Dérives Autoritaires : Le Togo, la Crise et le « Terrorisme »

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Dérives Autoritaires : Le Togo, la Crise et le « Terrorisme »

Ces derniers mois, les forces de défense et de sécurité togolaises ont démantelé des cellules djihadistes retranchées sur le sol togolais. Cette réalité atteste que la menace terroriste a monté d’un cran au Togo au point que la France ait demandé à ses ressortissants d’éviter une partie du Nord du Togo et du Bénin, frontière avec le Burkina Faso où opère une dizaine de groupes djihadistes. L’État togolais, à travers le Président Faure Gnassingbé, déploie déjà de multiples stratégies de riposte face à la menace sur le territoire national. Mais, la crise économique qui contraint la jeunesse togolaise sans emploi, à toujours rester sur le carreau, peut être le talon d’Achille de ces stratégies. L’on doit repenser la lutte.

« J’exprime la reconnaissance de la nation aux forces de défense et de sécurité qui se trouvent en première ligne pour épargner à notre pays les affres de cette violence aveugle. Avec maîtrise et professionnalisme, elles ont mené avec succès, au cours des derniers mois, plusieurs opérations de démantèlement de cellules terroristes sur notre territoire. En prenant conscience de cet état de choses, nous devons être sensibilisés à la montée ambiante des menaces, en restant toutefois rassurés que l’État s’attachera toujours à garantir la sécurité de chacun et la quiétude de tous, » a déclaré Faure Gnassingbé dans son discours sur l’état de la nation, le 26 avril 2019, veille de la commémoration de l’accession du Togo à la souveraineté internationale.

Dans la foulée, à l’issue du conseil des ministres du 15 mai 2019, il a été mis sur pied, un comité interministériel de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent (CIPLEV) avec pour mission principale, d’œuvrer à éradiquer ou à réduire sensiblement la propagation de l’extrémisme violent en donnant aux communautés de base des outils et le soutien dont elles ont besoin pour lutter contre ce fléau. C’est croire qu’aujourd’hui, tout le monde est bel et bien conscient que la menace est réelle et, la probabilité d’une attaque terroriste sur le sol togolais est forte. D’ailleurs, le renforcement du dispositif sécuritaire au Togo en dit long.

Seulement, l’ignorance ou la sous-estimation de certains détails, pourtant importants dans la prévention et la riposte contre l’extrémisme violent au Togo, ces détails, peuvent, l’on n’y prend garde, conduire sinistrement la nation togolaise à vivre des situations désagréables. Le mauvais diagnostic d’une pathologie conduit fatalement à la disparition du patient. L’État togolais, n’a donc pas droit à l’erreur dans ses multiples actions contre le terrorisme.

Prévention n’est pas militarisation

Comme la plupart de ses voisins, la nation togolaise est jeune. Dans un récent sondage, il est établi que 40% des Togolais ont moins de 15 ans et un homme au Togo a en moyenne 19 ans et une femme 20. « Cette jeunesse que beaucoup d’autres parties du monde nous envient car porteuse d’espérance et d’un potentiel de dividende démographique, est en même temps une responsabilité terrible. Si elle est transformée en force de travail inséré au cœur d’un système efficace de production et de répartition de richesse, elle nous permettra d’accélérer notre croissance économique comme les nations qui, avant nous, ont fait leur transition démographique. A l’opposé, si elle n’est pas éduquée, n’a pas d’emploi, elle deviendra une menace terrible à la paix et à la stabilité sociale et deviendra terreau fertile pour les mouvements d’un type nouveau qui sème la terreur et la désolation dans le monde. Car, le cri contre la faim se distingue difficilement de celui contre l’autorité et l’ordre établi ».

Cette analyse pointilleuse faite par le patron d’une grande firme économique au Togo, lors d’un atelier de dialogue à Lomé avec des jeunes, est révélatrice du mal profond qui touche la jeunesse togolaise dans son ensemble. En effet, l’on doit savoir guérir le mal à la racine et surtout comprendre que la logique selon laquelle, il faut guérir le mal par le mal, reste une lecture erronée de certaines situations.

Or, depuis que la menace terroriste est devenue persistante au Togo, pour circonscrire le mal, l’on note dans les différentes décisions prises jusqu’alors, ou dans les stratégies mises en place par les autorités togolaises, une priorité accordée à la sécurité nationale renforcée par la veille des forces de défense et de sécurité. Certes, c’est une action bien salutaire, mais qui se révèle moins efficace en matière de prévention et de lutte contre les attaques terroristes dans un pays où la crise économique devenue aiguë, ne permet pas à la jeunesse de s’épanouir. On ne le dira jamais assez : un jeune miséreux est dangereux. Toujours noir de colère et remonté contre la gestion faite d’un Etat qui cautionne la non-redistribution des richesses nationales, un Etat qui semble n’avoir vocation que de protéger une minorité des citoyens au détriment de la majorité, un Etat qui n’a d’existence que dans les violences et autres violations des droits de l’homme…, devant ces injustices, il faut s’attendre au pire venant du jeune aigri.

« Lorsque le plus petit nombre accapare les ressources au détriment du plus grand nombre, alors s’instaure un déséquilibre nuisible qui menace jusqu’en ses tréfonds la démocratie et le progrès », faisait constater le chef de l’Etat togolais, Faure Gnassingbé, dans son discours à la nation le 26 avril 2012. Celui-ci est allé plus loin le 26 avril 2019 devant l’Assemblée nationale où il déclarait : « Les germes de la croissance durable et inclusive à laquelle nous aspirons ne peuvent éclore qu’à la faveur d’un climat de paix, de sécurité et de stabilité. Il importe donc de faire définitivement rempart à tous les égarements qui tendraient à remplacer, chez nos jeunes frères et sœurs, l’espoir par le fatalisme, voire à leur faire miroiter la violence comme l’ultime solution. L’endoctrinement constitue un écueil pernicieux qui compromet toute vision de développement et détruit tout projet de société ».

Cette réflexion qui dépeint sans ambiguïtés la réalité, souffre encore de mesures concrètes pour juguler le mal qui se mue en épidémie. Pour preuve, au Togo, les nouveaux riches qui sont légion, deviennent de plus en plus riches sous le biberon de l’Etat, pendant que le pauvre citoyen lambda, jeune chômeur endurci, en dépit de sa kyrielle de diplômes et de ses multiples compétences, peut mourir du simple paludisme.

Une telle situation peut provoquer la révolte de ces jeunes qui entrevoient l’avenir bouché et leur vie hypothéquée. Si des jeunes, parce que fatigués de la misère au quotidien, exaspérés d’être souvent la risée de ses promotionnels qui réussissent, et donc désespérés de la vie, sont capables de se donner volontairement la mort, ils seront tout aussi capables d’accepter la proposition de ceux qui exigent qu’ils crèvent plutôt ensemble avec les personnes jugées comme auteurs de leur indigence. C’est bien sur ce terrain qu’on retrouve généralement les recruteurs djihadistes qui excellent dans le lavage psychique des jeunes révoltés contre l’autorité et l’ordre établi. Ils ne peuvent qu’épouser les aventures du terrorisme ou de l’extrémisme violent.

Ces réalités ont d’ailleurs fait l’objet d’une étude réalisée par le Bureau régional du PNUD pour l’Afrique. Dans son rapport 2017 intitulé « Sur les chemins de l’extrémisme en Afrique : moteurs, dynamiques et éléments déclencheurs », Abdoulaye Mar Dieye, Administrateur assistant du PNUD et Directeur du Bureau régional pour l’Afrique, présente les résultats de deux (02) années d’étude qui porte sur le recrutement au sein des groupes extrémistes en Afrique, à savoir, Boko Haram, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), Al Shaabab etc.

L’étude peint le visage de jeunes frustrés, négligés et marginalisés dès leur bas âge, des êtres en mal de perspectives d’avenir, économiques ou civiques, et qui doutent des capacités de l’État à assurer les services de base ou à assurer le respect droits de l’homme. Le rapport précise qu’un tel individu serait plus susceptible de basculer vers l’extrémisme violent s’il est témoin ou victime d’un abus de pouvoir supposé de la part des pouvoirs publics. Aussi est- il souligné que le mécontentement et le manque de confiance à l’égard du gouvernement sont monnaie courante dans les régions d’Afrique qui enregistrent la plus forte incidence de l’extrémisme violent.

Ces sentiments sont en réalité, le corollaire d’une enfance passée dans des régions délaissées, marginalisées sur le plan politique et touchées par une pauvreté multidimensionnelle aiguë plus accentuée que dans le reste du pays.

Mais, le mécontentement à l’égard du gouvernement est nettement plus prononcé chez les enquêtés enrôlés dans des groupes extrémistes violents pour plusieurs indicateurs clés, notamment : la conviction que le gouvernement ne défend les intérêts que d’une minorité, un faible niveau de confiance envers les pouvoirs publics…Les griefs à l’encontre des acteurs de la sécurité et des responsables politiques sont particulièrement marqués, et le manque de confiance envers la police et l’armée atteint en moyenne 78 %.

Le rapport du PNUD semble partager les réalités togolaises en matière d’injustices sociales précitées, confirmées par les extraits des discours du président togolais, en 2012 et en 2019.

Vu les pesanteurs suscités, il est donc clair qu’au Togo, la riposte contre le terrorisme doit plus sociale que militaire. D’ailleurs, le Plan d’action des Nations Unies pour la prévention de l’extrémisme violent enjoint tous les États du monde à accorder une attention accrue aux causes et facteurs sous-jacents de l’extrémisme violent, après des décennies de stratégies donnant une priorité excessive aux interventions militaires. Alors comment éradiquer le mal ?

Combattre socialement le terrorisme

Dans ses mémoires, le Secrétaire Général des Nations Unies, António Guterres déclarait : « Je suis convaincu que l’édification de sociétés ouvertes, équitables, inclusives et pluralistes, fondées sur le plein respect des droits de l’homme et offrant des perspectives économiques à tous, est le moyen le plus concret et le plus adapté d’échapper à l’extrémisme violent ».

Cette philosophie qui ne souffre d’aucune ambiguïté, doit être la solution la plus partagée par toutes les nations du monde dont le Togo, qui préparent des ripostes efficaces contre le mal. Si les facteurs qui incitent la jeunesse africaine à intégrer les groupes extrémistes sont plus d’ordre sociaux qu’idéologiques, il s’avère nécessaire, voire indispensable de traiter le mal à la racine. Pour le responsable du PNUD, les principales motivations des jeunes africains pour intégrer les groupes islamistes radicaux sont socio-économiques. « Les jeunes qui intègrent ces groupes ne croient aucunement en l’idéologie islamiste et n’ont quasiment aucune notion de l’islam, » affirme Abdoulaye Mar Dieye.

De cette déclaration, il en ressort que les individus les plus vulnérables au recrutement et qui ont manifesté un degré de confiance moindre dans la capacité des institutions démocratiques à apporter des solutions concrètes à leurs problèmes, lesdits individus ont besoin d’être rassurés par des actes. L’étude confirme que le fait d’avoir bénéficié d’une prestation de services efficace est source de résilience face à l’extrémisme. Les gouvernements africains confrontés à de grands défis sociaux doivent s’en inspirer. Car, les discours radicaux de bouleversement et de changement, qui font appel au sentiment de mécontentement à de multiples niveaux que peut éprouver une personne n’ayant aucune perspective d’évolution, resteront attrayants tant que l’on ne s’attaquera pas aux circonstances sous-jacentes. Dans les situations d’injustice, de privation et de désespoir, les idéologies liées à l’extrémisme violent apparaissent comme une remise en cause du statu quo et comme une forme d’évasion.

Que les gouvernants soient rassurés, car rien n’est encore tard : l’amélioration des politiques publiques et la bonne gouvernance constitueraient en définitive une solution de lutte contre le terrorisme et de prévention de l’extrémisme violent bien plus efficace que la concentration excessive d’interventions axées en priorité sur la sécurité. Guérir le mal par le mal, n’a jamais été une solution efficace à toutes situations. A bon entendeur, salut !

Sylvestre Beni

Source : La Manchette No.65 du 06 juin 2019

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