Me Yawovi Agboyibo, Président national du CAR (Comité d’Action pour le Renouveau) a quitté 30 mai dernier le monde des vivants, créant dans les cœurs de sa famille biologique, politique et de tous les Togolais, désolation, regret et chagrin.
Les réactions fusent de partout. Certains, pour rendre hommage à l’homme, d’autres pour témoigner de ses actions. « Gbogbo ya gbo », « Bélier Noir », « la Méthode », « Pression-dialogue », « Sphinx des mystères et d’énigme » ou encore « animal politique », autant de surnoms collés à l’ancien Premier ministre dans les hommages.
L’immensité de l’homme amène même le journaliste Carlos Ketohou à le surnommer « Père de la démocratie togolaise ». Dans un message d’hommage, le journaliste a résumé la vie politique du disparu, surtout les affres subis dans sa lutte pour la démocratie au Togo. C’est en tout cas un parcours de combattant que nous vous permettons de redécouvrir.
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Me Yawovi Agboyibo, Mes hommages à un Sphinx des mystères et d’énigme…
J’ai détesté Maître Yawovi AGBOYIBO, parce que je n’ai pas compris le sens et la motivation de l’un des derniers communiqués du CAR à son initiative, appelant à arrêter toutes les mesures judiciaires contre Messan Agbéyomé Kodjo.
Bien entendu, il évitait la prison au candidat de la dynamique Kpodzro en demandant de privilégier une solution politique aux déboires du leader du MPDD.
Plutôt que de lui demander à lui-même le sens de ce geste incompréhensible, le courant ne passant plus bien entre nous, j’ai plutôt fait recours à un de nos amis communs qui le connaissait bien, vraiment bien.
Le vieux m’a réitéré que Yawovi Agboyibo, si je ne le sais toujours pas, est l’homme de tous les sacrifices, lorsqu’il s’agit d’obtenir un résultat politique.
Il est prêt au plus grand pardon, à la tolérance d’un ennemi ou un adversaire invétéré, s’il s’agit de mettre le système politique historiquement combattu, le RPT/UNIR en difficulté pour l’obliger à des concessions importantes.
Le parcours politique du Bélier noir se résume à ce va-et-vient dialectique : Concéder pour obtenir une concession, ou mettre la pression pour obliger à concéder…
Ma curiosité et mon étonnement donc, dans ce geste de Maître Yawovi Agboyibo à l’endroit de Kodjo AGBEYOME est symptomatique du séjour en prison en 2001 du leader du CAR.
Jeune journaliste de radio très engagé à l’époque et décidé à briser les tabous du journalisme conciliant et auto censeur par peur de Gnassingbé Eyadéma, j’avais bravé tous les épouvantails militaire, judiciaire et politique du vieux dictateur pour faire de l’arrestation arbitraire de Yawovi AGBOYIBO, le sujet phare des premières émissions interactives et de débats, journaux parlés et reportages politiques de radio privée au Togo.
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Cette audace et cette témérité étaient foncièrement menées sur Radio Victoire créée par feue Yta Jourias, une radio dont les émetteurs ont fini par être déménagés dans les locaux du Général Walla, alors ministre de l’Intérieur du gouvernement d’un Premier ministre dénommé Agbéyomé Kodjo.
Ironie du sort, Agbéyomé Kodjo, Premier ministre était notre bourreau à tous. Lui, n’avait pas ménagé son frère de Yoto dans les folies politiques à l’époque.
Avec hargne, détermination et persévérance, il avait porté plainte en diffamation contre Yawovi Agboyibo et l’a fait jeter en prison dans une satisfaction légendaire qu’on lui connaît lorsqu’il finissait d’accomplir une de ses basses besognes.
Messan Agbeyomé Kodjo avait développé des infrastructures meurtrières très nuisibles quand il était aux affaires, pour faire plaisir à son mentor, le Général Eyadéma et maintenir sa place.
La vie, la liberté ne serait-ce de son frère ne comptait pas. Il a donc jeté Yawovi Agboyibo en prison et a œuvré pour qu’il y demeure le plus longtemps possible….
Les stigmates de la prison, le leader du CAR les a trainés jusqu’à sa mort, sur la peau, sur le corps, sur sa vie politique et familiale, sur sa psychologie et surtout sur une santé alanguie qui vient de l’emporter.
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Jusqu’à sa mort donc, Me Agboyibo, très énigmatique, n’avait pas compris notre niveau de zèle et de rage à ouvrir nos antennes, celles de Radio Victoire à l’époque toutes les heures de la journée comme de nuit pour défendre sa cause et exiger sa libération. Il a demandé à sortie de prison à nous rencontrer pour mieux comprendre.
J’étais donc en binôme avec ce brillant garçon de la presse togolaise, allure paraissant dormante, mais intelligence analytique très active, je veux parler de Gilles Bocco. Tous deux, nous avons trainé nos bosses.
Premiers pas à Radio Galaxy (96 -2000), il fut mon Chef à Radio Victoire, et moi son Chef au journal Motion d’Information que le politicien Antoine Folly nous avait légué.
Nous avons, Gilles Bocco et moi allié le caractère d’animal à sang froid qu’il était et le bouillant débordant que je suis, pour tomber les mythes de la prédation de liberté par l’information.
Ce fut le début d’une grande amitié avec le Bélier noir, de Kodjoviakopé à Akodessewa, de Tokoin Trésor à Adéwi, de Lomé à Kouvé en passant par Ahépé dans sa préfecture d’origine et même à son domicile parisien de la Défense en France.
Yawovi Agboyibo m’a fait beaucoup de témoignages sur son parcours politique, ses relations avec Eyadéma, puis Faure, sa stratégie d’obtenir des reformes, sa conception des autres leaders, sa lecture de la vie, son goût parfois excessif pour la femme et la dimension philosophique de la fortune ; l’argent notamment.
Tous ces concepts ne s’éloignaient guère de la circonspection transcendantale de la chose spirituelle : rites, croyances, magie et vodous.
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Il était dense, assez dense pour quelqu’un qui a obtenu un baccalauréat scientifique pour étudier avec brillance le droit, discipline plutôt réservée aux détenteurs d’un BAC A, littéraire.
Par mémoire pour ce grand homme, je vais faire ce témoignage qui a bouleversé jusqu’à ce jour ma carrière d’homme de presse.
Un jour de samedi, après une de ces fréquentes rencontres à Kouvé avec les journalistes, rencontres qui finissaient par une dame-jeanne de Sodabi pour chacun, le Bélier noir me demanda d’attendre.
Après le départ des journalistes, il décida de monter dans ma banale voiture non climatisée pour un aller-retour Kouvé-Ahépé.
C’était un honneur, grand privilège pour un journaliste de la vingtaine que d’avoir à bord de son véhicule en intimité exclusive, un homme de la trempe de Maître Yaovi Agboyibo.
Au beau milieu de la route, il me demanda de m’arrêter. Sortis du véhicule, on était debout en plein air sous un palmier. Il sonnait déjà presque 21h.
Le Bélier de Kouvé me demanda de passer la main sur ses bras qui portaient naturellement des cicatrices et me confia que ce sont les traces de la prison. « Ne souhaite jamais ce lieu à ton pire ennemi…il faut être fort dans la tête pour revenir de ce lieu sain et sauf… ».
Ceux qui ont connu Agboyibo doivent sans doute redouter ses tapes affectueuses dans ses éclats de rire : elles sont violentes, elles font mal pour celui qui a la malchance d’être assis juste à côté de lui. J’en ai gouté autant de fois que nous nous sommes rencontrés.
Il m’encouragea à combattre l’injustice sous toutes ses formes même au prix de sa vie.
Nous avons poursuivi notre chemin. C’est là qu’il me raconta en détail ce qui l’avait conduit en prison.
Dans sa préfecture d’origine, précisément dans le Canton de Sédomé, (Yoto) sévissait une milice redoutable de 113 jeunes qui semaient la zizanie.
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Le baron de cette bande de criminels armée s’appelait Akomabou Kodjovi, leur mode opératoire se résumait aux cambriolages de nuits, aux vols armés, aux viols des femmes sous le regard de leurs maris, bref au grand banditisme.
La terreur régnait dans le Yoto. La milice se revendiquait d’un parrain, un homme politique originaire de Tokpli nommé Kodjo Messan AGBEYOME.
La goutte d’eau qui a débordé le vase et qui a obligé Maitre Yawovi Agboyibo à introduire une lettre au ministère de l’Intérieur citant nommément Agbéyomé Kodjo fut l’assassinat du responsable local du CAR, Koffi Kégbé Matthieu sous le regard de son épouse et de ses enfants. Crime de lèse-majesté, l’ancien Premier Ministre introduit une plainte en diffamation contre l’avocat des déshérités.
Yawovi Agboyibo a été humilié malgré les plaidoiries du collectif de 56 avocats, menotté et jeté en prison……PAUSE…. Pris d’émotion, il se ressaisit rapidement pour ne pas couler des larmes et m’offrit son légendaire éclat de rire…avec naturellement les fameuses tapes affectueuses…
Le même jour, autour de 23 heures, Yawovi Agboyibo, avec émotion m’a raconté un autre évènement politique qui l’a traumatisé, lui et sa famille politique.
Le 13 février 1994, entre les deux tours des élections législatives au Togo, trois cadres du parti du CAR et leur chauffeur ont été enlevés par des individus armés inconnus.
Après des séances d’interrogatoire musclé et de tortures, ils ont été conduits dans une villa à la résidence du Bénin pour faire des aveux à un « Seigneur » qui était venu les écouter : Agbéyomé Kodjo.
Les quatre personnes en larmes se sont jetées aux pieds du cadre du RPT originaire de Yoto pour lui demander pardon de leur préserver leurs vies. « Ne nous faites pas tuer….nous vous demandons pardon… » auraient ils supplié.
Le bâton de cigarette au bout et sans pitié, il leur lança s’il reconnaissait qu’il était leur frère avant de militer au sein du CAR et le désavouer auprès du Général Eyadéma. Devant les pleurs et les lamentations, il ordonna aux tueurs de les amener.
Le chauffeur, chemin faisant a réussi, dans la lisière des arbres sur le prolongement de l’Université du Bénin, à sauter de la voiture pour se terrer dans l’obscurité.
Les ravisseurs se sont arrêtés et ont arrosé d’une rafale les alentours, croyant l’avoir atteint avant de repartir.
Gaston Edeh, (Député élu du CAR), Ayité Hillah et Martin Agbénou seront découverts calcinés dans les alentours d’Agoué dans leur voiture.
Le chauffeur a nuitamment rejoint Maître Yawovi Agboyibo pour lui relater les faits.
Il sera extradé la même nuit par les soins du défenseur des droits de l’homme vers le Ghana pour se réfugier pour plusieurs années. « C’est terrible…. » S’exclama le Bélier noir
A la fin de ce récit, il sonnait minuit. Nos deux regards se croisèrent suite à le hululement d’un hibou dans le silence de cimetière qui planait sur le grand village de Kouvé.
Pour moi, il était l’heure, ou que je parte, ou que je dorme. Peine perdue, le Bélier noir me fit encore prendre le volant, dans des discussions à bâtons rompus. Je parlais peu, j’écoutais plus.
Massacres de Fréau Jardin,
histoire du fauteuil d’Eyadéma qu’il aurait fait disparaître,
histoires drôles, enseignements, conseils et puis du coup il me dit solennellement : « Carlos, je vais te faire vivre des mystères de l’Afrique », en Ouatchi, « Amlima ».
Nous avons parcouru les bois sur deux kilomètres avant de tomber sur un couvent en plein rituel. Castagnettes, incantations, feu ardent, danses et démonstrations de forces, c’était effarant.
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Maître était surpris de ma commodité dans ce spectacle inédit. Ce n’était pas nouveau, mon feu père le Forestier m’avait habitué à ces genres de scènes et de démonstrations magiques depuis le bas âge, malgré mon attachement à l’église catholique.
Jeter un poulet qui disparait dans un tronc d’arbre, ou préparer de la pâte dans une marmite sans fond, manger des braises de feu n’avaient rien d’extraordinaire à mes yeux, il fut surpris….Beaucoup de choses se sont passées…. Dans cette forêt de Kouvé…et on préfère dire hummmm sur tout ce qu’on vit dans le hounkpamé (Couvent)
Pour revenir, Yawovi Agboyibo est un homme de mystère et d’énigme. C’est un sphinx, clairvoyant, sorcier à la limite.
Je ne me gênerais plus de parler de ses exploits en faveur du peuple, des voix autorisées en parlent abondamment déjà… les droits de l’homme, la libéralisation du Sodabi, boisson locale, l’amnistie pour les exilés, le FAR et le COD, la CFD, le dialogue inter togolais qui a débouché sur l’accord politique global, la Primature, j’en passe.
J’ai de la peine à coller « Feu ou défunt » au nom de Maitre Yawovi Agboyibo. Il fut un maître, il fut fin, il fut calculateur, il fut stratège, il fut sarcastique mais l’obsession du pouvoir malgré son humanisme, le gout effréné de l’intérêt pour arriver à ses fins, le refus ou la réticence de la promotion de la jeunesse politique et les différentes dribbles d’adversaires m’ont éloigné de l’homme que j’ai toujours porté et critiqué sur le plan idéologique….purement idéologique. En politique, il était un animal redoutable.
Pour moi, la conviction, l’idéologie sont sacrées et devraient être constantes dans le temps et dans l’espace quels que soient les soubresauts. Me Agboyibo a quelque peu dévié à un moment, mais a gardé l’essentiel de l’idéologie. Je le lui ai dit.
Mais je retiens que malgré tout, Maitre Yawovi Agboyibo n’a pas tourné le dos, jusqu’à sa mort aux idéaux de la démocratie, de l’alternance, même s’il a toujours réussi à tirer son épingle du jeu, en politique, en société, en droit, en famille.
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Il fut proche de son entourage, des togolais, des déshérités, des peuples. En témoigne l’assistance et les soutiens apportés aux populations lors des décès et des funérailles.
Il était même présent de lui-même. A ce titre, même si je n’ai pas les compétences nécessaires pour le canoniser, j’avoue et j’ose PROCLAMER SOLENNELLEMENT QUE YAWOVI AGBOYIBO EST LE PERE DE LA DEMOCRATIE TOGOLAISE. N’en déplaise à quiconque.
L’évangéliste Jean a été le disciple qui a donné trop de zèle dans la description de Jésus. Il était trop fanatique de son Rabbi. Je refuse de m’apparenter à Jean de la Bible, face à la disparition de Maitre Yawovi Agboyibo.
Il a marqué son entourage, malgré tout, son plus fidèle disciple est mieux placé pour écrire un livre en son honneur, j’indexe Maître Dodji APEVON.
Maître, de là-haut où tu es désormais, reçois mes hommages de gratitude et d’affection à travers ces formules magiques dont tu connais les vertus….Daglamata Sossou…..Daglamata……….
Ces hommages, je les ai faits longs de peur qu’il qu’ils ne soient courts…
Repose en Paix, Cher Maître Appolinaire Madji Yawovi AGBOYIBO.
Carlos KETOHOU
Source : Togoweb.net