Crise socio-politique au Togo : Lettre ouverte de Tchakie Thomas Sekpona-M au Député de la Rivière-du-Nord, Québec, Canada

0
834

M. Sekpona-M, un canado-togolais vivant au Québec, Canada, saisit son député à travers une lettre pour l’informer de la terrible crise socio-politique émaillée de violences qui sévit actuellement au Togo. Ci-dessous, l’intégralité de lettre de Thomas Sekpona-M au député Fortin du Rivière-du-Nord, Québec.

Le 28 septembre 2017

À Monsieur Rhéal Éloi Fortin
Député de la Rivière-du-Nord
161, rue de la Gare / Bureau 305
Saint-Jérôme, Québec, J7Z 2B7
Canada

Objet : Situation socio-politique au Togo

Monsieur le Député,

Je viens avec cette lettre, en tant que citoyen canadien d’origine togolaise, attirer votre aimable et bienveillante attention sur ce qui se passe actuellement au Togo, en commençant d’abord par vous présenter à grands traits son histoire depuis 1960 jusqu’à aujourd’hui.

Éyadéma Gnassingbé est le père de l’actuel président du Togo, Faure Essozimna Gnassingbé. En 1954, Éyadéma Gnassingbé s’est fait recruter dans l’armée française et était envoyé en Indochine et en Algérie. En 1962, il était démobilisé et rentré au Togo. En janvier 1963, il collabore activement lors d’un premier coup d’État à l’assassinat de Sylvanus Olympio, le premier président togolais démocratiquement élu en 1960. En janvier 1967, Éyadéma Gnassingbé accède à la suite d’un autre coup d’État à la fonction du président de la République et instaure un régime despotique qualifié de « régime de la terreur ».

Après le discours de La Baule de François Mitterrand qui conditionne l’aide aux anciennes colonies françaises à un peu de démocratie, la révolte des jeunes togolais éclate le 5 octobre 1990. L’armée disperse à coup de gaz lacrymogènes, de gourdins, de massues et de balles réelles les manifestants qui soutenaient les jeunes opposants arrêtés. Cette manifestation populaire a été effroyablement noyée dans le sang. On a compté des centaines et des centaines de morts, des blessés graves et des forcés à l’exil. Des corps d’hommes, de femmes (parmi lesquelles une femme enceinte) ont été repêchés dans la lagune de Bè à Lomé. Et depuis, il ne se passe pas de jour où il n’y a pas de mort d’hommes au Togo. Chaque fois que les Togolais manifestent pacifiquement pour réclamer la démocratie et la liberté, on les tue, et ce, à l’indifférence totale de la communauté internationale.

En 2002, Éyadéma Gnassingbé a fait modifier le code électoral et certains articles de la Constitution de 1992, notamment l’article 59 qui limitait à deux le nombre de mandats pour rester à vie au pouvoir. Il restera, en effet, au pouvoir jusqu’en février 2005, où il meurt subitement à la suite d’une crise cardiaque.

Dès l’annonce de sa mort le 5 février 2005, un groupuscule d’officiers supérieurs de l’armée togolaise s’accaparent sans scrupule du pouvoir, en alléguant que le président de l’Assemblée était absent du pays, et ce, au mépris de la Constitution qui prévoit qu’en cas du décès du président en exercice, c’est le président de l’Assemblée qui doit assurer l’intérim jusqu’à la tenue de nouvelles élections pendant 60 jours. D’une façon rocambolesque et contre toute attente des Togolais, son fils Faure Essozimna Gnassingbé passe de son poste de ministre des Travaux publics, des Mines et des Télécommunications au président de l’Assemblée nationale et au président de la République. Tout cela s’est passé en une seule nuit. Du jamais vu ! Devant l’indignation, la colère, la réprobation et la protestation des Togolais et du monde entier, Faure Essozimna Gnassingbé avec ses cyniques prétendus officiers supérieurs de l’armée ont fait volte-face et accepté d’organiser l’élection présidentielle.

L’élection organisée en avril 2005, était une véritable mascarade, une élection truquée comme au temps de son père et fortement contestée et dénoncée par les Togolais et tous les observateurs qui étaient présents. La manifestation pacifique du peuple togolais a été impitoyablement et inhumainement réprimée dans le sang par l’armée et les milices du parti de Faure Essozimna Gnassingbé. 811 morts et 4345 blessés selon la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme (LTDH) et 500 morts selon le rapport de la mission des Nations Unies.

Gnassingbé le père a fait 38 ans au pouvoir, le fils 12 ans. Ce qui fait au total 50 ans de pouvoir des Gnassingbé. Le peuple togolais aujourd’hui en a marre ! Oui, y en a marre ! Ce n’est plus tolérable ! Malgré ces nombreuses années passées à la tête de l’État togolais, la famille Gnassingbé n’a rien fait pour le développement du pays. La gestion du père comme celle du fils de l’État togolais sont une calamité. La population est dans le dénuement total. La misère est accablante; la pauvreté est à son comble. Le chômage des jeunes augmente de façon exponentielle, alors que Faure Essozimna Gnassingbé s’entoure des conseillers et des ministres orgueilleux, perfides et vénaux, qui pillent allègrement et de façon éhontée le pays, siphonnent les biens de l’État. Des ministres et des conseillers qui confondent leurs intérêts personnels à ceux de l’État et n’ont aucun sens du bien public. L’État et l’administration sont totalement corrompus.

Malgré tous ces crimes, toutes ces injustices criantes doublées de la mal gouvernance, Faure Essozimna Gnassingbé, comme son père hier, n’a aucune intention de quitter le pouvoir. Avec le soutien de certains officiers véreux et spoliateurs de l’armée (une armée fortement « ethnicisée ou tribalisée »), Faure Essozimna Gnassingbé ne tolère aucune contestation, aucune contradiction. Il est aussi dictateur, aussi cynique que son père. Tel père, tel fils ou les chiens ne font pas des chats. Une lapalissade ! Chaque fois que le peuple togolais crie pacifiquement son ras le bol dans la rue, exprime son profond malaise, il doit y avoir toujours mort d’hommes. Que ce soient les enseignants qui demandent de bonnes conditions de travail ou que ce soient les élèves, les étudiants qui demandent de bonnes conditions d’études, il doit y avoir toujours mort d’hommes au Togo. C’est le cas, par exemple, d’Anselme Gouyano SINANDARE, jeune élève de 12 ans et de Sinalengue DOUTI, 21 ans, froidement abattus tous les deux par les militaires le 15 avril 2013 à Dapaong lors d’une manifestation. C’est également le cas de Mohamed SADJO abattu par les militaires le 23 mars 2015 lors d’une manifestation d’élèves à Gléi…

Les derniers événements qui ont mis le feu aux poudres datent du 19 août et du 6, 7, 20 et 21 septembre 2017. En effet, le 19 août 2017, le Parti National Panafricain (PNP) de M. Tikpi Atchadam a appelé la population togolaise à manifester pour le retour à la Constitution de 1992, pour la révision du code électoral et pour le vote de la diaspora togolaise. Son appel a été massivement suivi dans toutes les villes du Togo. Ce qui a fait l’effet d’une bombe sur le pouvoir dictatorial de Faure Essozinma Gnassingbé. La répression brutale et sauvage, les exactions, comme à l’accoutumée, n’ont pas tardé à s’abattre sur les paisibles citoyens. Il y a des morts, des blessés graves parmi les manifestants à travers les grandes villes du Togo, notamment à Bafilo, à Sokodé, à Mango, à Lomé, à Kara, à Dapaong, à Anié, à Tchamba… Dans ces villes, les militaires défoncent avec une rare violence les portes des maisons et y entrent par effraction, lancent des gaz lacrymogènes, se jettent lourdement sur les habitants à bras raccourcis et tirent à balles réelles. Certaines personnes âgées sont actuellement dans le coma. Certains jeunes sont persécutés, portés disparus ou sont mis illégalement en prison. D’autres sont torturés, sauvagement blessés et abandonnés à leur triste sort. D’autres encore qui tentent de fuir la barbarie des militaires en se jetant dans le fleuve Oti sont morts noyés. On parle d’au moins deux morts noyés. Les villes comme Sokodé, Mango, Bafilo, Dapaong, Anié, Tchamba sont actuellement assiégées par les militaires armés jusqu’aux dents et qui organisent des expéditions punitives.

Voilà, Monsieur le Député, le climat délétère qui règne actuellement au Togo. À l’heure où j’écris ces lignes, je puis vous dire que la situation se dégrade complètement. Les jours à venir n’augurent rien de bon. Loin de moi l’idée de jouer les Cassandre, mais je dis que le chaos ou le désastre n’est pas loin.

Je vous prie donc, Monsieur le Député, de vous faire grandement l’écho de cette lettre auprès de l’Assemblée nationale canadienne, et partant, du gouvernement canadien. Car c’est maintenant qu’il faut agir en exerçant une pression sur cette calamité qu’est le jeune tyran Faure Essozimna Gnassingbé, détesté et mal-aimé par les Togolais, pour qu’il quitte sans délai et sans condition le pouvoir. Autrement, ce sera pour aller compter les morts après. Le peuple togolais dit que 50 ans, ça suffit et ne demande que son départ !

Vous trouverez ci-joint les photos des atrocités et le bilan incomplet et provisoire – provisoire parce que les blessés continuent de mourir et la répression fait toujours rage – dressé par le Mouvement citoyen « Togo Debout ».

Dans l’espoir que ce cri du cœur que je lance aura l’écho souhaité, je vous prie d’agréer, Monsieur le Député, l’assurance de ma très haute considération.

Tchakie Thomas Sekpona-M.

27Avril.com