Des centaines de milliers d’hommes, de femmes, d’enfants manifestant le ventre vide et les gorges asséchées, la tête en feu, défiant les jets d’eau chaude, de gaz lacrymogène, les balles, les coups, même la mort. Des pères et mères, des vieillards, des femmes enceintes, des handicapés, des malades, battant le pavé sous le soleil et la pluie durant toute une journée, plusieurs jours consécutifs des fois, prêts à passer la nuit couchés à même le sol, à la belle étoile, sur les voies publiques.
Peuple Togolais, voilà tes exploits. Tes travaux. Voilà, peuple togolais, ta routine, le rocher que tu roules depuis plus de 25 ans, depuis que tu t’es réveillé de la léthargie dans laquelle t’a plongé l’ogre qui, depuis 1967, se nourrit de ton sang, de ta chair, de tes os, de ton sourire, de ta paix, de ton bonheur. 25 ans, peuple togolais, qu’on te fait jouer Sisyphe, que tu ahanes pour pousser le rocher de ta servitude jusqu’au sommet de la colline, avant qu’on ne le repousse, t’intimant l’ordre d’aller le remonter.
Mais, peuple togolais, contrairement au mythologique Sisyphe figé dans le temps, transcendant les siècles, les générations et les mémoires avec son rocher qu’il roule indéfiniment, tu es, toi, assujetti aux cruelles lois de la réalité, avec un temps qui passe et qui te vieillit, t’use, t’affaiblit et t’humilie. Contrairement à Sisyphe fait mythe par son échec de ne jamais avoir réussi à pousser son rocher à bon port, l’histoire ne te retiendra pas, toi, pour ton échec. Au mieux elle t’oubliera, au pire elle te gardera pour te donner en mauvais exemple.
Et, contrairement à Sisyphe puni par les dieux, tes bourreaux, toi, peuple togolais, qui t’ont depuis 25 ans condamné au perpétuel recommencement, ne sont pas des dieux. Ils sont des hommes, comme toi. Armés de toutes les formes de pouvoir, de violence et de répression contre toi, mais toujours des humains, avec leur part de peur, de fragilité et de faiblesses. Ils ont tué tes enfants, ton père, ta mère, tes frères et sœurs, envoyé tes amis en exil, ils t’ont mutilé, mais ils restent des humains, même parés de toutes leurs armes.
Peuple togolais, tu es, aujourd’hui, dans la situation d’un animal ligoté avec un couteau sur la gorge. Tu n’as donc rien à offrir dans cette bataille que l’énergie de ton désespoir. Et c’est cette énergie du désespoir qui pousse la bête ligotée à se débattre même en sentant le couteau de son bourreau sur sa gorge qui doit te pousser aujourd’hui à rentrer en dissidence.
Dissidence contre ce régime qui de père en fils t’a exploité, pillé, avili et humilié depuis cinquante ans. Dissidence, de près ou de loin, contre tous les symboles, toutes les représentations, toutes les manifestations de ce régime, à commencer par celui qui le dirige.
Dissidence contre ce régime qui de père en fils t’a exploité, pillé, avili et humilié depuis cinquante ans. Dissidence, de près ou de loin, contre tous les symboles, toutes les représentations, toutes les manifestations de ce régime, à commencer par celui qui le dirige.
Dissidence physique et verbale, dissidence démesurée, outrée et ininterrompue contre tout ce qui te reflète ce régime et qui, au fond, ne te reflète que ton sang dont il s’est nourri depuis un demi-siècle. Dissidence contre toute personne, toute institution, tout pays, tout média qui soutient, même avec des mots voilés, ce régime.
Dissidence contre ces militaires, policiers et gendarmes affamés mais déshumanisés qui tirent sur toi quand tu cherches à leur expliquer qu’ils ne méritent pas le bagne dans lequel ils sont traînés. Dissidence contre ces députés qu’on dit te représenter mais dans lesquels tu ne t’es jamais retrouvé. Dissidence contre ces ministres que tu paies mais qui passent par tous les moyens pour te déposséder de ton pécule. Dissidence contre tous les journalistes qui d’une main écrivent et de l’autre encaissent la somme à laquelle ils t’ont vendu.
Dissidence contre la France qui pleure toutes les larmes de son corps quand un de ses citoyens est tué mais reçoit avec les honneurs dignes d’un héros le potentat qui a assassiné des centaines de tes fils en 2005 après les milliers assassinés par son père. Dissidence contre la CEDEAO et ses faux négociateurs qui prétendent essuyer tes larmes avec une main par laquelle ils ont mangé ta chair.
Peuple togolais, tu n’as jamais voulu la désobéissance, la révolte, mais on t’y a poussé. Tu dois désormais désobéir, te révolter, pour survivre. Tu ne peux plus faire semblant de ne pas voir que tu dois entrer dans une dissidence perpétuelle jusqu’à la chute de ce régime, feindre de ne pas voir que tu es en train d’entrer dans l’histoire avec un poisseux sceau de l’échec à jamais gravé sur ton front. Tu connais désormais le seul mot, le seul mantra pour ta survie : dissidence ! Absolument !
PS : La direction de KOACI rappelle qu’un « koacinaute » n’est pas un journaliste de la rédaction de KOACI mais un contributeur inscrit ayant la possibilité de poster sur le site en vue d’une diffusion et ce dans une dynamique de libre expression plurielle.
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