La résistance, force des citoyens déterminés

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« La philosophie de paix, de tolérance et de non-violence de Gandhi a servi en Afrique du Sud de puissant instrument de changement social ». Voilà ce que Nelson MANDELA a déclaré le 2 septembre 1992. Qui peut contester que Nelson MANDELA est une grande figure de l’Afrique et du monde entier ? Cette figure qui fait la fierté de notre continent nous indique, par la référence à GANDHI, une autre figure mondiale, un chemin mais plus encore une philosophie pour parvenir au changement social dans tout pays en lutte pour sa libération. Cette philosophie se décline en trois éléments intrinsèquement liés : la non-violence, la tolérance et la paix. La non-violence vers l’autre est une forme de reconnaissance de l’autre comme sujet capable du meilleur malgré ses actes antérieurs répréhensibles ; et ce premier élément est, en soi, une forme de tolérance de l’autre, dans ce qu’il est en tant qu’être humain capable du pire mais aussi du meilleur.

Et la tolérance, vis-à-vis de ses opinions, de ses appartenances religieuses, sociologiques, politiques etc. constitue le carburant du vivre ensemble dans la différence. Les deux éléments, non-violence et tolérance, attestation de l’indispensable pluralité dans le vivre ensemble, conduisent à la paix.

La philosophie de GANDHI et de MANDELA, qui a conduit en Inde et en Afrique du Sud à un changement social, n’est en réalité qu’une philosophie de la résistance à des systèmes politiques qui détruisent l’homme et remettent en cause le vivre ensemble. Cette philosophie de la résistance, par l’analyse de ces trois éléments ci-dessus indiqués, permet d’éviter toute confusion qui proviendrait du mot résistance assimilé à tort à la violence, à l’intolérance et au désordre. Il s’agit au contraire d’une philosophie humaniste qui reconnait l’autre dans sa différence tout en rejetant ses actes répréhensibles. Elle place l’humain au cœur de la lutte et propose qu’il s’épanouisse dans un système adéquat qui a compris que l’Etat est le lieu de l’humanisation de l’homme et non le symptôme de son aliénation ou de sa déshumanisation. Le système politique d’un Etat doit être au service de l’homme et non le contraire. Et chaque fois que se produit le contraire, les citoyens ont le droit et plus encore l’obligation de rappeler aux gouvernants les fondamentaux du politique en résistant à l’injustice sous toutes ses formes. Ce qui permet, en effet de tenir ensemble en tant qu’être politique, est la justice et la justice sociale comme l’a rappelé la lettre pastorale des évêques du Togo du 26 avril 2016. Si la justice sociale est ainsi pilier de la politique, son absence est une menace au vivre ensemble et dès que l’injustice institutionnelle devient un mode de gouvernement la résistance à l’injustice devient une obligation morale et politique. Et l’injustice devient institutionnelle quand les institutions chargées de dire le droit ne disent plus le juste non seulement du point de vue légal mais aussi du point de vue de la légitimité ; l’injustice s’installe malheureusement quand les institutions elles-mêmes ne jouent plus leur rôle. Quel est, en effet, leurs rôles? C’est de permettre aux citoyens de vivre avec et pour les autres en étant des institutions justes et crédibles. Et cette crédibilité provient de la reconnaissance par les citoyens de leurs institutions et de ceux qui les incarnent. Les institutions sont alors certes nécessaires mais leur légitimité provient de la reconnaissance des citoyens. De ce fait il ne s’agit pas d’avoir des institutions pour des instituions mais d’avoir des instituions justes et crédibles. En cas de défaillance des institutions au plan de la crédibilité il y a là encore une obligation de redonner sens aux institutions par la résistance à l’injustice institutionnelle, source de crise politique.

La paix ne se décrète pas, elle est au bout d’un processus et quand l’injustice s’installe on ne peut pas parler de paix ou alors c’est une paix éphémère et dangereuse car elle repose sur des frustrations. Comment peut-on parler de paix dans notre pays en ayant en mémoire les évènements récents de 2005 et de 2018 ? 2005 et 2018 ont un élément commun : la non-crédibilité des institutions dans la dévolution des pouvoirs exécutif et législatif devant régir le vivre ensemble. Il ne s’agit pas d’une affaire de légalité, mais de crédibilité. Car nous savons tous que si force doit rester à la loi, principe valable et toujours d’actualité, il faut que la loi soit juste. Or l’existence de loi injuste fait toujours appel, partout et en tout temps, à la résistance pour revenir non seulement à la loi mais à une loi juste qui fonde et justifie les institutions qui doivent organiser notre vivre ensemble. Et cela les juristes, les historiens, les sociologues, les philosophes, les hommes de lettres bref tous les hommes qui aiment se nourrir au grand livre du monde le savent.

GANDHI et MANDELA sont des formes de résistance qui ont permis le changement social par la résistance au système politique injuste que des hommes incarnent à un moment donné. Résister ce n’est pas être contre quelqu’un mais c’est dire non à un système qui ne favorise pas le vivre ensemble. Résister c’est contribuer en tant qu’acteur au changement dans notre pays. Résister à l’injustice sous toutes ses formes, c’est permettre aux gouvernants de redevenir humain en faisant confiance à leur capacité de mieux faire. Résister c’est devenir soi-même plus humain car on prend conscience de ne pas réduire l’autre à ses actes mauvais tout en les condamnant fermement. Résister c’est comprendre que le changement social passe par une conversion de soi-même en changeant ses représentations. Résister c’est construire ensemble avec l’autre en condamnant ce qui n’est pas juste. Résister c’est rétablir le juste, le droit, le vrai et le bon pour un vivre ensemble harmonieux.

La résistance est alors une indispensable vertu citoyenne et au Togo nous l’avons déjà fait au moment des indépendances mais encore de façon plus récente quand nous avons lutté pour avoir l’avènement ce que nous appelons la Loi BODJONA pour la liberté d’expression et de manifestation. Cette loi n’existait pas avant et c’est par la résistance à l’ancienne loi jugée injuste bien que fondée sur une légalité contestable et contestée que l’actuelle Loi a vu le jour.

La résistance loin d’être par conséquent un élément perturbateur apparait au contraire comme un élément restaurateur ; au lieu d’apparaître comme un élément destructeur du lien social, la résistance est au contraire une chance pour réinventer le lien social mis à mal par l’injustice sociale et politique.

Dans leur livre « Le chemin de l’Espérance », Stephane Hessel et Edgar Morin écrivent : « Notre propos est de dénoncer le cours pervers d’une politique aveugle qui nous conduit aux désastres. Il est d’énoncer une voie politique de salut public. Il est d’annoncer une nouvelle espérance. » Dénoncer un système politique conduisant aux désastres pour annoncer, par la résistance, une nouvelle politique, c’est découvrir la résistance comme une force citoyenne pour reconstruire un Togo nouveau.

Roger E. FOLIKOUE

Source : www.icilome.com