Félix Boccovi et les Couleurs du Togo

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Félix Boccovi et les Couleurs du Togo

« Le 27 avril… J’admire toutes les couleurs de mon pays », chantait l’artiste-compositeur et musicien, Ayayi Félix Aurélien Boccovi, né le 21 février 1939 à Pointe – Noire au Congo-Brazza où travaillaient ses parents, et décédé le 5 octobre 2008 à Lomé. De toutes ces couleurs, un certain pouvoir basé sur la violence et la négation de la vie nous a éloignés.

Il faut écouter la voix des artistes, surtout quand ils sont morts, car c’est après leur mort que leur voix devient plus parlante, comme une voix d’outre-tombe.

Le samedi 4 mai 2019, j’ai entendu celle de Félix Boccovi. Une grande foule de Togolais et d’Africains, la famille du défunt, bien sûr, à la tête de laquelle se trouve Emmanuel Boccovi, et des personnalités du monde artistique telles que, la grande dame de la chanson togolaise, Fifi Rafiatou, le musicien Léon Amegan, membre de l’orchestre Bob Essien and his All Stars Band des années 60, le chanteur et guitariste antillais Jean Louis CELESTE, grand ami de Félix Boccovi.

Tout commença par une messe à la mémoire de l’illustre défunt togolais en l’église Notre-Dame de la Vallée d’Ermont, dans la région parisienne, puis ce fut à la salle des fêtes de la même localité la cérémonie d’hommage à l’artiste.

S’il m’était demandé de citer, de l’œuvre musicale et poétique considérable de Félix Boccovi, une phrase, un vers à léguer aux générations futures, spontanément et presqu’irrésistiblement, je me mettrais à chanter : « Le 27 avril, j’admire toutes les couleurs de mon pays ».

Je l’ai fait en ce jour d’hommage. Et presque toute la foule présente m’a accompagné. Nous étions tous, sur les ailes de cette chanson mythique, transportés au 27 avril, le premier, où l’on pouvait admirer, voire adorer, c’est-à-dire considérer religieusement, profondément, toutes les couleurs de notre pays. Non seulement parce que toutes les clôtures de maisons étaient badigeonnées ou re-badigeonnées à neuf, pour la circonstance, mais aussi avaient jailli toutes les autres couleurs physiques. Et morales. Toutes.

Une nation à l’horizon. Puis…

Du nord au sud, de l’est à l’ouest, celles de toutes les langues, de toutes les ethnies, de toutes les cultures, de toutes les cuisines, de toutes les coutumes, de tous les costumes… ce foisonnement de couleurs, de formes, d’arts, de goûts, de saveurs, ce jaillissement de la joie proportionnelle à l’endurance et au courage, rouge, dont le peuple a fait preuve pendant les longues années de lutte, cet élan porteur, comme l’étoile blanche du drapeau togolais, de l’espoir d’une nation à l’horizon, brillante et heureuse, l’or de l’humanité.

Bien sûr que le poète voyait aussi et adorait comme sacrées les couleurs naturelles de la terre, des sources, des fleuves, des cascades, de la mer, de la végétation luxuriante, des fruits… des pagnes, des tissages traditionnels, lokpo, kete, batakali aux couleurs chatoyantes… mais par-dessus tout et on n’insistera jamais assez sur ce point, ce sont les couleurs de vie… là où les couleurs riment avec les valeurs fondamentales de notre pays. C’est surtout à l’horizon que les couleurs de Félix Boccovi apparaissent. À l’horizon, c’est-à-dire à l’avenir.

Pourra-t-on jamais oublier que Félix Boccovi, sous le nom d’antenne de Tonton Félix, a été l’un des initiateurs et animateurs de l’émission radiophonique d’éveil des talents  » Le jeudi des enfants »? Dans son sillage, nous avons, à la Direction de la Troupe Nationale, lancé le FEMESCO, Festival des Meilleurs Spectacles Scolaires dans les disciplines du Théâtre, des Danses, de la Musique et des Arts Plastiques, en 1977, festival qui a connu sa douzième édition.

De ces couleurs, un certain pouvoir basé sur la violence et le sang, la négation de la vie et des valeurs nous a éloignés.

…La couleur du meurtre à la fin

Ce pouvoir qui, après avoir à plusieurs reprises éclaboussé la splendeur des couleurs que chante le poète, croit faire disparaître ces souillures abominables par des lois iniques, scandaleuses, s’accordant, sous un prétexte qui ne trompe plus la majorité des Togolais, de faire des réformes (parce que le peuple en réclame de vraies depuis des décennies), le prolongement de son propre règne vomi par la très grande majorité du peuple, et l’impunité pour ses propres crimes, lois votées par une Assemblée monocolore, c’est-à-dire dont la couleur de fond est celle du meurtre depuis 1963, assemblée peinte, donc dans la seule couleur qui la caractérise, celle de la violence.
Drôle d’Assemblée qui s’applaudit cyniquement de ses propres forfaits.

Drôle d’Assemblée honteusement triomphante ! Ainsi, par une gymnastique bien propre à ce pouvoir, crimes et lois peuvent cohabiter !

La chanson de Félix Boccovi célébrant les couleurs du 27avril nous interpelle ; elle est plus que jamais d’actualité. Ce sont les couleurs qui fondent la vie de notre nation.

Félix Boccovi, comme la plupart des artistes, avait une vision tournée vers l’avenir, dont les acteurs principaux sont les enfants et les jeunes. Ce que Félix Boccovi dirait aujourd’hui aux jeunes Togolais ? Retrouvez les couleurs du 27 avril ! Retrouvez les couleurs de l’avenir !

Et à tous, jeunes et vieux, hommes et femmes, quelles que soient nos appartenance politique, régionale, ethnique, sociale, avons-nous la force d’oublier un peu nos couleurs particulières, égoïstes, y compris celles de nos partis politiques, pour ne regarder que les couleurs authentiques du 27 avril selon Félix Boccovi ?

Sénouvo Agbota Zinsou
[14 mai 2019]

27Avril.com