En Afrique, les morts bénéficient d’une attention spéciale qui amène à leur rendre des hommages dignes de ce nom. En témoignent toutes les cérémonies, réunions et autres manifestations organisées çà et là pour, progressivement, conduire le disparu à sa dernière demeure. Dans certaines communautés, on ménage le cadavre à tel point qu’on demande de ne pas le bousculer, afin de lui procurer un repos tranquille. Seulement, au Togo, plus précisément dans la capitale, de la morgue à la maison mortuaire, amis, proches parents, famille du défunt et même le défunt dans son cercueil connaissent le calvaire (à cause de l’état de la route). Il en est de même pour le trajet maison mortuaire-cimetière.
Il ne s’agit pas ici de parler de toute la distance entre ces deux tristes endroits et les maisons mortuaires. La morgue et le cimetière sont visités presque tous les jours par les Togolais. Qui pour aller déposer son illustre disparu, qui pour recevoir un corps ou encore y exposer un autre, faisant défiler des milliers de gens pour soutenir la famille éplorée. Par solidarité et compassion, cette foule accompagne la dépouille jusqu’au cimetière dont le plus visité aujourd’hui reste celui d’Adakpamé, à quelques mètres du lycée de Bè-Kpota. Cependant, pour se rendre à la morgue en quittant la route d’Adidogomé, et au cimetière d’Adakpamé, à partir du rond-point, c’est la croix et la bannière.
La morgue du CHU Sylvanus Olympio accueille des centaines de milliers de personnes. Depuis quelques années, l’on ne cesse de déplorer l’état de la voie qui mène à cette morgue, à partir du goudron. En saison de pluie surtout, il est pratiquement impossible de prendre ce chemin. Les véhicules qui se hasardent à le faire deviennent méconnaissables à cause de la quantité de boue qui les arrose. Les usagers à motos évitent cette voie en prenant l’autre qui fait presque face à la poste de Tokoin Séminaire. Mais là aussi, la situation n’est pas rose. Pour une distance d’à peine 300 mètres (du goudron au bâtiment abritant la morgue), l’on est obligé de faire plus de 5 minutes, en évitant les nombreux nids de poule recouverts d’eau de pluie, qui sont des dangers potentiels pour les usagers. « J’ai déjà remplacé une jante avant de ma voiture à cause de cette route. Je transportais le corps en cercueil de mon beau-père que nous apprêtions à aller enterrer. Je dois vous dire qu’il faut qu’on repense à cette voie. Quand nous venons déposer nos morts ici, nous payons », a indiqué Charles Kofi rencontré sur les lieux mercredi. A l’en croire, le cortège a dû s’arrêter ce jour-là. Le temps de chercher un mécanicien pour réparer le pneu et la jante, l’heure prévue pour l’enterrement a été largement dépassée. « Il fallait voir comment les gens s’impatientaient, avec le corps de mon beau-père dans le cercueil qui attendait aussi. Certains ont dû partir nous attendre au cimetière. Initialement prévu pour 10 heures, l’enterrement avait finalement eu lieu vers 13 heures », a-t-il ajouté. Sans oublier le cadavre qui, visiblement, a été bien secoué le long de ce chemin.
Aujourd’hui encore, « jour du marché », comme on le dit dans le jargon des morguiers (puisque les vendredis et samedis sont généralement des jours d’enterrement), le spectacle sera au rendez-vous avec des files de véhicules sur cette voie. Non pas parce qu’ils sont trop nombreux, mais tout simplement à cause de l’état de la voie qui ne leur permet pas de circuler rapidement.
Tous les usagers sont unanimes aujourd’hui sur le fait qu’il faut aménager cette voie. Avec les recettes que fait la morgue chaque semaine, le réaménagement de la voie qui y mène ne serait pas une chose extraordinaire pour les responsables de cet hôpital. Selon nos recoupements, pour déposer un corps à la morgue, il est demandé aux parents de verser une somme d’environ 40 000 FCFA. 5 jours après le dépôt, commence le décompte qui consiste à payer 4 000 FCFA par jour comme frais des casiers. Même s’il est dit qu’on fait de petites remises aux familles dont les corps des proches font plusieurs jours à la morgue, il est indéniable que ce service du CHU Sylvanus Olympio fait des millions par mois. Cela est suffisant pour soulager les proches, les familles et même les morts qui prennent cette voie tous les jours. D’aucuns avaient pensé que lorsque la municipalité avait sommé les vendeurs de cercueils le long de la voie de déguerpir, celle-ci serait aménagée. Mais rien n’y fit.
L’autre route qui retient l’attention de tous reste la voie qui quitte le rond-point (Bè-Kpota) de la pharmacie de l’Union pour le cimetière. C’est à un autre chemin de croix que sont soumis ceux qui conduisent leurs morts à leur dernière demeure. Même en saison sèche, cette voie qui passe devant le lycée de Bè-Kpota est difficile à emprunter à cause de la poussière qu’elle dégage, surtout les vendredis et samedis où les enterrements se suivent et qu’une forêt de véhicules et de motos la submerge. Il est très souvent difficile pour les piétons de frayer un chemin en ces moments. A la file indienne, véhicules et motos mènent une lutte âpre avec les nids de poule et de petites collines qui se forment sur la voie. C’est très fréquent de voir des motocyclistes se retrouver à terre, parce que malmenés par une mare de sable qui s’est formée par endroits. Et bien évidemment, il faut imaginer à quel point ces morts sont secoués dans leur cercueil (si on dit qu’il faut respecter leur repos) sur cette voie. « Pendant la saison pluvieuse, nous voyons toute sorte de spectacles ici. Nous n’arrivons plus à faire sortir nos enseignes, parce qu’en passant, ces corbillards et tout le cortège les arrosent de boue. Il y en a qui préfèrent laisser leurs engins ici et continuer à pied jusqu’au cimetière même, parce qu’ils craignent de les endommager. Ceux qui sont à moto et qui s’entêtent à aller plus loin, se retrouvent parfois dans la boue. C’est une apocalypse ici, même en saison sèche où nous humons la poussière, surtout les week-ends », raconte un détenteur de boutique sur la voie.
Et pourtant, ce sont des centaines de millions que ce cimetière fait chaque semaine. Puisque la tombe la moins chère ne coûte pas moins de 80 000 FCFA. Les recettes générées par ce cimetière à la municipalité depuis des années peuvent contribuer à aménager cette voie, ne serait-ce qu’y mettre des pavés. Mais visiblement, ce n’est pas encore la préoccupation de l’heure. Pour le moment, ceux qui déboursent des fortunes (en ces temps de soudure) pour trouver une dernière demeure à leurs proches décédés, peuvent continuer à se débrouiller sur ces routes qui constituent un calvaire pour eux-mêmes et leurs engins. Pendant la nuit, le long de cette voie devient un repère pour les bandits, à cause de l’obscurité qui y règne. Ce sont les quelques ampoules que certains propriétaires laissent allumées devant leurs boutiques qui servent parfois d’éclairage. De nombreuses personnes se sont déjà plaintes d’avoir été agressées sur cette route.
Dans un pays où les dirigeants se préoccupent peu du bien-être du peuple, et donc des vivants, il n’est pas surprenant de constater que ces routes qu’empruntent les morts (accompagnés de leurs proches parents) pour leur dernière demeure soient les derniers des soucis des autorités togolaises. Toutefois, il est inconcevable que les gens continuent ce chemin de croix, malgré ce qu’ils paient à la morgue, et à la municipalité pour avoir une tombe où y reposer leurs illustres disparus.
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