Depuis longtemps, l’affaire du financement libyen de la campagne présidentielle de Sarkozy en 2007 fait couler beaucoup d’encre. Plusieurs questions restent en suspens: quelle motivation guidait le colonel? Pourquoi Sarkozy lui a-t-il tourné le dos? Dans une interview à Sputnik, l’interprète de Kadhafi, Moftah Missouri, livre des détails exclusifs révèle RIA.
Au lendemain de sa mise en examen dans le cadre de l’enquête sur les soupçons de financement libyen de sa campagne de 2007, l’ancien Président français Nicolas Sarkozy a assuré fin mars n’avoir «jamais trahi la confiance des Français».
Moftah Missouri, diplomate libyen et interprète officiel franco-arabe de l’ex-dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, dévoile dans une interview à Sputnik ce qui se cachait derrière l’affaire Sarkozy-Kadhafi et livre des détails exclusifs.
L’accord du colonel avec Sarkozy en détails
En 2005, le ministre français de l’Intérieur Nicolas Sarkozy s’est rendu en Libye et a rencontré non seulement son homologue libyen, mais aussi le chef de l’État libyen.
Leur conversation a duré une quarantaine de minutes, se souvient l’interprète. Le ministre de l’Intérieur a déclaré à Mouammar Kadhafi qu’il voulait se présenter aux élections présidentielles de 2007. «Il [Kadhafi] lui a dit: c’est un plaisir pour moi d’avoir un ami comme vous à la tête de la République française. On va vous encourager dans ce sens et on va vous soutenir», raconte M. Missouri.
Lorsque Nicolas Sarkozy a déclaré sa candidature, il avait un groupe appartenant à sa campagne électorale en charge du dialogue avec les Libyens. Ces discussions ont abouti à une sorte de lettre à l’adresse du Guide de la révolution qui faisant mention de la contribution libyenne à la campagne électorale du futur Président pour un montant de 50 millions d’euros. «Moi personnellement, je n’ai pas vu de mallettes portées par-ci par-là, je ne travaillais pas dans les rouages de l’administration libyenne», précise l’interprète.
«Quelques jours plus tard, la lettre est arrivée au bureau. Comme c’était lui qui décidait en fin de compte, il a coupé la poire en deux. Il a dit « il faut lui donner par exemple une vingtaine de millions »», se souvient l’interprète.
En réponse à la question de la journaliste française Delphine Minoui, Kadhafi a révélé qu’il avait réellement contribué à la campagne électorale du Président Sarkozy, sans donner le montant exact ce jour-là. «Le Guide lui a dit «eh bien, c’est simple, vous laissez vos coordonnées à l’ambassadeur Missouri et je vais vous faire parvenir le montant par le truchement de l’ambassadeur Missouri. Le lendemain il m’a dit verbalement et oralement de sa propre bouche qu’il s’était renseigné et que le montant était de 20 millions. Mais je ne sais pas s’il s’est trompé, par exemple en parlant en dollars ou en euros, je ne peux pas vraiment être sûr et certain de la devise.»
Les motivations et les désillusions de Kadhafi dans son alliance avec Sarkozy
Pour expliquer ce soutien financier, la presse avance parfois que le colonel a été guidé par la promesse de Sarkozy de retirer de la liste d’Interpol un proche de M. Kadhafi.
À la demande de Sputnik pour expliquer les motivations de Kadhafi, M. Missouri a listé les objectifs libyens sur la scène internationale:
«La Libye reste orientée vers l’Afrique, la Lybie avait des projets pour le continent africain comme le satellite africain QAF, comme le dinar nord-africain, comme l’armée unie africaine et plusieurs autres projets et investissements», déclare l’interprète, notant qu’en ce qui concerne la France, il s’agissait d’une «unité politique au moins dans le contexte politique [de l’époque, NDLR]».
Puis, le colonel Kadhafi s’est retiré du projet de Sarkozy pour une union méditerranéenne: le Président français voulait y inclure l’État hébreu tandis que Kadhafi lui a suggéré de laisser de côté toute la partie asiatique du monde arabe et d’inclure l’Égypte et la Grèce, explique l’interprète, avant d’ajouter: «Comme Sarkozy était vraiment très enthousiasmé par son projet et voulait inclure à tout prix l’État hébreu, le Guide s’est retiré».
Suite à l’invitation du colonel à Paris, plusieurs accords et contrats ont été signés, se souvient M. Missouri. «Et puis le Président Sarkozy est sorti voir la presse, (…) et il a dit « on a soudé ou scellé notre amitié par des contrats énormes »».
«Mais je pense que la Lybie a mis beaucoup de retard à s’exécuter et il se pourrait que le Président Sarkozy se soit senti humilié par rapport à son opinion publique, parce qu’il avait déclaré auparavant que les relations étaient au beau fixe et qu’il y avait une sorte de coopération très active sur le plan économique, scientifique, culturel, etc. C’est peut-être pour cela. Et le Guide y avait contribué, peut-être pour neutraliser la France en Afrique, peut-être pour s’assurer du soutien politique au moins de la France en ce qui concerne le projet du Nil.»
Néanmoins, M. Missouri précise qu’il ne connaissait pas la visée exacte du colonel et qu’il ne voulait pas entrer dans des analyses personnelles.
Quant à savoir si Kadhafi avait accepté l’accord avec Sarkozy pour retirer de la liste d’Interpol son gendre Abdullah Senoussi ou pour lever les restrictions économiques contre la Libye, M. Missouri ne donne pas de réponse claire, mais indique que les dirigeants libyen et français en ont parlé lors d’une rencontre.
Pourquoi Sarkozy s’est détourné du colonel
Moftah Missouri a mis en avance sa théorie de la rupture entre le colonel et le Président français.
«Je ne sais pas vraiment. Peut-être les raisons (…) que je vous ai citées: peut-être, le dinar, etc. Aussi, il y a une participation d’une compagnie française dans un secteur particulier, le secteur gazier. Il y avait un bloc 66, le bloc 66 qui est le bloc, je pense, le plus riche en gaz naturel. Et les contrats entre les deux pays stipulaient qu’aucun autre pays ou compagnie n’interviendrait. Et on s’est aperçu que le Qatar avait acheté un pourcentage de la compagnie Total et c’est pourquoi la Libye avait annulé le contrat», suppose-t-il.
Toutefois, M. Missouri admet que le Guide «toujours s’attendait à ce changement d’humeur, il a même dit que ce candidat à la présidence n’était pas vraiment dans son assiette.»
La couverture tronquée des évènements par la presse mainstream pointée du doigt
En ce qui concerne la couverture des événements en Libye en 2011, l’interprète a précisé qu’«il y avait plusieurs manifestations, pas une seule, à Tripoli, c’est ce qu’on appelait à l’époque les manifestations millionnaires. La guerre contre Kadhafi comprenait aussi la partie médiatique».
Quant aux informations transmises par des gens sur place affirmant que l’Otan bombardait des sites civils, les qualifiant de militaires, ignorées par les médias mainstream, l’interprète se souvient qu’«à l’époque, la télévision libyenne de son côté a largement couvert les bombardements et montrait les images. L’Otan a qualifié les frappes de « dommages collatéraux », mais s’est excusée une ou deux fois pour ces erreurs».
«La « communauté internationale », c’est-à-dire les pays qui contrôlent cette communauté-là, agressaient la Libye et ont violé le mandat donné par la résolution. La résolution parlait de l’établissement d’une zone de restriction de vols. Si un avion militaire libyen vole, décolle, il peut être abattu à tout moment, mais l’Otan a commencé à détruire tous les appareils libyens, même ceux qui étaient cloués au sol et même des vaisseaux qui n’étaient pas couverts par la résolution.»
Quels autres pays ont-ils bénéficié d’une aide financière du colonel?
«Si vous regardez le budget du ministère français des Affaires étrangères, vous allez vous apercevoir qu’il s’agit d’un montant de 2 milliards 700 millions d’euros, dont environ 800 millions qui sont alloués à la coopération et à l’aide bi- et multilatérale entre la France et les pays satellites. Ce n’est pas une pratique qui concerne simplement la Libye ou la France, c’était monnaie courante dans tous les pays», raconte l’interprète.
Selon lui, le colonel n’était pas très avare en ce qui concerne toute aide politique destinée à des pays latino-américains, asiatiques, arabes, européens, que ce soit de l’aide politique ou économique ou même financière.
Source : www.cameroonweb.com