L’économiste Kako Nubukpo, très critique du Franc CFA, a été suspendu de son poste à l’OIF. Une décision dont le timing interroge, l’ancien ministre togolais n’ayant jamais caché ses prises de position hostiles à cette monnaie.
Coutumier des sorties médiatiques incendiaires contre le Franc CFA, l’économiste togolais Kako Nubukpo a été suspendu début décembre, comme l’a révélé Jeune Afrique, du poste de directeur de la Francophonie économique et numérique qu’il occupait depuis 2016 au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Justifiée par l’OIF par « l’incapacité » de l’intéressé à « respecter son droit de réserve », cette décision intervient après la publication le 29 novembre d’une tribune dans le Monde Afrique intitulée « Franc CFA : les propos de M. Macron sont “déshonorants pour les dirigeants africains” ».
« Rhétorique guerrière »
Dans le texte, l’ancien ministre de la prospective et de l’évaluation économique du président togolais Faure Gnassingbé s’en prend à la vision « imprécise et caricaturale » du Franc CFA exposée par Emmanuel Macron lors de son déplacement à Ouagadougou fin novembre. Il fustige la « rhétorique guerrière, à la limite de la courtoisie envers ses hôtes burkinabè » adoptée par le chef d’État français dont l’économiste juge les propos « déshonorants pour les dirigeants africains ».
La direction de l’OIF reconnaît avoir nommé l’économiste en connaissance de cause
La décision de l’OIF, si elle peut paraître soudaine, soulève plusieurs questions, tant les positions sur cette monnaie du chercheur à l’Université d’Oxford étaient connues avant sa nomination à l’OIF en 2016. Elles ont notamment été exposées dans un livre intitulé Sortir l’Afrique de la servitude monétaire : A qui profite le franc CFA ?, publié en octobre 2016, après la nomination de Kako Nubukpo.
La direction de l’OIF reconnaît avoir nommé l’économiste en connaissance de cause mais assure que le livre avait été rédigé avant son entrée en fonction et qu’elle ne pouvait donc pas en questionner la publication. Averti à plusieurs reprises par sa direction pour ses prises de position dans les médias, lors de la promotion de son livre ou au cours de conférences, il avait défendu sa liberté à s’exprimer sur le sujet, estimant que, puisque le Franc CFA est une monnaie, il était habilité en parler dans le cadre de son mandat à l’OIF.
« Servitude monétaire »
Avant d’être nommé directeur de la Francophonie économique et numérique de l’organisation, Kako Nubukpo était pressenti pour piloter le comité d’évaluation de l’Agence Française de Développement. Une nomination à laquelle le Trésor public français s’était opposé en raison des prises de position de l’intéressé.
Il avait accusé Lionel Zinsou d’être le ‘symbole même de la servitude volontaire’
Après avoir été ministre au Togo pendant deux ans, cet agrégé en économie formé à l’université Lyon-II a rejoint l’université d’Oxford en septembre 2015. Kako Nubukpo a également été chef de service au siège de la BCEAO à Dakar entre 2000 et 2003. Au cours de conférences publiques sur l’économie tenues à Lomé en février et mars 2015, l’ancien ministre suggérait que de nouvelles mesures soient prises pour favoriser la croissance au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa).
Le 6 septembre dernier, à l’occasion d’une conférence organisée à l’hôtel Marignan, à Paris, il s’en était ouvertement pris à l’ancien Premier ministre béninois Lionel Zinsou qui avait qualifié les opposants au Franc CFA de « populistes ». En réponse, l’économiste avait accusé l’ancien dirigeant béninois d’être le « symbole même de la servitude volontaire ».
Défense de Kemi Seba
Dans une tribune publié le 11 septembre dans Jeune Afrique intitulée « Franc CFA : contre la servitude monétaire », l’ancien ministre avait pris la défense de l’activiste franco-béninois Kemi Seba, qui avait brûlé un billet de 5000 Franc CFA lors d’un rassemblement à Dakar avant d’être expulsé du Sénégal quelques jours plus tard. « Ce n’est pas Kemi Seba qu’il aurait fallu arrêter, mais bien la conspiration du silence qui a longtemps prévalu autour de cet enjeu », avait alors écrit l’économiste.
Quelques jours plus tard, lors de l’Assemblée générale de l’ONU fin septembre, à New York, le président ivoirien Alassane Ouattara avait signifié à Michaëlle Jean, la secrétaire générale de l’OIF, en présence de leurs deux délégations, qu’il ne comprenait pas que Kako Nubukpo soit maintenu à l’OIF en dépit de ses prise de position sur le Franc CFA. Deux mois et demi plus tard, il sera donc suspendu après une nouvelle salve contre cette monnaie. Pas la dernière, à coup sûr, mais sans doute celle de trop pour l’OIF.
Jeune Afrique