont très souvent promus à des postes directionnels de l’Etat.
Tout ceci cause forcément un problème et questionne le principe de la transmission des valeurs identitaires devant déterminer l’évolution progressive de notre société. Dès l’instant où les modèles inspirants capables de transmettre ces valeurs et vertus au peuple se font de plus en plus rares dans le pays ou manquent cruellement d’espace convenable pour se faire valoir, il devient juste de conclure à une reculade de pays de ce point de vue. Tout comme cette reculade s’observe nettement dans les domaines de la défense des droits humains, de la liberté de réunion, d’opinion, d’expression et de presse comme témoignent justement les appréciations des organisations internationales, en l’occurrence Amnesty International, Reporter Sans Frontières et bien d’autres. Comment serait-il possible de construire un Etat-nation sans ces éléments fondamentaux qui lubrifient la réflexion intellectuelle, nourrissent les citoyens d’idées fertilisantes et permettent le vivre ensemble ?
Ainsi survient naturellement la question sur l’héritage que notre génération entend laisser aux générations à venir. Comment faire pour exhumer au sein de notre société actuelle, ces valeurs dont l’affaissement se ressent de plus en plus et de la manière la plus inquiétante possible? Je ne voudrais pas faire trop long, je laisse en conséquence la question en son état de posée et naturellement ouverte à tout esprit lucide qui souhaite y réfléchir.
Luc ABAKI
Source : icilome.com