Dévolution monarchique du pouvoir : Au nom du père… et des fils

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Dévolution monarchique du pouvoir : Au nom du père... et des fils

Dans son ouvrage « La Chine m’inquiète » publié en 2008, Jean Luc Domenach, spécialiste de la Chine, fait le décryptage de ce qu’il nomme une « aristocratie dangereuse » issue des plus hauts rangs du parti communiste chinois. En Chine, l’expression « prince rouge » ou fils de prince, selon l’encyclopédie wikipédia, désigne les descendants des hauts dirigeants du parti communiste chinois qui accèdent aux pouvoirs politique, économique et militaire de la République populaire de Chine. Ces princes bénéficient des facilités et leur ascension s’en trouve accélérée. Les descendants des dignitaires du PCC, ayant pris les pouvoirs politique et économique chinois, ont suivi les mêmes écoles, se marient entre eux et présentent les plus grosses fortunes d’Asie. Ils représenteraient près d’un tiers de la classe politique en Chine. De plus, de nombreux enfants des chefs du Parti communiste chinois étudient à Harvard ou dans les grandes universités américaines et occidentales. L’expression prince rouge désigne les enfants, au sens large, des hauts dignitaires du PCC ( parti communiste chinois), c’est-à-dire leurs fils, leurs filles, mais aussi les gendres, les brus, fils ou filles adoptifs. Xi Jinping l’actuel président de la Chine depuis 2013 et qui rêve depuis quelques semaines d’une présidence à vie, est l’illustration parfaite du parcours d’un prince rouge. Loin de la chine communiste, quelque part sous les tropiques, dans un pays appelé le Togo, sous une dictature cinquantenaire, on observe de plus en plus des méthodes de gouvernance identiques au phénomène des princes rouges en Chine.

Au nom du père et des fils

Depuis la prise du pouvoir sanglante de Faure Gnassingbé en 2005, ceux et celles qui ont été appelés aux responsabilités à la tête du pays civils, comme militaires, proviennent en majorité de la nomenklatura du RPT. A priori, il ne pouvait en être autrement, puisque le but recherché est la consolidation d’un pouvoir usurpé qu’on tient à garder par tous les moyens dans le giron familial, et dans une moindre mesure au sein du parti. A l’instar de la Chine, le Togo a aussi ses princes rouges qui ont fait main basse sur tous les secteurs du pays. D’abord en politique, dans l’armée et depuis quelques années, dans le milieu des affaires. Cette caste qui vit généralement en dehors des réalités quotidiennes a instauré dans le pays une corruption systémique dont elle est le véritable symbole. La nomination cette semaine de Lekpa Antoine Gbegbeni, beau-frère de monsieur Faure Gnassingbé , fils d’ancien ministre d’Eyadema au poste de ministre de l’Eau,de l’Assainissement,et de l’Hydraulique villageoise relance le débat de l’accaparement de tous les pans de décision du pays par ceux dont les parents ont créé ce système monstre qui écrase les Togolais depuis plus de 50 ans.

La famille Gnassingbé et alliés

En jetant un coup d’œil sur le site de la présidence de la République togolaise, on peut se faire une idée de la concentration du pouvoir dans les mains de la famille Gnassingbé. Outre Faure Gnassingbé Président de la République, ministre de la Défense et des Anciens combattants, on trouve d’autres de la même fratrie avec des titres de conseillers ou chargés de mission. Mey Gnassingbé, Laladom Gnassingbé, Docteur Afeingnindou Gnassingbé, Mlle Yvonne Gnassingbé, pharmacienne épouse Azoumaro, sont à classer dans cette rubrique. Non loin de là, à l’Agence nationale de promotion, de garantie et de financement des PME/PMI (ANPGF) , c’est Naka Gnassingbé épouse de Marcel de Souza, le Président de la Commission de la CEDEAO récemment débarqué, qui est aux commandes. Dans d’autres secteurs, y compris l’armée, les Gnassingbé tiennent en bonne place.

Antoine LekpaGbegbeni ministre de père en fils

C’est le dernier à sortir de l’ombre pour les projecteurs. Ancien administrateur de la SGGG, avec tout ce que l’on sait de la faillite de cette société, il était depuis quelques années DG de la Togolaise des Eaux ( TDE), sans pouvoir donner suffisamment d’eau aux populations de la capitale, désormais abonnées aux forages. Depuis ce mardi 27 février, il est fait ministre de l’Eau, de l’Assainissement et de l’Hydraulique villageoise par son beau-frère Faure Gnassingbé. Mari de Nathalie Gnassingbé, la sœur de Kpatcha Gnassingbé dont la libération est réclamée par la Facilitation du dialogue, cette promotion est beaucoup plus un geste en direction des Konkomba qui réclament une place d’un des leurs à la mangeoire qu’un clin d’œil à Kpatcha Gnassingbé. Une précision de taille, le père d’Antoine Lekpa Gbegbeni Nanameli Gbegbeni, fut ministre sous le régime de feu Gnassingbé Eyadema.

Ogamoh Bagna et fils

Ogamoh Bagna est l’un des supposés sages du parti UNIR (sic !). Son nom seul symbolise la gabegie, l’enrichissement illicite, le pillage et la faillite de plusieurs sociétés d’Etat. L’ancien instituteur des années 1960 à Tchitchao, passé ministre de l’Intérieur, est devenu le plus grand milliardaire du Togo sans avoir hérité de ses parents ni de ses grands-parents. Sa fortune s’est accumulée au fur à mesure que les sociétés d’Etat dont il avait la responsabilité (OPAT-OTP) tombaient les unes après les autres en faillite. Il a préféré plutôt planquer son magot dans les sociétés à l’étranger, et parfois dans certains paradis fiscaux, que d’investir dans sa localité d’origine où les populations peinent encore à trouver de l’eau potable ou à avoir des écoles décentes pour les élèves. Ogamoh Bagna, c’est le genre de personne qui ne prend jamais de retraite. Il s’est dans la dernière période illustré à la CVJR où il a fait les pieds et les mains pour, là encore, prendre les petits marchés de livraison de sandwich pour sa boulangerie située au GTA. Un confrère avait même révélé que les sandwichs servis à la CVJR étaient avariés. Le fameux sage d’UNIR s’est récemment battu pour que son fils, Michel Bagnah, pour la société Theolis puisse obtenir une licence pour la fourniture de l’Internet, dans une procédure d’attribution des plus obscures. En pleine crise de succession en 2005 avec des appels à la démission de Faure Gnassingbé qui venait de perpétrer un coup d’Etat constitutionnel spectaculaire, certains génies de l’ombre ont même suggéré la nomination au poste de Premier ministre de Michel Bagnah. Le patriarche Bagnah malgré son âge, reste toujours solide lorsqu’il s’agit des affaires. Il est toujours à l’affut des opportunités et n’hésite pas à plaider pour ses progénitures. La société de sa fille décédée, Bamondi, a toujours auprès de la SALT un contrat de gestion des hôtesses de l’aéroport. Cette société est aujourd’hui dirigée par la petite fille du patriarche qui a pris la suite de sa mère. On est déjà à la troisième génération.

Yao Kunalé Eklo et fils

Feu Yao Kunale Eklo, c’est l’homme de la propagande du système RPT au bon vieux temps du parti unique. Lorsque feu Eyadema Gnassingbé a ramené du Zaïre de Mobutu Sesseko la fameuse animation populaire et tout le reste qui allait avec, au nom du retour à l’authenticité, c’est à Kunale Eklo, Djoko Amados et bien d’autres qu’est revenue la responsabilité de ces pratiques avilissantes qui ont contribué à faire tomber en faillite plusieurs sociétés dont l’usine textile de Datcha. Surnommé « Ablo 5 millions, piment 10 millions » pour sa propension à surfacturer les choses, celui qui fut ministre de l’Intérieur de feu Eyadema n’a pas lésiné sur les moyens pour la pérennisation du système. Tellement puissant à l’époque, Secrétaire Exécutif du RPT (Rassemblement du peuple togolais), tous les natifs de Wawa ne pouvaient obtenir le moindre poste de responsabilité sans l’accord du natif de Tomegbé. Naturellement, ses fils, à l’exception de Magloire, opposé au système et mort en exil , ont bénéficié du système et se sont formés à l’extérieur dans les grandes universités occidentales. L’un d’eux, Robert Eklo, un des promoteurs de la société Theolis, est l’ami de longue date de Faure Gnassingbé. Il est d’ailleurs le seul à connaitre la vérité sur le cursus académique du Prince lorsqu’ils étaient ensemble à l’Université de Georgetown aux USA. Sa langue trop pendante sur cette question à l’époque où il bossait dans une société pétrolière dirigée par un certain Papali, lui a valu des ennuis avec Faure au point où il a dû prendre la poudre d’escampette. Revenu en grâce depuis un temps, il est associé au fils Bagnah dans la société Theolis, nouveau fournisseur de l’Internet.

Colonel Assih Agossoye et fille

Ancien Directeur général de la Gendarmerie, chef des renseignements, cet officier a dû prendre le chemin de l’exil après des soucis avec le Général Eyadema sur plusieurs sujets. De loin, selon plusieurs sources, l’homme n’avait pas rompu le cordon qui le liait avec son frère de village. Mais il n’a décidé de rentrer qu’à la mort de ce dernier. Depuis, il a repris service dans la discrétion, mais sans une fonction officielle. Sa fille, AssihManzamaesso, chef de la cellule assurance du FNFI ( Fonds national de la finance inclusive ) a été faite depuis quelques mois Secrétaire d’Etat auprès du ministère du Développement à la Base chargé du FNFI.

Tevi-Benissan père en fils

Patrick Date Tevi-Benissan, c’est le très discret Secrétaire général de la Présidence, même si récemment on l’a aperçu dans une vidéo aux cotés de dames Tomegah et Madougou en train d’esquisser des pas de danse sur la musique de Koffi Olomidé. Ce n’est pas un homme qui est arrivé dans le marigot du RPT-UNIR par hasard, même s’il évite de s’afficher trop politique, préférant envoyer à l’opinion son image de technicien. Son père, Jean Tété Tevi-Bénissan fut Directeur Général des douanes, plusieurs fois gouverneur du Togo à la BAD, à la BECEAO, au FMI et enfin plusieurs fois ministre de l’Economie et des Finances de Gnassingbé Eyadema. Ceux qui connaissent le père affirment qu’il se serait bien servi dans les caisses de l’Etat avant de prendre le large pour les USA et le Canada plus tard. Plus de deux décennies après, voici le fils Tevi-Benissan au service du fils de celui qui avait fait de son père un ministre de la république.

Fambare Ouattara Natchaba et fils

Est-il encore à présenter ? Peut-être oui. Idéologue du régime, incarnation du machiavélisme, Fambara Ouattara Natchaba alias « Nous au RPT on prend tout » était et demeure à ce jour l’un des piliers de la dictature au Togo. Juriste, professeur d’université de son état, l’homme a occupé presque tous les postes stratégiques du pays, à l’exception de la présidence de la République. Directeur de cabinet de la présidence, plusieurs fois ministre dont celui des Affaires étrangères, Président de l’Assemblée nationale, c’est la « grande gueule » du régime qui ne manquait pas d’arguments face aux opposants et sur les médias. De Colmar à Ouagadougou et de Ouagadougou à Paris ou ailleurs, il fait voir de toutes les couleurs aux leaders de l’opposition. Avec lui au front Gnassingbé Eyadema pouvait rester tranquille à Lomé, tant l’homme était l’incarnation du machiavélisme en personne et avait toujours un tour dans son sac.

En février 2005, alors qu’il était Président de l’Assemblée nationale, absent du pays pour soigner ses yeux à Paris, Gnassingbé Eyadema meurt subitement. Dauphin constitutionnel qui devait assurer l’intérim, il saute dans le premier avion pour Lomé. Mais il n’arrivera pas à bon port. Les putschistes d’alors détournent son avion vers Cotonou d’où est extrait Charles Debbasch, le mercenaire en col blanc qui est acheminé à Lomé par la route. FambaréNatchaba qui était aux portes de la Présidence après tant de services rendus au régime, fut contraint de rester à Cotonou par les siens qui procédèrent à sa destitution en quelques minutes. Privé de son poste de dauphin constitutionnel au profit de Faure Gnassingbé, l’homme victime, des méthodes de son propre régime, s’est répandu en déclarations sur les médias, allant jusqu’à soutenir le mot d’ordre de retour à l’ordre constitutionnel de l’opposition. Ses vociférations n’ont pas eu d’échos auprès de ses amis de Lomé II qui ont cyniquement fermé sa page. Il fut ensuite cuisiné par plusieurs missions dépêchées à Cotonou. Se sentant en danger après avoir été informé d’un plan de liquidation de sa personne au retour, il sollicita des garanties et est ramené au pays comme un colis par l’ancien Président du Bénin Mathieu Kérékou. C’est l’arroseur arrosé qui est vite rentré dans les rangs, surtout que le système auquel il appartient a conservé tous ses avantages.

Pendant que le père est encore dans l’ombre en train de soutenir le système, le fils Malick Kanka-Natchaba a pris la relève. Ephémère Directeur Général de la SALT (Société aéroportuaire de Lomé-Tokoin), il est, depuis, Conseiller à la présidence, président de la jeunesse du parti UNIR. Ceux qui ont aperçu le fils Natchaba dans la délégation d’UNIR pour le dialogue se sont vite rappelé les exploits lugubres et les coups de boutoirs du père au processus démocratique amorcé dans les années 1990 au Togo.

A cette liste, on peut aisément ajouter Cina Lawson dont le père Francisco, officier de son état, était dans le système avant de partir en exil, les Amados Djoko, l’ancien ministre des Poste et Télécommunication Kokouvi Dogbé dont le père 20 ans maire de Kara a fini ministre de l’Agriculture sous Eyadema, et bien d’autres.

Cet exerce n’est en réalité que la partie visible de l’iceberg, la réalité est encore plus révoltante et choque toute conscience. Ce réseau de copains et coquins, cette coterie aux actions néfastes pour le pays s’étend dans l’armée où le même schéma est reproduit, dans le seul but de maintenir le système. Dans la grande muette aujourd’hui, plusieurs officiers à la tête des unités opérationnelles et des casernes avaient pour géniteurs des compagnons de feu Gnassingbé Eyadema. C’est par ce truchement que la plupart ont pu être admis au collège militaire par des concours bidon pour devenir aujourd’hui de hauts gradés qui veillent sur le système. Politique, armée mais aussi dans les affaires. Les enfants, les épouses, les proches et les alliés de tous ceux dont les noms sont cités ou non sont les grands fournisseurs de l’Etat, avec à la clé des surfacturations monstres, accumulant ainsi des fortunes colossales sans aucune justification. Propriétaires de plusieurs sociétés écrans, ils se voient octroyer sans procédure des marchés dont certains ne sont jamais livrés. Conséquence cette gouvernance basée sur une clique, la faillite totale des sociétés, la corruption endémique, l’accaparement des richesses, la paupérisation des populations laissées pour compte.

Somme toute, même si cette nomenklatura n’a pas encore atteint le niveau des princes rouges en Chine, l’allure qu’elle prend au Togo, avec tout son corolaire, est inquiétante. Le drame, bien évidemment, c’est que certains laissés pour compte souffrant du syndrome du « larbin » prennent de manière acharnée la défense de ceux dont les actions consistent à les maintenir en permanence dans la misère, la dépendance et la servitude. Dans son célèbre ouvrage « Discours de la servitude volontaire » Etienne de la Boétie, après avoir décrit la tyrannie, ses méthodes et ses courtisans, rappelle en substance : « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ». Une vérité plus que jamais d’actualité dans le contexte togolais

Source : www.icilome.com