Kpatcha Gnassingbé et l’option gabonaise. Faure se débarrasse d’un colis encombrant et dangereux pour son pouvoir.

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les demi-freres faure et kpatcha gnassingbe

«Ce départ de Kpatcha Gnassingbé du Togo, considéré comme le cerveau de cette fameuse affaire de coup d’Etat, devrait conduire à la libération du Commandant Abi Atti et du Capitaine Casimir Dontema, tous deux condamnés à 20 ans de prison. Ils ont également des soucis de santé et méritent de bénéficier des faveurs accordées à l’ancien ministre. Et ce sera une fin heureuse pour tout le monde.» (Le quotidien Liberté du 27 mars 2023)

Tout commença dans la nuit de Pâques en 2009 à Lomé; accusé de tentative de coup d’état contre son demi-frère Faure Gnassingbé, Kpatcha fut arrêté avec ses supposés complices. Condamné le 15 septembre 2011 à vingt (20) ans d’emprisonnement, il croupit depuis lors et son état de santé inquiétant l’obligea à séjourner les deux dernières années au pavillon militaire du CHU Sylvanius Olympio de Lomé. Depuis presque deux semaines Kpatcha Gnassingbé se trouve au Gabon. Transféré dans ce pays d’Afrique centrale par la volonté de son frère président, Faure Gnassingbé. Libération et exil forcé? Tranféré pour raison de santé? Transféré avec consentement de l’interessé ou déporté malgré lui? Voilà les spéculations auxquelles nous avons droit depuis le départ précipité de Lomé du poids lourd, ancien député de la Kozah.

D’entrée de jeu nous voudrions définitivement exclure l’argument selon lequel Faure Gnassingbé, par ce transfert de son demi-frère au Gabon, chercherait à régler le contentieux qui l’oppose à ce dernier et réconcilier la famille. Car tout simplement, la raison humaine de tout Togolais avisé et de tout autre observateur, témoins des circonstances de prise de pouvoir par Faure Gnassingbé en 2005 à la mort de leur père Éyadéma, la façon dont Kpatcha fut écarté, pour finalement faire le vide autour de lui, jusqu’à devenir le seul maître à bord, nous interdit une telle hypothèse à la limite naïve. Si Faure Gnassingbé avait vraiment l’intention de rester en bons termes avec son demi-frère pour gérer de concert le pouvoir politique, considéré par eux comme un héritage familial, comme ils avaient commencé au début, cette affaire de tentative de coup d’état dont personne d’entre nous n’a aucune preuve, et qui avait servi d’alibi pour embastiller Kpatcha, n’aurait pas eu lieu; les rumeurs ou le malentendu qui auraient pu être à la base des malheureux évènements de Pâques 2009, auraient dû, ou pu être réglés à l’amiable. Au lieu de cela Faure Gnassingbé ne change pas d’avis, reste droit dans ses bottes et laisse son frère pendant presque 14 ans en prison. Malade et nécessitant des soins dans un centre de santé plus approprié, les multiples appels, que ce soit sur le plan national qu’international, les sollicitations de l’intéressé lui-même, pour sa libération et son évacuation, tombèrent tous dans les oreilles de sourd côté pouvoir togolais.

Et comme si toutes ces pressions pour la libération de Kpatcha Gnassingbé et ses co-détenus ne suffisaient pas, la Cour de Justice de la CEDEAO se mêle à la danse en juillet 2013: «Le 07 juillet 2013, la Cour de justice de la CEDEAO rétablit dans leurs droits les détenus dans l’affaire dite d’atteinte contre la sûreté de l’Etat. Après le simulacre de procès organisé par la justice togolaise aux ordres, à grands renforts médiatiques, la juridiction de la communauté sous régionale suite à une plainte des détenus dans ce dossier a dit le droit, et depuis lors, l’Etat du Togo rechigne à s’exécuter… La Cour de la CEDEAO atteste que les prévenus n’ont pas bénéficié d’un procès équitable et condamné l’État togolais. La conséquence logique dans un pays où le droit et la loi font sens, c’est la relaxe pure et simple des prévenus.» Voilà un extrait du quotidien Liberté à cette époque où les raisons humanitaires et juridiques ne manquaient pas pour sa relaxe pure et simple. À l’aide de tous ces arguments évoqués plus haut, nous voulons prouver que ceux qui croient aujourd’hui, un peu naïvement, que Faure Gnassingbé, par ce départ de son demi-frère Kpatcha vers l’étranger, soit subitement devenu celui-là qui se préoccupe de la cohésion de sa famille biologique, se trompent énormément.

Pendant les 14 années de détention avec toutes ces maladies comme compagnonnes, Kpatcha pouvait y laisser sa vie. Si Faure Gnassingbé tenait vraiment à la vie et à la sécurité de son demi-frère, il n’aurait pas pris ce risque qui était synonyme d’une éventuelle survenue du pire, en refusant de le libérer au moment où ce dernier en avait le plus besoin. Des informations font état du fait que Faure Gnassingbé fût depuis longtemps en tractation avec certains états africains pour trouver un point de chute à son prisonnier personnel. L’Ouganda et la Gambie furent cités, et finalement c’est Ali Bongo, l’autre fils de son père, physiquement diminué par un AVC, maître du Gabon, qui accepte de recevoir le colis encombrant.

Pourquoi alors cette sortie inattendue de prison et ce départ précipité de l’ancien Ministre de la défense et ancien député de la Kozah pour le Gabon? Voici ce que nous croyons être les réelles motivations du président de fait du Togo, Faure Gnassingbé, en décidant d’exiler son demi-frère; car il s’agit, ni plus ni moins d’un exil qui pourrait durer tant que Faure Gnassingbé sera au pouvoir, et tant que Kpatcha sera en vie, ce que nous lui souhaitons sincèrement et de tout coeur. Rien à voir avec une quelconque volonté du président togolais de se réconcilier avec son frère, et partant réconcilier la famille avec elle-même. Bien au contraire. Les pressions tous azimuts sur Faure Gnassingbé pour que Kpatcha soit libéré, sont nombreuses et ne datent pas d’aujourd’hui. Ne pouvant plus continuer à s’entêter, ne voulant ou ne pouvant surtout pas continuer à prendre le risque que son demi-frère meure en prison, il fut décidé de sa libération. Mais «wohin mit ihm?», comme se demanderaient les Allemands. On le laisse où? Où faut-il le garder? Car il n’est pas question que Kpatcha Gnassinbgé soit libre de ses mouvements et vive au Togo. C’est possible qu’il ait encore beaucoup de partisans au pays, surtout dans la Kozah et au sein de l’armée dont il fut ministre. Pendant toutes ces années de détention, d’humiliation et de souffrances de toutes sortes, il est fort possible que colère et frustrations se soient emparées de son coeur. Comment aurait-il réagi, une fois totalement libre et résidant sur le sol togolais? Aurait-il été prêt à pardonner et repartir à zéro comme si de rien n’était? Voilà les grandes inconnues dont Faure Gnassingbé a peur, surtout qu’il tiend à conserver le pouvoir politique et continuer à être le seul maître à bord.

D’accord pour libérer Kpatcha Gnassingbé. Mais pas question de le garder au Togo; trop dangereux pour le pouvoir de Faure.

Samari Tchadjobo
Allemagne

Source : 27Avril.com