Chargé de favoriser le processus de paix, il aura surtout profité de sa position pour s’en mettre plein les poches. À la grande consternation des Palestiniens.
« Le bilan de Tony Blair ? Pour le coup, je n’aurai vraiment rien à dire ! » ironise en off un diplomate palestinien de haut rang, d’habitude plus bavard, au lendemain de l’annonce par le Financial Times, le 16 mars, que l’ex-Premier ministre anglais allait démissionner de son poste d’envoyé spécial du Quartet pour le Proche-Orient créé en 2002 (États-Unis, Union européenne, Russie et ONU). Le 27 juin 2007, le jour même où il quittait Downing Street, le leader travailliste avait accepté le rôle délicat de favoriser le processus de paix israélo-palestinien.
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Près de huit ans plus tard, la mission apparaît plus impossible que jamais, Benyamin Netanyahou, le grand vainqueur des législatives du 17 mars, ayant placé au coeur de sa campagne le refus d’un État palestinien, avant, certes, de faire marche arrière. Des colons israéliens continuent de s’installer par milliers sur les collines de Cisjordanie, la bande de Gaza a été ravagée par la guerre de juillet 2014, et la situation économique des Palestiniens ne cesse de se dégrader.
La faute à Tony Blair ? « Ceux qui ont travaillé avec lui disent qu’il n’a pas fait grand-chose. Mais il a fait ce que les dirigeants américains qui ont mis en place le Quartet attendaient de lui : faire survivre de manière très artificielle le processus de paix en échange d’une activité essentiellement consacrée à l’économie, un rôle d’étouffoir », constate l’historien et journaliste Dominique Vidal.
Robert Blecher, qui suit le conflit israélo-palestinien à l’International Crisis Group (ICG), suggère pour sa part que l’engagement résolu de son prédécesseur, James Wolfensohn, sur le terrain n’avait pas été plus productif : « Il avait fini par faire partie des meubles, perdant le respect des acteurs locaux. Tony Blair a pu vouloir adopter une approche plus distante mais qui n’a pas été plus efficace. »
Pluie de chaussures
Celui que le Premier ministre israélien Ehoud Olmert qualifiait en 2006 de « vrai ami d’Israël » n’a jamais eu non plus la confiance des Palestiniens, indispensable pour sa crédibilité de médiateur. « Larbin de Bush », il s’était déjà discrédité dans le monde arabe en engageant son pays dans l’invasion de l’Irak en 2003, et ses critiques radicales de l’islam n’ont rien arrangé.
En visite à Hébron en 2009, le Britannique avait été accueilli par une pluie de chaussures.
« Outre le soupçon d’un parti pris pro-israélien, la personnalité même de Blair déplaisait aux Palestiniens, qu’il a maintes fois mécontentés en s’attribuant des succès qu’ils estimaient leurs, poursuit Blecher. Il n’aurait pas dû se mettre en avant comme il l’a fait. » En visite à Hébron en 2009, le Britannique avait été accueilli par une pluie de chaussures.
Mais le plus grand reproche qui lui est fait est de s’être servi de sa carte de visite d’envoyé spécial pour faire de juteuses affaires. Depuis qu’il n’est plus Premier ministre, Blair aurait en effet accumulé une fortune évaluée à plus de 100 millions d’euros dans un ouvrage paru le 19 mars outre-Manche, « Blair SA, l’homme derrière le masque ». Conférencier hors de prix, consultant grassement rémunéré de grandes multinationales, à la tête de plusieurs sociétés et fondations, il aurait ainsi signé un contrat de 36 millions d’euros avec le gouvernement d’Abou Dhabi et toucherait 1,3 million de dollars (environ 1,2 million d’euros) par an de l’émir du Koweït pour ses conseils.
Ayant rencontré le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi en janvier 2014 comme envoyé du Quartet, il a convaincu le nouveau raïs de lui confier la mission lucrative de séduire investisseurs et diplomates.
Conflits d’intérêt
Les conflits d’intérêt ne semblent pas l’avoir effrayé : en Palestine même, il s’était félicité d’avoir obtenu l’autorisation israélienne de créer une compagnie de téléphonie mobile, Wataniya, et permis l’exploitation d’un champ gazier au large de Gaza par BG Group. Deux sociétés liées à la banque JP Morgan, qui l’emploie depuis 2008. « Il n’a pas trouvé de poste plus intéressant après avoir dirigé le gouvernement britannique pendant dix ans et il en a tiré un évident profit », note Dominique Vidal.
Un autre pourra-t-il mieux faire le job ? « Aucun besoin de le remplacer lorsqu’il partira, indique Robert Blecher, le Quartet a été créé pour donner l’impression que les Européens, les Russes et l’ONU ont un rôle plus important que celui qu’ils ont réellement dans un processus mené par les Américains. C’est l’architecture même des médiations entre Israéliens et Palestiniens qu’il faut revoir. »
Jeune Afrique