Dossier Bolloré: Alpha Condé, le président guinéen sort de sa réserve

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Le président guinéen, qui ne s‘était pas encore publiquement prononcé dans le cadre de l’affaire Bolloré, vient de briser le silence. Le numéro 1 guinéen est dans tous ses états. Il compte déposer une plainte en France pour ‘‘dénonciation calomnieuse’‘. Cette décision semble aller à contre-courant de celle de son ministre de la Justice, qui exprimait pourtant son désir de ‘‘collaborer avec la France’‘. Les détails.

Ce jeudi, face à la presse (dans le cadre de la journée mondiale pour la liberté de la presse), le président Condé s’est exprimé sur l’affaire Bolloré, du nom du milliardaire français mis en examen pour ‘‘corruption d’agent public étranger’‘, ‘‘complicité d’abus de confiance’‘ et ‘‘faux et usage de faux’‘.

C’est surtout le récent classement de Reporters sans frontières qui a fait réagir monsieur Condé. Classée par l’ONG à la 104e place en termes de liberté de la presse, la Guinée voit son image ternie. Le président Condé (qui accuse les journalistes de son pays de salir l’image de la Guinée) à quant à lui fait un parallèle avec le dossier Bolloré.

‘‘Aucun de vous n’a cherché ici à savoir quelle est la vérité. Je vais porter plainte en France pour dénonciation calomnieuse. J’ai décidé de porter plainte, mais vous qu’est-ce que vous faites ? Vous continuez à casser l’image du pays’‘, a-t-il lâché face aux journalistes.

Quant à la question de savoir quand, et surtout, contre qui monsieur Condé compte porter plainte, maître Boucounta Diallo, l’un de ses avocats, répond comme suit : ‘‘il faut d’abord être certain d’obtenir une décision définitive des juridictions françaises qui pourraient aller dans le sens d’innocenter les personnes qui étaient visées.’‘

Et le juriste d’ajouter qu’‘‘à partir de là, ces personnes sont fondées à poursuivre en justice pour dénonciation calomnieuse les auteurs de cette plainte. Mais il est nécessaire de disposer des éléments du dossier qui, pour le moment, à cause du secret de l’instruction, sont forcément indisponibles’‘.

Mais ce combat d’Alpha Condé s’annonce improbable. En effet, son action risque de ne rester qu’un rêve si sa plainte est rejetée, classée sans suite ou encore, si les accusés sont blanchis par une décision de justice. Le tout, à l’issue d’une procédure qui pourrait s‘étendre sur des mois, voire, des années.

Pour rappel, Vincent Bolloré, le richissime homme d’affaires français, a été mis en examen (inculpé) dans le cadre des conditions d’obtention de la concession du terminal à conteneurs du port de Conakry. Terminal attribué au groupe Bolloré par décret présidentiel en mars 2011.

C’est en 2004 que le businessman français gagne ses véritables galons en terre africaine dans le très lucratif secteur portuaire. L’homme se fait une réputation et une place de choix d’abord aux Ports autonomes de Douala (Cameroun) et d’Abidjan (Côte d’Ivoire).

La présence de Bolloré en Guinée
En à peine quelques années, Vincent Bolloré étend son immense empire du Gabon à la Côte d’Ivoire, en passant par le Gabon et la Guinée. Une telle hégémonie a bien sûr fini par soulever des interrogations sur la manière dont l’empire Bolloré s’est construit.

Remontons à l’année 2008, lors de l’affaire relative à la concession du port de Conakry. L’affaire est dans le sac pour Necotrans (groupe français), qui a rafle la mise pour une durée de 25 ans. Mais en 2011, coup de théâtre ; le contrat attribué à Necotrans est remis en question par un décret présidentiel.

Le groupe est finalement mis à la porte par l’armée, seulement trois mois après l’arrivée au pouvoir d’Alpha Condé. Un long bras de fer judiciaire oppose le groupe Bolloré à Necotrans. Les deux protagonistes se mesurent devant les cours arbitrales (CCJA et Cirdi), ainsi que la justice française.

En 2013, suite à une plainte de Necotrans, le groupe Bolloré est sommé par le tribunal du commerce de Nanterre de verser la coquette somme de 2,1 millions d’euros à Necotrans. Cela, au titre des ‘‘investissements effectivement réalisés’‘ et qui ‘‘ont bénéficié au nouveau concessionnaire’‘.
Cependant, les décisions judiciaires ne se font pas qu’au détriment du groupe Bolloré. La Guiné est elle aussi sommée par la CCJA de verser à Necotrans la faramineuse somme de 38 millions d’euros. Décision qui sera finalement annulée. Plus tard, en 2016, le Cridi se prononce sur la résiliation par la Guinée de la concession accordée à Necotrans. Résiliation qu’il juge irrégulière. En octobre de la même année, Necotrans jette l‘éponge, abandonnant ainsi la bataille contre le groupe Bolloré.

Avant la Guinée, l’entreprise du milliardaire français s’illustrait déjà au Togo. En 2001, Progosa (groupe franco-espagnol), fondé par Jacques Dupuydauby, un ancien associé de Vincent Bolloré, obtient des contrats de manutention au port de Lomé. Mais en 2009, les choses se compliquent pour le groupe franco-espagnol, qui se voit brusquement évincé par les autorités togolaises.

L’empire Bolloré en Afrique subsaharienne francophone
Le nouveau bénéficiaire de cette décision de Lomé ? Le groupe Bolloré Africa Logistics (BAL), qui décroche un contrat d’une durée de 35 ans au terminal à conteneurs de Lomé (Togo Terminal). Craignant de se retrouver dans les geôles togolaises, Jacques Dupuydauby plie bagage et regagne rapidement la France. En effet, le 7 septembre 2011, il est condamné par le Togo à 20 ans de prison et à verser une amende de 31 milliards de FCFA (environ 47 millions 700 mille euros) pour fraude fiscale, complicité de fraude et escroquerie.

Les ennuis de Dupuydauby se poursuivent en Espagne, où la Cour suprême (qui confirme une décision du tribunal de Séville) le condamne à 3 ans et 9 mois de prison ferme, doublé d’une amende de 10 millions d’euros de dommages et intérêts au profit du groupe Bolloré.

La puissante machine Bolloré s’est de même manifestée au Cameroun, où il a fait en 2008 l’objet d’une plainte pour favoritisme. Plainte déposée auprès de la justice camerounaise par le même patron de Progosa, Jacques Dupuydauby. En 2004, après les résultats de l’appel d’offres relatif à la concession du terminal à conteneurs du Port de Douala, c’est la levée de boucliers, suivie de nombreuses arrestations de responsables dudit port. Mais en 2018, soit deux ans avant a fin du contrat obtenu par Bolloré, la direction du Port autonome de Douala décide la renégociation de la concession.

Au Gabon, en 2014, Bolloré Africa Logistics (BAL) (détenteur exclusif des concessions depuis 2007, et ce, pour 20 ans) est écarté du terminal d’une filiale d’Olam (entreprise singapourienne). En cause, le non-respect des engagements financiers du groupe français. Mais l’entreprise du milliardaire ne se laisse pas faire. Elle attaque le gouvernement gabonais. Finalement, un accord est trouvé en 2017 sur un partage des activités de manutention sur le New Owendo International Port (NOIP).

En Côte d’Ivoire, là encore, Bolloré Africa Logistics (présent dans le pays depuis 2004) se taille la part du lion, décrochant l’exclusivité des activités du second terminal à conteneurs du Port autonome d’Abidjan. L’ex-ministre ivoirien du Commerce, Jean-Louis Billon, critique ce choix de l’ancien président Laurent Gbagbo. Certains parlent même de contrat obtenu sur la base du gré à gré.

Au Sénégal, le groupe Bolloré se voit écarter des quais du Port de Dakar à la surprise générale en 2007, après 80 années de domination. Malgré la débauche d‘énergie déployée par le riche homme d’affaires français (qui active tous ses réseaux), c’est l’émirati DP World qui obtient les faveurs des autorités dakaroises.

Ce choix met Bolloré en rogne et refroidit les relations entre Dakar et le groupe français. Relations qui ne seront à nouveau réchauffées qu’en 2013, lorsque Bolloré Africa Logistics obtient le contrat du terminal roulier du port de Dakar.

Source : www.cameroonweb.com