La pratique du redoublement est encore fortement ancrée dans le système éducatif Togolais comme un mécanisme de tri devant permettre aux élèves concernés d’améliorer leurs résultats. C’est, en effet, au terme d’une année scolaire et après l’évaluation que la décision de faire reprendre la même classe à un élève est prise, et ce à la lumière des performances que ce dernier aura cumulé sur son bulletin. Cette pratique existe depuis que l’école a ouvert ses portes dans notre pays, mais elle n’a jamais été évaluée. Aujourd’hui, dans les écoles privées ce système est mis en veilleuse ce qui n’est encore point tout le cas dans les établissements publics.
Au travers de la réforme de l’enseignement promulguée par l’ordonnance n°16 du 6 mai 1975, le Togo a affirmé sa volonté de faire de l’éducation et de la formation, l’une de ses priorités. Les objectifs de cette réforme étaient d’aboutir à une école réellement démocratique qui offre des chances égales à tous les citoyens, une école plus efficace, plus rentable et adaptée aux réalités du pays. Mais aujourd’hui, l’éducation au Togo comporte plusieurs entraves dont le redoublement des classes. Loin de faire « l’apologie de la médiocrité », il parait aujourd’hui clair que des ré- flexions doivent être menées pour sortir l’éducation togolaise de la gadoue dans laquelle elle s’est trempée depuis plusieurs années. Ces réflexions pourront permettre de dépouiller le système éducatif des différents problèmes dont la pratique du redoublement qui est plus « une solution à problème » qu’une réponse idoine aux problèmes de l’échec à l’école.
D’après une étude portant sur la sociologie de l’évaluation scolaire, le redoublement est le plus souvent jugé inefficace par 83,8 % des professeurs de l’école primaire et par 62,5 % de ceux de l’école secondaire. « Le redoublement a toujours été important dans le système éducatif togolais; on compte par exemple une proportion de redoublants dans le primaire de 36 % en 1980 comme en 1990. Aujourd’hui, certes, ces chiffres ont baissé de façon notable, mais ils demeurent toujours à un niveau élevé avec une proportion de 24 % dans le primaire, de 18 % dans le premier cycle du secondaire et de 29 % dans le deuxième cycle », peut-on lire dans le Rapport national du Togo sur les enseignements primaire et secondaire établi en 2004.
En effet, ceux qui s’opposent au maintien de ce moyen de gestion du cursus scolaire argumentent que le redoublement accentue non seulement les difficultés de l’apprenant mais aussi celles des parents. Puisque, avancent-ils, les parents doivent encore mettre les mêmes moyens, voire plus, à l’endroit des enfants qui redoublent afin qu’ils puissent réussir. Ceci pose logiquement un problème économique pour les parents qui sont pour la majorité déjà cloués par les problèmes du quotidien. Le redoublement est ainsi envisagé comme un problème social en raison de son coût, de la reproduction des inégalités d’apprentissage et de son caractère « inefficace et injuste ».
De graves séquelles
Pour le sociologue, Philippe Perrenoud, « Le redoublement n’est qu’un indicateur incertain des inégalités d’apprentissage. Or, jeter le thermomètre n’a jamais fait tomber la fièvre ». En effet, une bonne analyse de la situation montre que le redoublement va à l’encontre même des capacités d’apprentissage et conduit l’élève à restreindre ses ambitions et à intérioriser durablement le sentiment de ses limites. Aux yeux des élèves redoublants, « le redoublement apparaît sans effet après plusieurs classes redoublées», dixit Komlan, un étudiant ayant redoublé la classe de Seconde. L’élève qui a redoublé reste le plus souvent exposé à de nouvelles difficultés scolaires. « Si l’élève peut progresser l’année du redoublement, puisqu’il refait le même programme, à long terme, le redoublement n’a pas d’effet sur les performances scolaires et a toujours un effet négatif sur les trajectoires », relève Assiobo Kodjotsé, un enseignant du Secondaire.
Au plan psychologique, le redoublement affecte négativement la motivation et le comportement des élèves, même s’il permet de refaire tous les cours. Il contribue à une identité de mauvais élève, de moins intelligent, non fait pour les études. Il est difficile pour certains d’accueillir une telle décision, de se sentir en situation d’échec et de retard scolaire.
Le redoublement inflige aussi un sentiment d’échec, une blessure profonde, une perte de confiance en soi et une dévalorisation : l’élève redoublant se sent impuissant. Et la pratique n’entraîne donc pas d’effets positifs. Les élèves en retard scolaire sont moins motivés et se sous-évaluent. C’est une pratique néfaste et un évènement douloureux à surmonter.
Aujourd’hui, des réflexions doivent être menées pour permettre à chacun d’avoir un minimum d’éducation dans le cadre de l’éducation universelle et de ne pas faire fuir les élèves ayant des difficultés. Aussi des solutions existent-t-elles et peuvent être mises en œuvre. De ce fait, on doit plafonner les effectifs dans les classes pour permettre aux enseignants d’individualiser leur enseignement et de suivre chacun des élèves en difficultés. Les établissements peuvent aussi structurer des programmes d’étude compensatoire en français et en mathématique en occasionnant de nombreux enseignements correctifs.
Vu que c’est dans « les langues et dans les matières scientifiques que les élèves qui redoublent ont le plus souvent des difficultés », les autorités en charge de l’éducation peuvent également réfléchir sur des programmes des formations de recyclage pédagogique et disposer ainsi au sein des écoles d’une bibliothèque adéquate où il y a tous les matériels scolaires nécessaires. Chaque enseignant peut voir comment adapter l’enseignement selon le rythme de chaque élève avec ses capacités intellectuelles. Il est vrai que le Togo, à ce jour, n’a même pas encore résolu les problèmes de salles de classes. Mais il n’est pas superflu de réfléchir dès à pré- sent à régler cet autre problème qui après tout, créé d’autres coûts à l’Etat.
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