Le 12 novembre 2020, lorsqu’est tombée la nouvelle du décès de J.J. RAWLINGS, beaucoup d’Africains se sont sentis comme orphelins, comme abandonnés par un parent proche sur qui on comptait pour continuer le chemin.
Pourquoi ? Et particulièrement, en ce moment, qu’est-ce que RAWLINGS aurait pu faire pour nous, en Afrique, au Togo, s’il était vivant, au-delà des conférences qu’il donnait, des médiations qu’il conduisait de temps en temps ?
Directement, sans doute pas grand-chose, mais indirectement beaucoup. En effet, c’est une figure qui devrait inspirer beaucoup de jeunes et les inciter à s’engager par admiration pour cet homme. En fait, il y a certainement des personnes qui ne l’admirent guère, ou qui préféreraient qu’on ne l’admire pas. Ainsi en est-il de certains média occidentaux qui le présentent comme l’ami de KHADAFI et de Fidel CASTRO, avec une nuance négative. Mais ces personnes pourraient-elles dire ce qui pouvait expliquer l’admiration de RAWLINGS pour CASTRO, par exemple ? Certainement ce qui a poussé quelqu’un comme CHE GUEVARA à s’enrôler dans les troupes castristes en 1955 :
- la reconnaissance du bien-fondé de la lutte contre la dictature au pouvoir à Cuba, dictature soutenue par l’impérialisme occidental ;
- le partage de l’importance du choix des plus pauvres.
De même qu’est ce qui pouvait attirer RAWLINGS en KHADAFI, sinon le désir qu’avait ce dernier de résister à la monarchie libyenne soutenue par les Occidentaux, monarchie qui faisait pourtant l’objet d’un profond mécontentement populaire.
A ceux-là qui présentent RAWLINGS, juste comme un jeune militaire ambitieux au moment de sa prise de pouvoir, il faudrait rappeler quel était l’état de son pays, le Ghana en 1979. Les militaires y étaient au pouvoir depuis 1972, et le pays était ruiné par une corruption à haute échelle. Il fallait donc, selon les mots mêmes de RAWLINGS, nettoyer le pays des responsables de cette pollution. C’est ce qu’il a fait, avec une certaine violence, reconnaissons-le, avant de rendre le pouvoir aux civils. Mais en 1981, constatant que la corruption était toujours présente il refait un putsch. Il reste au pouvoir. Toutefois, fidèle à la Constitution qu’il avait fait voter lui-même, il se présente aux élections de 1992, accomplit deux mandats, et quitte le pouvoir en 2001, de manière pacifique, et fait rare en Afrique, il assiste à la prestation de serment de son successeur.
Ainsi, ce qui pourrait inspirer les jeunes, c’est :
D’abord le patriotisme de RAWLINGS, patriotisme comparable à celui de MANDELA ou SANKARA, des hommes qui ne pouvaient pas supporter la misère de leur peuple, qui n’ont pas hésité à donner le meilleur d’eux-mêmes pour leur pays.
Mais aussi pour le continent africain dont ils étaient fiers d’être des ressortissants. Le moment venu, ils n’ont pas hésité à prendre leurs responsabilités dans des choix peut-être contestables, MANDELA en soutenant la lutte armée, RAWLINGS en organisant des coups d’état. Mais le moment venu, ils sont quand même revenus au choix d’une gouvernance démocratique qui exige l‘acceptation de l’alternance. Cela demande une grande humilité car, comme l’a dit RAWLINGS « C’est assez facile de prendre le pouvoir, ce n’est pas très compliqué de le garder, le plus difficile c’est de le quitter » (AFP, 2007)
Cette humilité manque certainement dans la classe politique togolaise mais aussi à tous les niveaux du système. L’éducation nationale en est un exemple frappant :
- la gestion des Enseignements Primaire, Secondaire, Technique et la présidence de la plus grande Université du pays (UL), sont aux mains d’une seule et même personne ;
- le Vice-Président de l’Université de Kara dirige en même temps l’Ecole Nationale d’Administration qui se trouve à Lomé ;
- l’ex Premier ministre lui-même a pris en charge durant plusieurs mois le portefeuille de l’Education Nationale ;
- le Ministre de l’Enseignement Supérieur est en même temps Doyen de la Faculté des Sciences de la Santé, qui dépend du Président de l’Université de Lomé.
Entre ces deux personnes, on se demande comment le responsable du protocole règle les questions de préséance ?
La même question se pose pour le Directeur de l’Ecole Nationale des Auxiliaires Médicaux qui est en même temps son propre ministre au niveau de la Santé et en tant qu’enseignant-chercheur, le Ministre–Directeur est sous l’autorité du président de l’Université de Lomé et donc sous le ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.
Comment cela est-il possible dans un pays où la population est si jeune ? Ou bien, manquerions-nous de compétences à ce point ? Nous ne le pensons-pas.
Ou bien serait-ce parce que la confiance ne règne pas dans les sphères du pouvoir ? Ainsi on ne saurait sur qui compter pour tenir tel ou tel poste important, et alors on se contenterait de la petite troupe de fidèles dont on est sûr et ils sont donc prêts à tout faire.
La question qui se pose est de savoir si le cumul de tant de responsabilité ne se fait pas au détriment de l’efficacité.
Il reste cependant une dernière question : et les personnes qui cumulent ces responsabilités, comment peuvent-elles accepter une telle situation ? Seraient-elles convaincues que personne d’autre n’a les compétences pour les remplacer dans l’un ou l’autre des postes ? Ou bien serait-ce pour s’assurer une solution de rechange si cela n’allait pas dans le nouveau poste ?
Au Togo, tout le monde le sait, ces postes où on est nommé, sont des postes politiques et par conséquent on peut être éjecté à tout moment. Qui peut être sûr, dans un tel contexte, qu’il gardera son poste ?
Cette acceptation des cumuls peut aussi s’expliquer par des raisons financières. Mais ces questions sont tellement opaques, qu’il vaudrait peut-être mieux pour nous ne pas les aborder sans informations précises.
Cependant personne ne pourra nous convaincre que lorsqu’on accepte de tels cumuls c’est par esprit de sacrifice, parce qu’on n’a pas pu faire autrement, par un choix digne d’admiration finalement. En fait, qui admirerait de telles personnes serait aussi prêt à reproduire ce qui fait le malheur des citoyens togolais aujourd’hui : rester en place parce qu’on ne désire pas laisser quelqu’un d’autre mener la barque.
Lomé, le 20 novembre 2020
Maryse Quashie et Roger E. Folikoue
Source : 27Avril.com